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Les modes alternatifs de règlement des conflits, un retour au Moyen Âge ? – Actu-Juridique.fr

Il a parfois été reproché aux défenseurs des MARC que l’introduction des nouvelles procédures alternatives venait rompre la tradition romano-canonique du droit français. Les MARC sont-ils vraiment une importation américaine ? L’histoire du droit montre, au contraire, que nous les avons bien pratiqués dans le passé. Remontons le temps…
Sous l’acronyme MARC, les mécanismes alternatifs de règlement des conflits s’insèrent progressivement en droit positif français. Ces modes de résolution se sont tout d’abord développés dans les pays de common law, où l’Alternative Dispute Resolution, courant de pensée américain, défend l’idée selon laquelle une communauté peut gérer un conflit sans ouvrir de procès1. Cette logique, progressivement défendue dans la procédure pénale française, laisse parfois aux praticiens l’impression d’une importation, pertinente au demeurant, d’une pratique américaine2. Mais nous avons bien pratiqué en France, et plus largement en Occident, la médiation sous toutes ses formes3.
Les MARC rappellent à notre souvenir un aspect essentiel du droit haut médiéval ; les justiciables de l’an mil préféraient la souplesse d’un accord conclu entre eux à la rigidité d’un jugement prononcé au cours d’un procès4. Cette primauté accordée à l’accord est un trait caractéristique des pratiques médiévales médiatrices fondées sur une culture du compromis. Les actes des XIe et XIIe siècles nous fournissent des exemples de traitement judiciaire du conflit au cours duquel le processus n’atteint pas le jugement. Lors du procès, les parties trouvaient des accords amiables, sans qu’un vainqueur ou qu’un perdant ne soit jamais désigné comme tel5.
Nous concentrerons ici notre regard sur l’étude de trois cas6. Commençons notre propos historique avec un exemple du XIe siècle ; celui de la transaction réalisée entre l’abbé de Fontgombault7 et l’abbesse de Fontevrault8 au sujet du prieuré de Villesalem9. Guillaume de La Tremouille et Audebert, après avoir donné la moitié du manse10 nommé « Vital » aux moines de Fontgombault, la donnèrent également, longtemps après, à des ermites nommés Geoffroy Gatineau et Bertaud qui vivaient à Villesalem. Plus tard, les moines de Fontgombault ont décidé de donner tout ce qu’ils possédaient en ce lieu aux moniales de Fontevrault. Geoffroy Gatineau et Bertaud ont alors revendiqué la moitié du manse qui leur avait également été donnée. L’abbesse de Fontevrault a eu connaissance de ce conflit et s’est rendue à Villesalem, où elle trouva un accord avec l’abbé de Fontgombault en présence de Theburge, prieure de La Puye11. Notre deuxième source est un acte de 1099 mettant un terme à l’usurpation de l’église Saint-Pierre de Vierzon par les moines de Déols. Poussés par la cupidité, nous dit la charte, ces moines ont illégalement usurpé l’église en expulsant les moines qui s’y trouvaient en y plaçant pour abbé l’un des leurs, avec le consentement de l’archevêque Audebert. Après la mort de ce dernier, les moines de Vierzon ont revendiqué leur église. Après beaucoup de discussions engagées au chapitre de Saint-Étienne, un accord disposant que les moines de Déols n’exerceraient plus aucune domination sur ceux de Vierzon a été trouvé12. Notre troisième et dernière source évoque un conflit portant sur les terres du prieuré de Reuilly. Vers 1072, Giroire de Vatan et sa femme ont abandonné à Saint-Denis-de-Reuilly la terre que détenaient injustement leurs aïeuls. Ils en donnent la moitié, en pleine propriété, aux moines et conservent l’autre moitié leur vie durant. Après leur mort, cette moitié reviendra aux moines13. Hugues de La Mothe a abandonné la terre de Vineuil et des prés, forêts, serfs et serves qu’ont injustement détenus ses aïeuls ; pour la concession intervint l’accord de ses frères Galeran et Pierre, de Garnier de Salengon et de sa femme. Les témoins sont Archambaud Bilet, Arnoul de Vierzon et Martin de Reuilly et le moine Bernard, qui a donné 40 sous14. Geoffroy de Moson a abandonné la terre Talaic et de Parede que ses aïeuls ont détenue injustement. L’accord de sa femme et de ses fils est obtenu par Arnaud de Vierzon, Garnier de Salongnon et d’Alaud, serf de Saint-Denis, et de Bernard, moine, qui a donné 15 setiers de froment15. Radulphe de Nohant et son gendre Radulphe Mindon ont abandonné la terre de Carnuces à Saint-Denis avec les serfs, les serves, les prés et les bois. Les témoins sont : Étienne Crassecourte, le moine Roge, le prêtre Gilbert, Martin de Reuilly et le moine Bernard, qui lui a donné 50 sous16. Renaud Gras, avec sa femme, a abandonné à Saint-Denis la terre de Pay et de Planes que ses aïeuls ont détenue injustement17.
On voit ici que la logique médiévale s’inscrit dans un idéal de paix à atteindre. L’accord est recherché avant le jugement. Nous retrouvons cette même logique dans les MARC que le droit positif tend actuellement à reconnaître.
Le droit positif français énonce que les justiciables ne peuvent disposer librement des règles pénales. Pourtant, l’évolution de la procédure invite à reconsidérer ce point. En effet, le législateur a fait évoluer ce principe par la mise en place de mesures de correctionnalisation par lesquelles les parties au litige peuvent écarter certaines règles au profit de l’accord qu’elles auraient conclu entre elles de façon dérogatoire18. Dans ce sens, plusieurs procédures alternatives peuvent être isolées.
La plus représentative semble être la médiation pénale. Contemporaine du développement des initiatives d’aide aux victimes19 et expérimentée en France dès les années 198020, cette procédure s’est ancrée dans notre pratique pour la gestion des conflits mineurs21. En 199922, trois objectifs lui ont été assignés : la réparation du dommage causé à la victime, la fin de la commission de l’infraction et le reclassement de l’auteur des faits23. La médiation intervient avant le jugement24. Le contact direct avec les justiciables n’est pas assuré par le magistrat, mais par des délégués du procureur25. Au cours d’un entretien dirigé par un médiateur, le coupable et sa victime abordent ensemble l’infraction qui les unit. La reconnaissance de sa responsabilité par le coupable va alors permettre à la victime d’obtenir les réponses aux questions qu’elle se pose peut-être. De cette rencontre entre coupable et victime, la parole occupe une place nouvelle ; d’une part, elle permet à la victime d’approcher la personnalité criminelle du coupable et, d’autre part, elle permet de mieux traiter les émotions que ce dernier porte sur la commission de l’infraction. Par cette rencontre volontaire, la victime et le coupable vont pouvoir faire l’expérience du mal d’autrui : celui que la victime s’est vu infliger et celui que ressent le coupable par introspection. Le recours à la parole au sein de cette rencontre dépasse le cadre de l’infraction et aspire à la pacification des relations26. Cette pratique tend à se résumer en une question unissant la victime et le coupable : que peut-on faire pour « se réparer ensemble27 » ? La médiation pénale peut ainsi ouvrir la voie aussi éventuelle qu’ambitieuse du pardon. Or, ce dernier n’est pas un dû, mais un don28. En justice, il repose sur ce que Paul Ricœur a nommé l’équation de l’aveu. Une écoute véritable et bienveillante est nécessaire à l’aveu libérateur29. Cela revient à accorder à l’avouant une place hautement symbolique de la solidarité humaine30. La rupture de cette relation, momentanément forte, est inévitable. Une distance s’instaure. Si l’aveu est espoir de régénération31, sa réception peut le combler comme l’anéantir. « L’homme n’a pas le pardon facile »32, avait annoncé René Girard. Il revêt d’ailleurs deux formes distinctes : le « pardon-renoncement » est un pardon pur et inconditionnel alors que le « pardon-transaction » ne saurait intervenir qu’en cas de négociation33. Il découle de ces deux formes de pardon une temporalité distincte. Le premier, bien que fort rare, a vocation à être accordé même en l’absence d’aveu, et ce à tout moment de la procédure ou encore de la vie du pardonnant. Le second est seulement envisageable à compter de l’aveu du coupable34, par lequel il estime juste de recevoir une peine. Théodor Reik a affirmé que le pardon ne pouvait être que la transformation du désir d’humilier la personne à qui on pardonne35. Il existe ainsi une cruauté du pardon, laquelle consiste à imposer au fautif de se faire, d’un point de vue moral, juge de sa propre personne36. Il n’est pas erroné de préciser que le contrevenant, et à plus forte raison le coupable sujet aux remords, puisse se juger indigne du pardon offert par sa victime et s’enferme davantage dans le mal qui le ronge. Inversement, lorsque la victime refuse d’accorder son pardon à l’avouant, ce dernier doit s’imposer « une éthique de la générosité » par laquelle il se devra de pardonner la haine que la victime lui oppose37. Paul Ricœur a ainsi enseigné que « l’équation de l’aveu » a pour élément constitutif une dissymétrie entre la bassesse de l’infraction et la hauteur du pardon, formant ainsi une « force invisible » les unissant38. Si le pardon ne pouvait être accordé au coupable par la victime, ce binôme aura tout au moins pu comprendre les contours de l’infraction et les conséquences qui l’accompagnèrent. Rien n’inspire mieux la pacification des rapports humains que la conversion des maux en parole. « Tout comprendre rend très indulgent »39, avait affirmé un personnage Germaine de Staël… Par le prisme de l’aveu, la médiation permet une véritable gestion post-sentencielle du conflit.
Il existe notamment deux autres procédures accélérées qui intéresseront notre propos : la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (désormais la CRPC) et la composition pénale.
Introduite par la loi du 9 mars 2004, la CRPC permet au procureur de la République de proposer une peine à un individu avouant la commission d’un délit, sans en ouvrir les poursuites.
Introduite par la loi du 23 juin 1999, la composition pénale compte également parmi les procédures alternatives aux poursuites. Le procureur de la République peut la proposer à toute personne majeure reconnaissant un ou plusieurs délits, punis d’une amende ou d’une peine n’excédant pas 5 années d’emprisonnement, avant que l’action publique n’ait été déclenchée40.
Ces procédures alternatives aux poursuites, que l’on intègre en droit positif, invitent à penser que l’on assiste à « l’avènement d’un modèle procédural parallèle »41. Ces changements, on le sait, ne sont pas anodins ; ce phénomène traduit une recomposition des rapports entre la société et l’État en matière de gestion de conflits42.
Mais ces trois procédures ne sont-elles pas un moyen de faciliter l’aveu43 en permettant à l’accusé de s’abandonner au calcul de ses intérêts ? La CRPC en est un exemple. Même si l’homologation de l’accord par le juge reste une garantie nécessaire du contrôle de la qualité de l’aveu, l’innocent, quelque peu craintif, pourrait être tenté d’être condamné à une peine de moindre ampleur que celle qu’il encourrait si les poursuites étaient ouvertes par le ministère public. Cette dérive potentielle pourrait également s’accentuer si la proposition de CRPC intervenait au cours de la garde à vue et bien avant que l’officier de police judiciaire n’ait reçu les aveux du coupable44. Cette incitation à avouer n’est cependant pas tout à fait un plaider-coupable. « Rien n’est plus étranger à un public français que la possibilité de transiger avec la justice pour éviter une condamnation et échapper ainsi à la confrontation avec la loi comme le permet l’institutionnalisation du plea bargaining aux États-Unis »45. Certes, il existe une parenté certaine entre la CRPC française et le plea bargaining américain46, mais la CRPC est un « plea sans bargaining »47. Le système de common law implique un accord sur la peine négocié entre l’accusé et le procureur48. Le droit français s’inscrit dans une tout autre démarche ; le procureur propose une peine et l’accusé dispose de 10 jours de réflexion au cours desquels la détention provisoire peut intervenir exceptionnellement dès lors que la peine encourue est supérieure à 2 ans d’emprisonnement ferme49. Au cours de l’entretien avec le procureur de la République, l’avocat peut cependant arguer en faveur d’une peine moins lourde en se fondant sur les antécédents du coupable, sur sa situation personnelle ou encore sur sa personnalité50. En l’absence de véritable négociation, la tentation d’avouer s’amoindrit. Mais cela ne l’évince cependant pas et il ne semble pas erroné de préciser que l’accord qui en résulte relève bien souvent du « calcul d’intérêt »51. La parole du coupable s’inscrit alors au cœur d’une nouvelle forme de justice, plus individualisée. À plus forte raison en étant l’élément nécessaire à la mise en œuvre de certaines procédures accélérées, l’aveu y remplace le débat sur la culpabilité52, car, comme au Moyen Âge, ces procédures permettent d’échapper au procès. En avouant, le coupable lève une option53. Un gain de temps précieux est ainsi permis en écartant le débat judiciaire classique. L’aveu entre alors dans une nouvelle configuration des modalités de jugement, laquelle est fondée sur le consentement54.
La victime pourrait aussi être tentée d’accepter, à contre-cœur, une conciliation pour éviter le temps d’attente d’un procès55. Cette justice alternative n’est plus uniquement restaurative car une logique de célérité du procès pénal s’y est jointe56. On voit ici apparaître les limites de cette pratique. La logique conciliatrice et réparatrice du haut Moyen Âge prenait place dans un tout autre contexte, celui de communautés de faible ampleur géographique, solidaires et unies par un réseau de pouvoir qui leur était propre. Or, aujourd’hui, à l’échelon national, les MARC ouvrent la voie du calcul d’intérêt, du côté du coupable comme de celui de la victime, rompant ainsi très fortement avec cette logique réparatrice.
Leur mise en œuvre, toutefois, révise en profondeur les modes de gestion des conflits. Il ne faut pas oublier que, malgré les écueils qui accompagnent toute entreprise de conciliation, ces procédures permettent d’éviter le classement sans suite de nombreuses affaires, gérant ainsi plus de dossiers conflictuels que ne le faisait la procédure classique.
En conclusion, la mise en place des MARC dans la procédure pénale française est encore soumise à débat. On leur attribue facilement des vertus pacificatrices, qui relèvent toutefois davantage d’un idéal à atteindre que d’une réalité procédurale ancrée dans la tradition judiciaire. C’est en cela qu’ils se montrent héritiers de leur conception altimédiévale.
Référence : AJU005p6

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