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Votre prochaine BD va sortir le 13 janvier (nous avons rencontré Théo Grosjean début janvier, NDLR), de quoi parle-t-elle ?
Théo Grosjean : « Elliot au collège est une BD qui parle d’un garçon très anxieux, pour changer des sujets que j’aborde (sourire). Il rentre au collège et il se rend compte qu’il a des difficultés à créer des liens sociaux. Une espèce de petite créature apparaît dans sa vie comme une métaphore de sa boule d’angoisse et elle empire les situations, donne de mauvais conseils. Cela reprend des éléments de mes années au collège. Cette BD est assez différente de L’Homme le plus flippé du monde puisque j’ai travaillé sur différents personnages afin que les lectrices et les lecteurs puissent mieux s’identifier.
Qu’est-ce qui change avec cette nouvelle série ?
Elle s’adresse à un public plus jeune à qui j’ai toujours voulu parler et j’ai une certaine appréhension liée au fait que je ne le connais pas. Jusqu’ici, j’ai plutôt écrit pour les adultes, donc c’est beaucoup d’excitation. Les enfants ont un rapport fusionnel avec la BD comparé aux adultes. Le livre les suit partout et il vit vraiment avec eux. J’espère que la BD va créer ce lien-là avec les enfants et qu’ils pourront s’identifier aux personnages.
Et vous, à qui vous êtes-vous identifié plus jeune ?
Comme beaucoup d’enfants, je me suis identifié à Harry Potter. C’est sûrement le premier livre que j’ai lu, mais c’est aussi un personnage qui découvre sans cesse de nouvelles choses et c’est un sentiment que l’on ressent quand on est enfant. Au début de l’adolescence, j’ai lu un roman qui m’a beaucoup marqué qui est L’Assassin royal, un roman de fantasy écrit par Robin Hobb. Elle met en scène un personnage qui est le fils illégitime d’un prince et qui a un problème d’identité.
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Ce qui m’a marqué, c’est que l’auteur décrit avec beaucoup de précision les états psychologiques dans lesquels il se trouve. C’est un livre qui divise chez les lecteurs de fantasy parce que ce personnage a un côté très plaintif, dépressif, qui, moi, m’a beaucoup plu. Je me suis identifié à lui puisque pour moi, comme dans l’univers fantasy, il y a une étrangeté dans le monde des adultes qui m’inquiétait.
« Aimer le plaintif », qu’est-ce que cela signifie ?
Disons que je prends beaucoup de plaisir à lire ou même voir des personnages décrire leurs états d’âme. Dans la saga L’Assassin royal, 70 % du livre sont les états d’âme du personnage qui est presque agaçant puisqu’il ressasse des idées noires dans une forme de mélancolie extrême.
L’« homme le plus flippé du monde » se plaint d’ailleurs beaucoup et ne propose pas grand-chose pour solutionner ses problèmes.
Je n’aime pas trop cette littérature qui apporte des solutions. Ça me fait penser à du développement personnel. Ce qui m’intéresse dans les histoires, c’est d’avoir une retranscription des émotions du personnage, sans morale. Après mes prépublications sur Instagram, j’ai reçu beaucoup de messages pour savoir comment gérer l’angoisse.
Alors j’ai fini par apporter quelques conseils dans le tome 2. Mais je comprends que pour une personne qui ne s’identifie pas au personnage, la lecture peut sembler un peu répétitive ou lourde. Alors que si l’on s’identifie, on peut le voir comme une sorte de Gaston Lagaffe moderne.
Comment se dit-on : « Si je faisais quelque chose de cette angoisse ? »
Quand j’étais à Émile-Cohl (école d’art à Lyon, NDLR), on a commencé à traiter de l’autobiographie en BD et ce qui me venait le plus naturellement, c’était de parler de mes angoisses. J’expérimente ça depuis tout petit alors, au moins, je sais de quoi je parle. Cependant, je suis uniquement dans le témoignage. Je ne cherche pas à faire de la vulgarisation scientifique.
Le problème lorsque j’étais invité sur les plateaux télé, c’est que l’on me demandait de définir l’anxiété généralisée ou de définir tel ou tel concept psychiatrique alors que je n’ai pas ces compétences. Je ne voudrais surtout pas faire d’erreurs sachant que dans le domaine psychiatrique, le sujet de l’anxiété est très débattu concernant les pathologies que l’on peut y associer. C’est un problème de société de vouloir constamment faire de chacun un professionnel de tout.
Votre personnage a la particularité d’être angoissé par les « petites choses du quotidien », mais aussi par des questions existentielles.
Ce sont deux choses qui coexistent dans ma vie. Ce qui fonctionne le mieux dans la BD, ce sont les angoisses du quotidien car c’est plus simple de s’identifier. Des personnes qui ne sont pas forcément anxieuses peuvent s’identifier à ces “petits riens” du quotidien. Ce qui marche c’est ce qu’on appelle le “relatable”, c’est-à-dire des choses où l’on peut se dire “c’est exactement ce qui m’est arrivé”. Plus c’est précis, plus ça parle aux gens.
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Par exemple, lorsque l’on croise quelqu’un qu’on connaît dans la rue de loin et qu’on se voit mutuellement mais qu’on ne sait pas si on continue jusqu’à se dire bonjour ou si on détourne le regard. Ce sont ces petites saynètes légères que l’on peut traiter avec humour. Alors qu’un mal-être existentiel, je prends des pincettes sur ma façon de l’aborder ou je réfléchis plus à la forme.
Cette série a-t-elle fonctionné pour vous comme une thérapie ?
Certaines angoisses se sont atténuées mais évidemment, de nouvelles sont apparues, liées à mon travail. Par exemple, je suis assez claustrophobe, alors j’ai peur des transports en commun. Le TGV m’angoisse surtout pour la vitesse, c’est un peu absurde mais c’est comme ça (sourire). Et à cause de mes déplacements professionnels, je suis amené à prendre beaucoup le train, donc je gère mieux ce stress-là aujourd’hui.
Qu’est-ce qui est nouveau ?
Mon rapport à la médiatisation m’angoisse, je suis assez présent sur les réseaux et donc je suis très exposé. Ça arrive régulièrement qu’on me reconnaisse, qu’on me cite sur Internet. Par exemple, pendant un live chez une libraire pour discuter de la sortie d’un de mes livres, deux personnes qui n’avaient sûrement pas aimé mes BD ont profité du tchat pour m’insulter.
Cela avait pris une forme assez violente et en plus, la libraire n’avait pas du tout l’habitude d’être confrontée à ça. Elle ne savait pas comment modérer et je voyais des insultes défiler en boucle.
Après avoir déjà sorti plusieurs séries, qu’envisagez-vous ?
Je commence à avoir fait le tour de l’anxiété, sous la forme que je lui ai donnée dans L’Homme le plus flippé du monde. J’ai déjà publié une BD qui s’appelle Le Spectateur qui parle des émotions mais de manière moins frontale. Le sujet de l’émotion me passionne, c’est ce que je maîtrise le mieux et je ne pense pas que je vais le lâcher. Je vais continuer à l’explorer, mais sous différentes formes. J’ai envie de me lancer dans des choses plus expérimentales. »
Pas de chance ce mercredi 4 janvier. Lorsque nous rencontrons Théo Grosjean, le restaurant traditionnel vietnamien Hong-Ha où nous avions réservé est fermé pour « raisons de santé ». Après avoir sillonné les rues du 5e arrondissement et leurs restaurants fermés (juste après le Nouvel An), nous terminons au Court Bouillon. Une fois installés, une question nous brûle les lèvres : « L’homme le plus flippé du monde est-il angoissé par cette interview ? » Théo Grosjean nous répond très franchement que dans ce cadre, sans diffusion en direct, il est plutôt rassuré.
La prise de parole dans les médias est, pour lui, « thérapeutique ». Il ajoute que cette « contrainte » imposée par son travail a « débloqué » sa situation. « Le fait d’organiser mes pensées pour réussir à exprimer ce que je ressentais n’était pas quelque chose de simple pour moi. » Ce qui ne se ressent absolument pas lors de notre échange. Ses prochaines aventures se passeront à Angoulême, pour un an, le temps de la production de la saison 2 de sa BD à succès.
Les apparences ne sont pas toujours trompeuses, la ressemblance entre Théo et son personnage dans la série L’Homme le plus flippé du monde est plutôt frappante. Cheveux bruns frisés, allure svelte, et parfois regard fuyant lorsqu’il répond à une question : on a l’impression de retrouver son personnage de la BD, sans les gouttes de sueur de stress.
Après la lecture de ses deux tomes, on a presque l’impression de déjà le connaître lorsqu’on le rencontre, particulièrement ses frayeurs, son entourage et sa vie privée. Mais bien sûr, dans la BD, il ne s’agit que d’un alter ego « bien plus flippé » que lui…
Court Bouillon
4 rue Ferrachat, Lyon 5e.
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— Notre repas —
Deux risottos champignons.
Deux crèmes brûlées au café.
Deux cafés.
— L’addition —
45,80 euros
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