Cette forme d’« autisme intelligent » a la particularité d’altérer les compétences communicationnelles sans affecter le langage ou l’intelligence.
Le syndrome d’Asperger, qui touche près de 700 000 personnes en France, est l’une des rares formes d’autisme qui ne s’accompagne d’aucune déficience intellectuelle particulière. Caractérisée par des difficultés à communiquer, il participerait même dans certains cas au développement de certains « talents » ou aptitudes particulières. Si le syndrome peut être handicapant au quotidien, certains en ont fait une force. Ainsi le milliardaire Elon Musk, fondateur de SpaceX, Tesla et désormais patron du réseau social Twitter, avait assuré en 2021 être atteint de ce syndrome. Mais quels en sont précisément les symptômes et les causes ? Comment s’organisent le diagnostic et la prise en charge ? Le Figaro fait le point avec le Pr Frédérique Brilhault, pédopsychiatre et responsable de l’équipe de recherche Psychiatrie neurofonctionnelle à l’université de Tours.
Le syndrome d’Asperger fait partie de la famille des Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA). Il se manifeste par des lacunes dans les interactions sociales, le raisonnement et la communication. « Pour autant, les personnes souffrant de ce trouble ne présentent pas de déficience intellectuelle ou de retard de langage », insiste Frédérique Brilhault.
Souvent, les patients Asperger ne supportent pas l’exposition à de fortes luminosités ou au bruit. Ils ont du mal à percevoir leur environnement, comme les sons ou même les voix, surtout en présence de bruit de fond ou d’éléments trop stimulants. Bien qu’il existe des formes plus ou moins sévères, ces caractéristiques influencent directement les façons de se comporter : activités répétitives, stéréotypées, intérêt pour certains détails. En découle une impression de « rigidité », de « distance » ou encore de « perfectionnisme », des obstacles fréquents à l’insertion sociale des patients Asperger.
« Étonnamment, ce fonctionnement différent génère aussi des aptitudes un peu «extraordinaires» en raison de l’habileté à percevoir des choses que d’autres personnes ne voient pas systématiquement », précise le pédopsychiatre.
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Contrairement aux idées reçues, les patients Asperger ne sont pas dénués d’empathie. En revanche, ils peuvent avoir plus ou moins de difficultés à identifier et exprimer leurs émotions ou à reconnaître celles d’autrui.
Dans les discussions, on s’appuie habituellement sur la voix, les gestes mais aussi les expressions faciles comme indicateurs émotionnels. Or les personnes Asperger peuvent avoir des difficultés à intégrer «automatiquement» ces codes de langage car ils ne les reconnaissent pas : « Certaines personnes Asperger auront une incapacité complète à reconnaître les émotions. D’autres parviendront à identifier les émotions les plus évidentes comme la joie et la peur mais pas les plus subtiles tels que le dégoût ou la honte », explique le Pr Brilhault. Pour les cas les plus sévères, la motricité faciale est affectée et au point que le visage devient amimique ou inexpressif « car elles ont du mal à comprendre et intégrer le répertoire facial moteur », poursuit le médecin.
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Le syndrome d’Asperger est un trouble neurodéveloppemental qui apparaît généralement dans l’enfance mais qui peut se déclencher à l’âge adulte. « Le diagnostic est rarement établi avant 3 ans étant donné qu’avant cet âge, les symptômes ne sont pas visibles. Souvent ce trouble est sous diagnostiqué jusqu’à ce que l’enfant éprouve de réelles difficultés à l’école voire plus tard à l’université ou dans sa vie professionnelle », explique Frédérique Brilhault.
Le diagnostic clinique est basé, comme pour les autres formes d’autisme, sur un ensemble d’examens médicaux regroupant des entretiens, de tests cognitifs pour évaluer la psychométrie, les compétences communicationnelles, l’intelligence et l’intelligence sociale.
L’échelle d’intelligence de Wechsler est le plus connu d’entre eux. Plus couramment appelé « test du quotient intellectuel (QI) », cette échelle regroupe un ensemble de sous-tests permettant d’évaluer les capacités de raisonnement, d’abstraction et de logique. Plusieurs versions des échelles de Wechsler sont disponibles en fonction de l’âge du participant : par exemple le test WPPSI-IV est réservé aux enfants à partir de 2 ans tandis que le test WAIS-IV est proposé seulement à partir de 16 ans. « Pour ce type de tests, les personnes Asperger ont généralement des scores qui varient de normal à supérieur. Cependant il reste insuffisant pour évaluer l’intelligence sociale », insiste le Pr Brilhault.
Pour évaluer les performances sociorelationnelles, il existe de nombreux tests comme la batterie de tests ClaCoS (Consensus autour de la cognition sociale). Le principe repose sur une évaluation de la cognition sociale à l’aide d’une épreuve subjective sous la forme d’un questionnaire (ACSo) et de 4 épreuves objectives pour déterminer les capacités de reconnaissance des émotions, l’aptitude à attribuer des états mentaux («théorie de l’esprit») et les biais d’attribution, « c’est-à-dire les erreurs commises quand on tente d’attribuer des causes à son comportement ou à celui des autres », indique le pédopsychiatre.
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En cas de diagnostic d’Asperger, la piste héréditaire reste privilégiée. Néanmoins, Il n’y aurait pas une cause unique à ce trouble mais plutôt une interaction complexe de facteurs génétiques et environnementaux, encore largement incompris. « Jusqu’ici les recherches sur l’autisme ont permis d’identifier un certain nombre de gènes candidats et notamment des variations d’allèles (les différentes versions d’un gène induites par mutation) susceptibles de favoriser un développement atypique du cerveau », affirme le Pr Brilhault.
Dans une étude parue en 2022 dans Nature genetics, des chercheurs américains ont mis en évidence l’existence de 72 gènes associés à ce trouble En 2012, une série d’articles parus dans la revue Nature mentionnait pour sa part l’implication potentielle de plus de 1000 gènes.
En plus des causes génétiques, nous savons désormais que les personnes souffrant d’un trouble du spectre de l’autisme possèdent des anomalies anatomiques du cerveau avec notamment un excédent de synapses, les zones de contacts entre les neurones. C’est ce qu’a rapporté une équipe de neurobiologistes dans une étude parue dans Neuron en 2014. Les scientifiques expliquent que cette surabondance de synapses résulterait d’un dysfonctionnement des processus normaux d’élimination de ces points de jonction au cours du développement.
En ce qui concerne la part environnementale, plusieurs recherches ont trouvé un lien étroit entre l’apparition de troubles de l’autisme et l’exposition à certains polluants (comme des pesticides) pendant la grossesse et la période précoce de développement. « D’autres mettent aussi en cause certains processus inflammatoires via une activation excessive de cellules immunitaires ou des facteurs de stress prénataux », ajoute le Pr Brilhault.
Actuellement il n’existe aucun traitement médicamenteux spécifique à l’autisme. La prise en charge repose essentiellement sur une rééducation fonctionnelle de la communication sociale. « Pour cela, il existe des programmes d’approche développementale et comportementale qui s’appuient sur des séances individuelles ou en groupe », explique le médecin. Plus ces interventions sont précoces, plus les améliorations sont visibles et durables.
Concernant la scolarisation, les enfants Asperger vont à l’école comme les autres enfants mais bénéficient d’un accompagnement spécialisé ainsi que des adaptations spécifiques pour faciliter leur insertion sociale : unités d’enseignement adapté, interventions pédagogiques, éducatives ou thérapeutiques grâce à une équipe comprenant enseignants et des professionnels médico-sociaux. Les séances d’aide à la communication dans des centres spécialisés sont aménagées en parallèle de l’école. Les parents, eux, sont en première ligne. « Les équipes médico-sociales donnent aux parents des informations, des conseils et proposent des formations pour savoir comment mieux interagir avec son enfant et comprendre son comportement », explique le médecin. En fonction des centres, les parents ont aussi accès à un centre de documentation. Tout cela est pris en charge dans les suites de l’annonce du diagnostic.
Pour les adultes atteints de ce trouble, « on propose aussi des programmes de réhabilitation sociale pour les aider à décoder les émotions et comprendre les scénarios sociaux », ajoute le Pr Brilhault. Il existe enfin des programmes pour guider l’insertion professionnelle des étudiants dans les universités « bien qu’on essaie de faire en sorte qu’eux-mêmes deviennent acteurs de leur parcours de vie ».
L’autisme fait partie des troubles envahissants du développement.
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