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Kourkov – da Empoli : "Le système russe produira un Poutine 2, un Poutine 3, un Poutine 4…" – L'Express

L’Express a réuni le plus célèbre écrivain ukrainien et l’auteur du phénoménal “Mage du Kremlin” pour une analyse percutante du régime russe comme de l’avenir du conflit.
Giuliano De Empoli et Andreï Kourkov à Paris le 23 novembre 2022
Damien Grenon pour L'Express
Ils sont deux fervents Européens, deux romanciers virtuoses, et deux voyants. Andreï Kourkov et Giuliano da Empoli ont beau avoir écrit respectivement Les Abeilles grises (Liana Levi) et Le Mage du Kremlin (Gallimard) avant le début de l’invasion russe, leurs fictions représentent des lectures indispensables pour qui souhaite comprendre la réalité de l’Ukraine comme la vraie nature du régime de Vladimir Poutine.
Auteur ukrainien le plus célèbre dans le monde depuis son best-seller Le Pingouin, Andreï Kourkov est né à Saint-Pétersbourg, travaille en russe, mais a passé la majeure de sa vie à Kiev. Ce satiriste du monde post-soviétique dépeint dans Les Abeilles grises – récompensé par le prix Médicis du roman étrangerles clivages identitaires au Donbass ou en Crimée. Ambassadeur d’une Ukraine tournée vers l’Europe, il vient de publier L’Oreille de Kiev, qui a pour cadre sa “ville bien-aimée” durant la première république ukrainienne indépendante en 1919. Ancien conseiller politique de Matteo Renzi, enseignant à Sciences po, Giuliano da Empoli a, avec Le Mage du Kremlin, signé le roman phénomène de 2022 (déjà 150 000 exemplaires vendus, et un grand prix du roman de l’Académie française à défaut d’un Goncourt qui lui serait allé à merveille). Centrée sur un personnage librement inspiré par Vladislav Sourkov, ancien spin doctor de Poutine, cette plongée dans les arcanes du pouvoir russe met en scène des figurants, comme le sinistre Evgueni Prigojine, désormais connu de tous.
Réunis par L’Express, ces deux polyglottes ont évoqué dans un français fluide la politique de terreur de Poutine, l’avenir de la Russie et la résilience ukrainienne.
L’Express : Incapable de progresser sur le terrain, l’armée russe bombarde les centrales électriques ukrainiennes, condamnant un peuple entier au froid et à l’obscurité. Que vous inspire cet acharnement ?
Andreï Kourkov : Les Russes détruisent tout. La plupart des villages libérés par l’armée ukrainienne sont vides et ruinés. Dans le Donbass, 60 % de la population a fui et ne reviendra pas. Les maisons sont détruites, l’industrie aussi. Cette région pourrait-elle redevenir habitable ? Je n’en suis pas certain. Ce territoire désertique pourrait, à terme, devenir une zone tampon entre la Russie et l’Ukraine.
Poutine veut éradiquer ce peuple, mais aussi les russophones qui comme moi se considèrent comme ukrainiens. Pour lui, les Ukrainiens sont des traîtres qu’il faut punir. Et cette conviction vient de très loin, plus précisément du début du XVIIIe siècle, lorsque le hetman [NDLR : chef militaire] ukrainien Ivan Mazeppa décide de s’émanciper de Pierre le Grand. Il se rapproche du roi de Suède, qui lui promet alors de protéger une Ukraine indépendante. Le tsar russe, s’estimant trahi, le bat à la bataille de Poltava, en 1709. Onze ans plus tard, Pierre le Grand signe le premier décret contre l’identité ukrainienne. Il interdit d’imprimer des textes religieux en Ukraine. C’était sa punition contre la trahison de Mazeppa, et c’est la raison pour laquelle Poutine admire tant Pierre le Grand. Ensuite, la persécution n’a plus cessé. De 1720 à 1917, plus de 40 décrets ont été signés par les tsars successifs contre la langue ukrainienne.
Giuliano da Empoli : Il y a trois dimensions qui me frappent dans cet acharnement russe. D’abord, cette stratégie de la terre brûlée, du chaos et de la destruction, extraordinairement violente et typique de ce que Poutine et l’armée russe ont fait ailleurs. Ensuite, et comme le disait Andreï, une dimension de punition par rapport à tous les Ukrainiens, et peut-être même davantage les Ukrainiens russophones, que Poutine ne peut considérer comme des alliés, car ils n’adhèrent pas à sa stratégie de conquête. Il a donc cette rage, qui débouche sur le génocide actuel dans les territoires qu’il occupe en Ukraine. Regardons les comportements de l’armée russe, encouragés par Poutine qui décore les régiments ayant commis les pires atrocités : les exactions commises sur les populations civiles rappellent celles commises par l’Armée rouge lors de la Seconde Guerre mondiale. Cette violence fondatrice de l’armée russe revient à la surface. C’est choquant et très inquiétant, car cela va au-delà de l’attitude du seul Poutine.
Dans Le Mage du Kremlin, votre personnage, Baranov, dit cette phrase terrible : “La Russie n’est pas un pays comme les autres.” Vous le pensez vraiment ?
G. de E. Pendant des décennies, nous n’avons vu qu’une façade de la Russie. Même si la violence montait et que Moscou menait des guerres (Tchétchénie, Géorgie…), nous restions focalisés sur la façade cosmopolite d’un peuple qui se modernisait, achetait occidental… Cette illusion s’est souvent produite dans l’histoire russe. Dans la relation de son voyage en Russie, au XIXe siècle, l’écrivain français Astolphe de Custine raconte la même chose : “Au-delà de cette façade, il y a quelque chose d’autre qui est très éloigné de nous, très éloigné de l’Europe.” Il y a, certes, un côté européen de la culture russe, mais il y a une autre composante. Cette dualité est bien symbolisée par l’aigle russe, dont les deux têtes regardent chacune d’un côté. Et c’est assez difficile, pour nous Européens, de percevoir cette différence. Aujourd’hui, on la voit peut-être un peu plus…
Pensez-vous que Poutine, depuis son arrivée au pouvoir, en 1999, a évolué ? A-t-il cherché, à un moment donné, à jouer le jeu avec l’Occident ou n’était-ce, justement, qu’une façade ?
A. K. Il a évolué, oui, de façon négative. N’oublions pas qu’avant d’être russe Poutine est membre du KGB. Il ne regarde pas le monde comme nous. Il perçoit tout ce qui se passe dans le monde comme la possibilité de mener une opération spéciale. Son “amitié forte” avec l’Ouest, c’était une opération spéciale pour rendre l’Europe dépendante des oligarques russes ! Londres est dépendant de l’argent russe. Cette opération a pris fin avec l’explosion de Nord Stream 2. Maintenant, il utilise des méthodes beaucoup plus agressives. Aujourd’hui, nous voyons le vrai Poutine, c’est sa vraie personnalité.
G. de E. Les éléments que l’on voit aujourd’hui poussés à leur paroxysme, comme son caractère, sa personnalité, sa violence et même son leadership par rapport à la population russe, étaient présents dès le départ. Mais je ne crois pas pour autant au déterminisme. Poutine est avant tout opportuniste et très cynique. Ces vingt dernières années, il a évolué en fonction des événements. Si ceux-ci avaient pris une direction différente, peut-être aurait-il évolué différemment.
Selon le discours russe, repris par certaines figures occidentales, notamment en France, la Russie aurait été humiliée après la chute de l’URSS, l’Otan, en voulant s’étendre à l’est, aurait provoqué la Russie… Qu’en pensez-vous ?
G. de E : Je ne partage évidemment pas cette vision. Certes, le vainqueur n’a souvent pas assez de curiosité pour le perdant. Après la chute du mur de Berlin, l’Occident n’a pas vu, pas compris et pas eu la curiosité de regarder le point de vue russe. Des erreurs ont certainement été commises, comme les vainqueurs de la Première Guerre mondiale avaient commis des erreurs après la fin du conflit avec l’Allemagne. Mais ces erreurs justifiaient-elles Hitler et les camps de concentration ? Non, évidemment.
Giuliano De Empoli et Andreï Kourkov à Paris le 23 novembre 2022
© / Damien Grenon pour L'Express
Comment expliquez-vous le grand silence du peuple russe ? Est-ce la propagande ? La peur ? Pourquoi n’y a-t-il pas de Sakharov aujourd’hui en Russie ?
A. K. C’est une bonne question, je la pose souvent aux Russes. L’époque de l’Union soviétique était dangereuse, les lois très agressives, mais il était très rare qu’un dissident soit tué en plein jour par le KGB. Il était emprisonné, emmené en hôpital psychiatrique, mais pas tué. Aujourd’hui, la peur est l’instrument principal. Les Russes vivent dans un pays sans lois, où tout est dirigé, de façon arbitraire, par les services secrets. Et ceux qui vivent à l’étranger sont, eux aussi, terrifiés : les services secrets russes ont, officiellement, le droit de supprimer ceux qu’ils pensent être des ennemis de l’Etat. On l’a vu avec les dissidents Alexandre Litvinenko et Sergueï Skripal, ou les journalistes russes partis en République centrafricaine.
G. de E. C’est un côté que l’on ne voit pas souvent du pouvoir de Poutine : sa capacité à démobiliser, à promouvoir l’apathie et le cynisme. Poutine ne cherche pas à convaincre, mais à suggérer que tout est manipulé et qu’il n’y a pas de vérité. Pour la neutraliser, ses services diffusent cinq ou six versions d’un fait. Cette confusion est le meilleur moyen de ne pas comprendre ce qui s’est réellement passé. Cette technique de manipulation, importante pour le pouvoir de Poutine, remonte à l’époque soviétique : tout le monde savait que le pouvoir mentait, on faisait semblant d’y croire, même si personne n’était dupe.
Et l’on ne remettait pas en cause ce que vous appelez, dans votre roman, la “verticalité du pouvoir”.
G. de E. Oui, ce culte de la verticalité a des racines profondes en Russie. L’une des grandes raisons de la popularité de Mikhaïl Gorbatchev à l’étranger était la présence fréquente, à ses côtés, de sa femme Raïssa, “First Lady à l’occidentale”. Celle-ci exerçait une certaine influence, et cela plaisait beaucoup aux Européens. A l’inverse, les Russes ne supportaient pas de le voir s’afficher avec son épouse, car pour eux, le “tsar” doit régner seul. C’est une question de verticalité. Il ne peut pas être influencé ou conditionné par d’autres, susceptibles d’exercer un pouvoir sur lui. Plus tard, Poutine a pris garde à ne pas reproduire ce modèle. Il ne s’est jamais montré avec sa femme. Toujours cette exigence de montrer un leadership très fort.
En face, on trouve le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, rompu dans l’art de la communication. Comment le percevez-vous ?
A. K. C’est un comédien, il s’adresse très bien au public occidental. En Ukraine, il est soutenu par la majorité des Ukrainiens, moins par les intellectuels, qui lui reprochent d’avoir placé au pouvoir beaucoup de gens issus du show-business. Cela dit, les Ukrainiens n’ont pas le même rapport au pouvoir que les Russes. Ils n’ont jamais eu de tsar pour les gouverner. Il n’y avait pas davantage de familles royales en Ukraine. La société ukrainienne est une anarchie bien organisée et démocratique. La peur n’est pas, comme en Russie, cruciale pour la stabilité du pays, ce qui explique que les Ukrainiens n’aient, traditionnellement, pas un immense respect pour leurs politiciens. Aujourd’hui, le héros le plus populaire du pays est certainement le général Valeri Zaloujny, le commandant des forces armées ukrainiennes.
G. de E. Il y a toujours un grand décalage dans la perception que l’on a d’un dirigeant selon que l’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. C’est normal, et c’est certainement le cas pour Volodymyr Zelensky. Certes, le président ukrainien est un ancien comédien, mais rappelez-vous ce que répondait l’ancien dirigeant américain Ronald Reagan quand on lui demandait comment, d’acteur, il avait pu devenir président des Etats-Unis : “Je ne vois pas comment quelqu’un qui n’est pas acteur pourrait remplir cette fonction.”
Comment considérez-vous l’attitude de l’Europe dans cette crise ? Voudriez-vous qu’elle aille plus loin ?
A. K. La guerre a obligé l’Europe à repenser les valeurs européennes et les valeurs démocratiques. Durant ces vingt-cinq dernières années, l’Europe était devenue hypocrite. Le profit semblait toujours plus important que les valeurs, la liberté et la démocratie. Le fait que la chancelière allemande Angela Merkel ait lancé la construction du gazoduc Nord Stream 2 après l’annexion de la Crimée a par exemple indiqué qu’elle acceptait que Poutine puisse haïr l’Ukraine, attaquer la Géorgie et envoyer l’armée privée Wagner en Syrie, au Mali et en République centrafricaine…
G. de E. Andreï a raison, il y a eu un certain cynisme européen. Cependant, il y avait aussi cette grande idée européenne que l’on résoudrait désormais nos conflits à travers le commerce, comme avec des lois et des traités, et que ce modèle-là avait le potentiel pour être universel. C’était très naïf, mais il y avait cette volonté de grandir ensemble. Mais, aujourd’hui, nous sommes renvoyés à une brutalité et une violence absolues. Les Européens sont forcés de voir que les sanctions économiques ne suffisent pas. Il faut des armes, il faut s’opposer militairement. Dans l’idéal européen, c’est quelque chose de traumatisant. Il sera difficile de reconstruire le projet européen sans cette belle idée. Comment va-t-on réussir ? Je ne sais pas.
Comment voyez-vous l’avenir du conflit ? Est-il temps de négocier avec Poutine, comme le suggèrent, de plus en plus fort, certaines voix occidentales ?
A. K. Je ne pense pas qu’il soit possible de négocier avec lui, car il n’est pas responsable de ses mots. La veille de la guerre, il disait encore qu’il n’attaquerait pas l’Ukraine. Mais avec qui négocier, alors ? Il n’y a personne, au sein du pouvoir russe, avec qui parler… Et si Poutine est remplacé, le système russe produira un Poutine 2, un Poutine 3, un Poutine 4…
G. de E. Poutine et le système russe ne comprennent que le langage de la force. On ne peut donc mettre fin à cette guerre avec des mots ou des poignées de main, mais par la force. Seule la défaite russe peut, selon moi, provoquer une réaction. Si l’on regarde d’ailleurs les mouvements profonds de la société russe, on se rend compte que les seules révolutions qui se sont produites dans ce pays l’ont été après des guerres perdues, en 1905 ou en 1917.
Et qui pour le remplacer ?
G. de E. Poutine est le fruit d’une erreur de casting. Le système pensait pouvoir le contrôler, mais il était plus fort qu’on ne l’avait imaginé. Aujourd’hui, Poutine s’entoure de gens faibles, tel Dmitri Medvedev. Mais se trompe-t-il, à son tour, sur des membres de son entourage ? Pour lui succéder, on peut imaginer quelque chose de plus collectif. Pas un seul individu, mais une sorte de junte… Ce qui est sûr, c’est que le futur pouvoir ne sera pas européiste.
Certains proches de Poutine sortent du bois aujourd’hui, tel le chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, qui s’apprêterait à lancer un mouvement conservateur…
A. K. Prigojine, c’est Poutine en version sauvage, un Poutine des forêts qui sait utiliser les forces criminelles pour contrôler la société civile. Dans ses idées, il est plus proche du stalinisme que d’un autre régime. Il assume même le fait de tuer ses propres hommes ! N’a-t-il pas hésité à faire exécuter une quarantaine de déserteurs par ses propres camarades, d’une manière particulièrement cruelle ? Oui, un homme comme Prigojine pourrait devenir un nouveau Poutine. Et être l’avenir de la Russie…
Ce conflit a-t-il changé votre rapport à la littérature ?
A. K. J’ai l’habitude d’exister dans deux mondes au même moment : le monde réel et le monde littéraire, c’est-à-dire le monde que j’invente pour écrire un roman. Mais, depuis le 24 février, je suis coupé de ce monde inventé. Je ne peux pas me détacher de la réalité et de l’actualité. Chaque matin, j’appelle ou j’envoie des messages à ma famille et mes amis pour savoir comment ils vont. Je suis tous les événements. A l’heure où je vous parle, il n’y a pas d’eau ou d’électricité à Kiev. Même la Moldavie a été touchée par les pannes. Face à cette actualité dramatique, je ne peux pas penser à mes héros et à mes personnages.
G. de A. Pour moi, c’est exactement le contraire ! J’ai passé plusieurs années en compagnie des personnages de mon livre, des figures du régime russe qui sont quand même assez désagréables. Je pensais m’en libérer après avoir publié ce roman. Mais impossible d’y échapper, ils sont omniprésents dans l’actualité. Il y a quelques années, Vladislav Sourkov m’apparaissait comme un personnage romanesque. C’était déjà un “méchant”, mais il était aussi féru de théâtre d’avant-garde et présentait un profil atypique pour un homme de pouvoir. J’ai écrit Le Mage du Kremlin dans un autre contexte. Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, je n’en aurais plus envie…
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