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L’avenir du fonds commun de placement : comment faire d’un instrument de gestion capitaliste un outil d… – Actu-Juridique.fr

La finance durable est un enjeu important de la lutte contre le dérèglement climatique. Le fonds commun de placement, en tant que principal outil d’investissement collectif du droit français, possède un régime juridique permettant d’influer sur l’activité des entreprises. D’autres leviers doivent cependant être actionnés pour aboutir à un résultat satisfaisant.
NDA –L’auteur remercie Alix Faure (AFG) et Julien Lefournier pour leurs réponses à ses questions.
1. Lors de la dernière conférence des parties pour le climat (COP 26), qui se tenait à Glasgow, le secrétaire général des Nations unies a exhorté les participants à réagir face à la menace du changement climatique : « Chaque pays, chaque ville, chaque entreprise, chaque institution financière doit radicalement, avec crédibilité et de façon vérifiable réduire ses émissions et décarboner ses portefeuilles, en commençant tout de suite »1. Parmi les organisations visées par son appel, une catégorie ressort de manière étonnante : les institutions financières. En effet, ces organismes ne sont directement responsables que d’une très faible part des émissions de gaz à effet de serre. Mais c’est leur place au sein du système économique qui les rend centrales dans l’objectif de transition écologique. Par les choix de financement qu’elles opèrent, elles peuvent orienter l’activité productive vers une décarbonation progressive du système dans son ensemble.
2. Les institutions financières regroupent un panel d’entités dont les rôles diffèrent : certaines produisent de la monnaie et offrent des financements aux entreprises, d’autres assurent les activités économiques, d’autres encore ont pour fonction de réguler et stabiliser le système pour éviter son implosion. Celles qu’on appelle « investisseurs institutionnels » ont pour fonction de collecter le capital de petits épargnants pour l’investir sur les marchés financiers et le faire fructifier au bénéfice de leurs clients. Leur but n’est pas de prendre le contrôle de l’entreprise émettrice, c’est pourquoi ils ne détiennent qu’une part limitée du capital social, rarement supérieure à 10 %. Pourtant, leur poids financier leur donne une importance considérable. À titre d’exemples, la société BlackRock détenait 9 464 Md€ d’encours en septembre 2021, et la société Amundi (plus gros gérant d’actifs en Europe) administrait 1 729 Md€ fin 20202.
3. Juridiquement, ces organismes peuvent prendre de nombreuses formes. Deux sont particulièrement courantes en France, parce qu’elles s’adressent au grand public et sont ouvertes à tout investisseur. Pour les désigner, on parle d’organismes de placement collectif de valeurs mobilières (OPCVM)3. Les OPCVM peuvent être des sociétés d’investissement à capital variable (SICAV) ou des fonds communs de placement4. Les premières ont une nature sociétaire, alors que les seconds ont un statut plus équivoque. Les encours des OPCVM de droit français représentaient 899 Md€ en septembre 20215. Il s’agit d’un montant très important, et la majorité des OPCVM étant des fonds communs de placement6, la question de leur rôle dans la transition écologique se pose.
4. Pour y répondre, la notion de « finance durable » (ou « finance responsable ») est en plein essor. Le terme ne recouvre pas de véritable sens, il signifie simplement que les institutions financières prennent en compte les enjeux de développement durable dans leurs stratégies d’investissement7. Sa logique est la suivante : l’objectif est de réorienter les investissements vers des activités bénéfiques pour l’environnement ou, a minima, neutres en émissions de gaz à effet de serre, plutôt que de financer des entreprises polluantes. Pour cela, les acteurs parient sur la prise de conscience de la population en général, dont les acteurs des institutions financières, qui préféreraient promouvoir des activités vertueuses si on leur en donne l’opportunité. Pour prouver leur engagement, les gérants de fonds dotent leurs produits de l’appellation « investissement socialement responsable » (ISR), censée représenter la prise en compte de critères extra-financiers dans les décisions d’investissement8. Cette stratégie est cependant critiquée pour son manque d’efficacité et le risque de greenwashing qu’elle présente9. Pire, certains alertent sur le fait que la finance responsable ne serait en réalité qu’un leurre et un argument marketing incapable d’inciter véritablement à la transition écologique10. En réponse à ces critiques, les acteurs du secteur intègrent de nouvelles normes, qu’il s’agisse de soft law ou de réglementations européennes ou internes. Mais ces dernières se concentrent uniquement sur un aspect du problème : la transparence des informations données par les émetteurs aux gérants de fonds, et par ces derniers aux épargnants11.
5. Il nous semble pourtant que le droit a un rôle à jouer dans la transition écologique, et d’autant plus dans le secteur financier. Dans cette optique, la nature juridique du fonds commun de placement peut être un atout. Tout comme le droit des sociétés, il est perméable aux enjeux de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) et son organisation peut permettre d’agir sur les investissements réalisés. Plus globalement, les évolutions du droit positif en matière de finance durable sont encourageantes mais doivent se poursuivre de manière plus audacieuse. La réorientation des investissements vers des activités plus vertueuses ne pourra se faire sans intervention normative.
6. Quatre leviers peuvent être mobilisés pour atteindre cette finalité. Le premier est celui de la transparence (I). Il est nécessaire que les investisseurs puissent identifier et évaluer les fonds qui adoptent une stratégie sincère de finance durable, ce qui implique de développer des outils assurant cette transparence. Le deuxième est celui de « l’activisme financier » (II). Une fois les investisseurs informés, ceux-ci doivent s’impliquer pour influer sur la gouvernance des entreprises émettrices de produits financiers. Le troisième est le contrôle de l’action des gérants de fonds (III). Les porteurs de parts et les organes de contrôle doivent disposer de moyens pour agir sur les décisions et le comportement des sociétés de gestion. Enfin, le dernier levier est celui des incitations externes (IV). Il est probable que, même informés, les investisseurs ne s’impliquent pas particulièrement dans la finance durable et que leurs objectifs diffèrent. L’intervention normative serait dans ce cas nécessaire pour réorienter efficacement les investissements.
7. La première étape de ce processus est donc de pouvoir identifier les émetteurs de produits financiers dits « verts », afin que les sociétés de gestion puissent sélectionner les actifs correspondants et qualifier les fonds qu’elles proposent de vertueux. D’importantes avancées ont eu lieu en ce sens ces dernières années12.
8. La première est l’adoption par les acteurs du secteur de principes d’investissement responsable. L’initiative vient des Nations unies13 et a rapidement été suivie par la création d’un code de bonne conduite, appelé code de transparence AFG-FIR (du nom des deux associations qui en sont à l’origine)14. La société Novethic a ensuite créé un label ISR pour les fonds se réclamant de cette orientation15. D’autres labels ont vu le jour dans le but de rassurer les investisseurs, et certains plaident pour la création d’un label public européen16. Le but de ces initiatives est d’inciter les sociétés de gestion qui prétendent tenir compte de critères extra-financiers dans leurs décisions d’investissement à être transparentes sur la méthode pour ce faire et sur leur action en ce sens. Cependant, le risque est grand d’utiliser l’investissement responsable comme un simple argument marketing, d’autant plus que les principes éthiques sont vagues, et que les exigences des différents labels sont critiquées pour leur laxisme et leur complexité17. Certains critères d’attribution ne sont pas véritablement pertinents, ce qui permet à une entreprise comme Total de pouvoir s’affirmer comme étant « verte » parce qu’une partie très minoritaire de son activité porte sur les énergies renouvelables18. Le droit européen tente d’améliorer ces outils en imposant de plus en plus de transparence et en créant une taxonomie permettant d’harmoniser les critères d’identification des actifs « verts »19.
9. Dans le même esprit, un nouvel outil nommé « obligation verte » a vu le jour dans la pratique20. Certaines obligations échangées sur les marchés financiers sont qualifiées de « vertes » parce qu’elles ont pour but le financement d’une opération profitable à la réduction des gaz à effet de serre. Des mécanismes de contrôle sont censés être mis en œuvre pour s’assurer de l’effectivité de l’affectation des fonds à la bonne activité21. Des auteurs22 et associations23 alertent sur l’hypocrisie du procédé, celui-ci n’ayant aucun impact sur la réduction des gaz à effet de serre puisqu’il est possible pour une entreprise polluante de demander des fonds pour une activité spécifique (par exemple, le déploiement d’une éolienne) tout en continuant à exercer son activité principale en parallèle en affectant d’autres fonds à ce projet. Du côté de l’investisseur, il n’y a aucune différence entre le financement de l’activité « verte » par rapport au financement de l’activité polluante auprès du même émetteur, le risque et la rentabilité étant les mêmes dans les deux situations (le débiteur étant identique)24.
10. Le législateur s’est également emparé de la problématique de la transparence, en imposant dès 2001 une obligation d’information ayant pour objet la prise en compte de considérations sociales et environnementales. Limitée d’abord à certains organismes, elle a été étendue à tous les OPCVM en 201025. Elle est désormais inscrite à l’article L. 533-22-1 du Code monétaire et financier. Ce texte n’impose pas seulement une obligation de transparence à l’égard de l’investisseur, mais également d’effectivement prendre en compte des critères de gestion extra-financiers26. Ce dispositif manque néanmoins d’efficacité dans la mesure où l’objet de l’information à transmettre est vague et où c’est à l’émetteur de fixer lui-même les méthodes de détermination des critères extra-financiers, des objectifs à atteindre et de la stratégie à mettre en œuvre pour le faire27.
11. En résumé, les évolutions actuelles vont dans le bon sens mais demeurent trop timides pour être véritablement efficaces. Les informations à disposition des investisseurs sont vagues, opaques et partielles. Vagues parce que les exigences des labels et de la loi sont très souples, ce qui donne la possibilité à certains émetteurs de se faire passer pour plus « verts » qu’ils ne sont28. Opaques en raison de la multitude d’informations à disposition. Les critères de désignation des entreprises durables sont complexes et mal connus, et d’autant plus difficiles à appréhender pour des petits épargnants, qui doivent s’en remettre aveuglément aux sociétés de gestion qui les sélectionnent29. Partielles parce qu’elles qualifient uniquement les produits « verts ». Or une taxonomie véritablement efficace dans l’objectif de réorientation des investissements, dont le but serait d’informer clairement les investisseurs qui souhaitent privilégier les activités non polluantes, devrait nécessairement se doter d’une qualification pour les produits néfastes30. Un épargnant qui voudrait s’assurer que son investissement finance exclusivement des activités vertes ne se sentirait-il pas floué en apprenant que le fonds en qui il a placé sa confiance comprend des obligations vertes émises par une entreprise comme Total31 ?
12. Une information claire et transparente à disposition des épargnants est donc la première étape pour atteindre l’objectif de réorientation des investissements. Elle n’est toutefois pas suffisante, car la transparence des informations n’est qu’accessoire dans le comportement des sociétés de gestion, qui restent majoritairement influencées par l’objectif de rentabilité financière et les demandes des investisseurs32. Ce sont donc ces éléments qu’il convient d’analyser.
13. Pour mieux comprendre les éléments qui vont suivre, il convient d’apporter quelques précisions quant à la nature juridique du fonds commun de placement. Il trouve son inspiration au sein des trusts anglo-saxons, dans lesquels de petits épargnants se regroupent pour confier leurs économies à des spécialistes de la gestion financière33. Il est introduit en France dans un décret de 195734, mais son véritable essor a lieu après l’adoption de la loi n° 88-1201 du 23 décembre 198835. Aujourd’hui, la réglementation interne des fonds communs se partage entre le Code monétaire et financier et le règlement de l’Autorité des marchés financiers. Néanmoins, la source la plus importante de normes dans le domaine reste le droit européen, qui vise à harmoniser les règles financières au niveau de tout le territoire de l’Union européenne36. C’est toutefois le Code monétaire et financier qui donne la définition du fonds commun de placement37. Ses principales caractéristiques sont les suivantes :
1) il n’a pas la personnalité morale ;
2) il s’agit d’une copropriété ;
3) il n’est pas soumis aux régimes de l’indivision et de la société en participation.
Son régime ne donne pas beaucoup plus d’indices quant à sa nature juridique : l’actif du fonds est géré exclusivement par la société de gestion38 et les porteurs de parts (copropriétaires) n’ont aucun pouvoir de gestion ; ils ne peuvent pas non plus révoquer la société de gestion ni demander le partage du fonds ; mais ils récoltent directement le fruit de la gestion du fonds (lorsque celui-ci prévoit une distribution).
14. Ces règles contradictoires ont donné lieu à des appréciations divergentes de la doctrine. Une partie y a vu une fiducie, dans la mesure où une personne (la société de gestion) est chargée de gérer des biens (les valeurs contenues dans le fonds) au profit d’une autre (les porteurs de parts)39. Cependant, la fiducie au sens classique implique un transfert de propriété envers le fiduciaire. Or dans le cas du fonds commun, aucun transfert de propriété n’a lieu, puisque les porteurs de parts sont bien à la fois propriétaires et bénéficiaires de la gestion. Par ailleurs, il ne semble pas non plus que les règles de la fiducie des articles 2011 et suivants du Code civil (dont la proximité avec la fiducie classique est discutable) aient vocation à s’appliquer40. D’autres auteurs ont rejeté la qualification de copropriété et y ont vu une personne morale, le fonds appartenant à la société de gestion41 ou étant lui-même une personne juridique42. Là encore, cette interprétation contredit directement les dispositions légales. Enfin, certains ont proposé d’utiliser des notions plus originales. Un auteur parle ainsi d’une indivision spéciale et d’un « faisceau de contrats »43 tandis qu’une autre préfère l’idée d’un fonds financier, propriété des porteurs de parts et faisant l’objet d’un contrat de location-gérance avec la société de gestion44.
15. La doctrine majoritaire contemporaine tend à considérer que le fonds commun de placement n’est rien d’autre qu’un patrimoine d’affectation sui generis, approprié par les porteurs de parts mais géré par la société de gestion, qui les représente45. Adopter cette approche nécessite cependant d’accepter certains principes qui ne sont pas familiers au juriste civiliste. D’abord, qu’il est possible d’être propriétaire sans avoir aucune prérogative sur un bien, et inversement d’avoir des prérogatives importantes sur un bien sans en être propriétaire46. Ensuite, qu’il est possible de constituer un patrimoine d’affectation, comprenant un passif propre duquel répond un actif propre, et qui n’est pas rattaché à une personne juridique unique47. Enfin, qu’une entité peut représenter plusieurs copropriétaires d’un patrimoine non personnifié en engageant ce dernier aux actes conclus sans avoir à nommer tous les copropriétaires48.
16. La reconnaissance de cette nature spécifique du fonds commun implique un certain nombre de conséquences importantes sur son régime, qui peuvent avoir un intérêt tout particulier pour l’objectif de la finance durable. En effet, parce que la société de gestion est simplement gestionnaire des fonds sans en être propriétaire, elle est contrainte de les administrer dans l’intérêt des porteurs de parts, en respectant leur volonté49. Son rôle dans la finance durable se précise alors.
17. Admettons qu’un fonds soit créé dans un objectif assumé de participer à la finance durable, et que les actifs vertueux puissent être identifiés. De quelle manière la société de gestion peut-elle agir pour participer à la réorientation des investissements ? La première réponse, évidente, est dans le choix des actifs composant le fonds. La qualification ISR, au regard de laquelle les porteurs de parts ont acquis leur participation, et les règles relatives à la composition de l’actif inclues dans le règlement du fonds lui imposent de ne sélectionner que des produits conformes aux objectifs de la finance durable (ou au moins une certaine proportion)50. Prenons l’exemple du fonds ODDO BHF Avenir Europe, labellisé ISR51. Ce fonds est spécialisé dans les petites et moyennes capitalisations françaises. La stratégie d’investissement impose d’abord un screening négatif, refusant d’investir dans des émetteurs liés à la production d’énergie fossile. De plus, elle use d’une sélection best in universe, qui consiste à choisir les actifs présentant les meilleures performances ESG tous secteurs confondus (hormis ceux exclus au préalable). Ce faisant, la société de gestion s’engage à n’investir qu’auprès d’émetteurs intégrant des considérations de responsabilité sociale et environnementale (RSE), au détriment des autres, participant à orienter les financements dans un sens précis.
18. Mais la société de gestion a également une autre carte à jouer : l’activisme actionnarial. Ce terme renvoie à une méthode particulière utilisée par des investisseurs qui acquièrent une participation minoritaire au sein d’entreprises pour en influencer la gestion en usant des mécanismes du droit des sociétés52. On trouve en réalité deux sortes d’activisme actionnarial dont les objectifs sont opposés. À l’origine, il était l’apanage de fonds de pension qui intégraient le capital d’entreprises en difficulté pour les forcer à adopter des mesures drastiques afin d’en retirer une forte rentabilité à court terme. Depuis quelques années, ces méthodes sont utilisées également par des investisseurs souhaitant orienter l’action des entreprises vers une prise de conscience écologique, et limiter ainsi les externalités négatives de leurs activités53.
19. Dans cette optique, la société de gestion occupe une place intéressante pour influer sur la politique des entreprises. La qualité d’actionnaire est attribuée non pas aux porteurs de parts, mais au fonds lui-même, ce qui est assez inhabituel pour une entité non personnifiée54. Or c’est la société de gestion qui agit au nom du fonds, et qui exerce donc les prérogatives d’actionnaire. Si le fonds est engagé dans une démarche ISR, cela doit se traduire dans l’action de la société de gestion au sein des instances de la société, au travers de ses votes, de ses questions aux dirigeants ou de ses résolutions en assemblée55. D’autant plus que la loi lui impose de voter aux assemblées56 et d’inclure dans le reporting extra-financier son action en termes d’engagement actionnarial57.
20. La société de gestion n’a pas qu’un rôle à jouer en tant qu’associée. Elle peut pratiquer une forme d’« activisme financier » pour forcer ses débiteurs à respecter les principes de la RSE, dès lors qu’ils s’étaient eux-mêmes engagés à le faire. C’est le cas en matière d’obligation verte : si l’émetteur ne respecte pas l’affectation promise pour les fonds récupérés, il engage sa responsabilité auprès de son créancier investisseur58.
21. Ainsi, la société de gestion a un rôle actif dans l’incitation des entreprises à adopter une démarche RSE. Mais son action n’est possible que si les porteurs de parts le demandent.
22. Quel rôle le porteur de parts peut-il jouer dans ce système s’il souhaite s’impliquer dans l’objectif de la finance durable ? C’est ici que la nature juridique du fonds commun de placement prend toute son importance. Il est défini comme une copropriété appartenant aux porteurs de parts. La société de gestion les représente et doit administrer le fonds dans leur seul intérêt59. La question est alors celle de la détermination de cet intérêt. On pourrait penser que la seule finalité de la société de gestion est de viser la plus grande rentabilité possible pour ses investisseurs. En réalité, de nombreuses limites vont s’appliquer à son action, définies au sein du règlement du fonds. Le règlement est l’acte constitutif du fonds, il est rédigé par la société de gestion qui le commercialise et est agréé par l’Autorité des marchés financiers60. Il fixe les orientations du fonds et sa politique d’investissement. La nature des actifs pouvant intégrer le fonds, le taux de risque que s’engage à respecter la société de gestion, tous ces éléments restreignent l’action de la société de gestion et permettent de déterminer l’intérêt des copropriétaires. Ces derniers adhèrent au fonds en considération de ces conditions, qu’ils retrouvent au sein du prospectus qui leur est délivré à titre d’information61. Si la gestion opérée diffère de la politique d’investissement prévue, la société de gestion engage sa responsabilité envers les porteurs de parts62, et ce même si le résultat est positif pour l’investisseur63. Lorsque le règlement du fonds prévoit une gestion tenant compte de critères ESG, que les investisseurs en sont informés, et que c’est même la raison pour laquelle ils choisissent ce fonds, il y a tout lieu de penser que la solution devrait être identique64. Ainsi, le fait que le fonds soit une copropriété et pas une personne morale n’empêche pas de lui reconnaître un intérêt, assimilé à celui des porteurs de parts, et déterminé en référence au règlement65. Si la société de gestion ne respecte pas les limites qu’elle s’est fixée dans le choix des produits à intégrer au fonds, les porteurs de parts doivent pouvoir la sanctionner.
23. Plusieurs possibilités s’offrent à eux. La manière la plus simple de protester contre la gestion d’un fonds est de retirer sa mise et de vendre ses parts. Les porteurs peuvent demander leur rachat à tout moment66. Cette action est cependant peu efficace si elle est menée par un investisseur isolé. L’engagement de la responsabilité de la société de gestion semble être un choix plus efficace, non seulement en raison de la sanction financière, mais surtout du fait du caractère infamant de la sanction judiciaire. Néanmoins, cette option est aujourd’hui limitée, car les porteurs ne peuvent agir qu’en leur nom propre pour demander la réparation de leur préjudice individuel67. L’action au nom du fonds lui-même est impossible, car ce dernier n’a pas la personnalité morale et ne peut donc pas subir de préjudice propre. Le coût d’une telle action et la faiblesse du résultat espéré peuvent dissuader les porteurs de s’engager dans cette voie. Le préjudice de l’épargnant qui estime que la société de gestion n’en fait pas assez pour respecter ses engagements environnementaux est en effet minime. Pourtant, des solutions existent. D’abord, le recours conjoint d’un grand nombre de porteurs peut donner de l’ampleur à leur demande. Ensuite, la création d’une action de groupe spécifique pourrait se justifier68. Par ce mécanisme, un petit groupe d’investisseurs peut demander la condamnation de la société de gestion en raison d’une faute commise à l’encontre de l’ensemble des investisseurs. Ce type d’actions aurait un effet important sur la responsabilisation des sociétés de gestion et lutterait efficacement contre les risques de greenwashing.
24. L’action des porteurs pour responsabiliser la société de gestion aurait le mérite de l’inciter à agir plus activement pour le développement durable. Encore faut-il que ces derniers le veuillent.
25. La logique de la finance durable comporte une faille importante, qui nuit à la réalisation de son objectif. Elle part du postulat qu’avec la bonne information et l’évolution des consciences, les institutions financières vont se réformer seules et réorienter les investissements vers des activités plus durables. C’est cependant oublier une chose importante : la finalité première de ces institutions est de produire de la rentabilité. Ce constat est d’autant plus vrai pour les investisseurs institutionnels, qui agissent dans l’intérêt de leurs clients. Or, même s’il peut avoir une conscience écologique aiguisée, aucun épargnant n’accepterait que son placement soit à pure perte parce qu’il est bon pour la planète69. Dans ce cas, autant donner directement à une fondation ou une association qui agit pour l’environnement. Le principe de la finance durable est qu’elle doit continuer à produire des bénéfices tout en finançant des activités plus « vertes », au détriment des activités polluantes. Le problème actuel est ailleurs : dans la majorité des cas, une activité polluante est plus rentable qu’une activité vertueuse. Dans cet état des choses, le système financier utilise les outils à sa disposition : mettre le projecteur sur les produits « verts » dès lors qu’ils sont a minima aussi rentables que les autres – quitte à exagérer quelque peu leurs qualités environnementales – ou les abandonner s’ils ne le sont pas.
26. La cause de ce processus se trouve au cœur de la mécanique financière. Elle est liée à une notion venue des États-Unis appelée « responsabilité fiduciaire »70. Elle signifie que le gérant de fonds doit toujours agir dans l’intérêt supérieur de son client, celui-ci étant compris comme la recherche de la plus grande rentabilité possible au risque le plus bas possible. Or le dérèglement climatique représente un risque financier important pour les entreprises, mais pas sur le court terme. Il a vocation à intégrer le calcul risque-rendement réalisé par les sociétés de gestion pour une administration de portefeuille sur le long terme. Le problème est qu’il ne se manifeste pas immédiatement dans les chiffres comptables des émetteurs, et n’est donc pas suffisamment pris en compte par les gérants, quand bien même il serait important pour les porteurs de parts71.
27. Deux voies s’offrent alors pour atteindre l’objectif de la finance durable. La première est la redéfinition de la responsabilité fiduciaire, en y intégrant des considérations extra-financières lorsque les investisseurs le demandent. Mais son efficacité dépend de la bonne volonté des porteurs de parts, et elle est limitée par la nécessité pour la société de gestion d’assurer un minimum de rentabilité. Le législateur peut cependant intervenir pour imposer cette prise en considération. Il serait par exemple envisageable d’exiger dans chaque fonds la présence d’une certaine proportion d’actifs « verts » – à supposer qu’une taxonomie véritablement efficace et transparente voie le jour72. Prenons l’exemple d’un fonds spécialisé dans le secteur de l’énergie. Selon une méthode de sélection à définir (la stratégie best in class étant moins efficace dans la réduction des gaz à effet de serre que la stratégie best in universe), il devrait contenir au moins 10 % d’actifs représentant par exemple des parts de sociétés constructrices d’éoliennes73.
28. La seconde voie s’avérerait en réalité la plus efficace et la plus urgente à mettre en œuvre. L’intervention normative se ferait au niveau du taux de rentabilité. Tout en conservant le principe de la responsabilité fiduciaire, et sans avoir à changer les fondements qui sont à la base du système, il suffirait de rendre plus rentables les actifs « verts » par rapport aux actifs polluants. Cette stratégie est déjà à l’œuvre aujourd’hui, mais elle passe par de mauvais canaux. En effet, pour augmenter la rentabilité des activités vertueuses, de nombreuses aides publiques sont délivrées aux entreprises qui les réalisent. Cependant, l’efficacité de ce mécanisme est limitée, puisqu’elle ne fait que rattraper difficilement la rentabilité des activités polluantes, tout en faisant payer les contribuables à la place des entreprises responsables de la pollution. Les économistes contemporains préconisent une autre voie, et ce depuis longtemps déjà : faire payer les pollueurs en donnant un prix au carbone74.
29. Comment traduire ce principe au sein du système financier ? Cela nécessite en premier lieu de déterminer précisément quels actifs doivent être qualifiés de polluants, ce qui renvoie au problème de l’absence d’une taxonomie négative. Une fois cette première étape réalisée, la taxation semble être la méthode la plus efficace pour le faire. Concrètement, les revenus tirés des fonds communs de placement sont taxés de manière complètement transparente et individuelle : chaque porteur déclare à l’administration fiscale ce qu’il a reçu (en distribution ou en plus-value pour la vente de ses parts), et on lui applique la flat tax de 30 % portant sur les revenus du capital75. En réformant la fiscalité des OPCVM, il serait possible d’atteindre efficacement l’objectif de réorientation des investissements. Imaginons un système de fiscalité opaque, dans lequel la proportion d’actifs qualifiés de « polluants » contenus dans le fonds implique un impôt supplémentaire. La société de gestion aurait tout intérêt à préférer des actifs « verts » ou neutres, afin d’assurer une rentabilité à ses investisseurs. On peut imaginer à l’inverse des crédits d’impôts en cas de détention d’actifs verts, mais la portée concrète de la mesure serait moins efficace (le but de la lutte contre le changement climatique n’est pas de développer les activités durables mais de réduire les activités polluantes). Cette solution aurait l’avantage de la simplicité et ne remettrait pas en cause les fondements mêmes du système financier. Nul doute en revanche que de nombreux obstacles politiques s’y opposeraient. Par ailleurs, un tel mécanisme aurait plus d’efficacité au niveau européen, en raison de la concurrence boursière.
30. Conclusion. Le défi climatique qui est devant nous demande des mesures à la hauteur des enjeux. Le droit financier a un rôle à jouer dans ce combat. Les outils dont il dispose ont l’avantage de la souplesse. Le fonds commun de placement est ainsi particulièrement intéressant, et sa nature ne fait pas obstacle à l’intégration de préoccupations environnementales. Les solutions sont connues (nécessité d’une taxonomie complète et transparente, de recours facilités des porteurs de parts contre la société de gestion, et d’une incitation-prix à la préférence d’actifs « verts »). Il ne manque qu’un peu d’audace pour transformer ces considérations en actions efficaces pour lutter contre les conséquences annoncées du dérèglement climatique.
Référence : AJU003l2

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