L’illettrisme touche 2,5 millions d’individus en France et, selon l’ANLCI (Association nationale de lutte contre l’illettrisme), la moitié d’entre eux ont été scolarisés, parlent français et exercent une activité professionnelle. Mais ne maîtrisent pas les fondamentaux de la lecture, de l’écriture ou du calcul. BTP, propreté, gardiennage, sécurité… Toutes les branches employant un grand nombre de personnes peu qualifiées sont concernées. Dans les domaines les plus exposés, comme l’industrie agroalimentaire, jusqu’à 10 % des effectifs seraient en situation d’illettrisme.
Toujours tabou, le problème n’est souvent révélé qu’au moment d’une réorganisation ou d’un changement de procédures. La simple introduction d’un reporting dans les tâches peut devenir insurmontable pour certains. Ce que le salarié avait réussi jusque-là à cacher, en s’appuyant parfois sur la solidarité des collègues, éclate au grand jour.
En dehors des périodes de transformation révélatrices, il existe des « signaux faibles » permettant de repérer ces personnes en difficulté. L’un des indices récurrents : elles ne demandent jamais de formation ou n’y participent pas. « Un sentiment de honte les pousse à développer des stratégies d’évitement en manquant les entretiens annuels ou en se mettant dans les équipes de nuit, par exemple », complète Nadine Grédy, déléguée générale de l’association Stopillettrisme insistant sur la nécessité de sensibiliser les chefs d’entreprise à une problématique encore « sous les radars ».
Les coûts importants générés par l’illettrisme doivent ainsi être mis sur la table. Pascal Moulette, enseignant-chercheur à l’université de Lyon 2, les estime à « entre 2 et 6 % de la masse salariale de l’entreprise », selon le secteur d’activité et le nombre de collaborateurs. Un cahier des charges mal assimilé peut perturber la chaîne de production, engendrer une dégradation de la qualité ou obliger la mise à la benne de produits. Cleany , une société de nettoyage de bureaux qui compte 400 salariés, tente d’anticiper le problème. Notamment en équipant ses agents d’une application basée sur l’usage de pictogrammes de manière à permettre la remontée d’informations sans nécessairement bien maîtriser le français.
Une fois les individus en difficulté identifiés, le plus dur commence. Comment leur proposer une formation sans les pointer du doigt ? Imposer brutalement un retour sur les bancs de l’école est souvent contre-productif. Car les formations qualifiantes d’apprentissage du français ou du calcul sont longues, 150 heures en moyenne. « Pour que le salarié ait une chance de suivre sa formation jusqu’au bout, prenons le temps de lui faire comprendre tous les bénéfices qu’il peut en tirer, tant sur le plan professionnel que dans la vie de tous les jours », souligne Nadine Grédy de Stopillettrisme. De son côté, l’entreprise Cleany envisage de mettre à la disposition de ses employés une plateforme numérique donnant accès à des sessions d’apprentissage à distance du français.
« Avant de traiter frontalement l’illettrisme, mieux vaut plutôt redonner confiance à la personne en agissant sur les situations auxquelles elle est confrontée quotidiennement à son poste de travail, assure Pascal Moulette. Il s’agit de créer un déclic pour aller ensuite vers une formation plus lourde. » A ce stade, les missions locales, Pôle emploi ou des associations peuvent aider l’employeur à trouver la formation adéquate après une évaluation du niveau.
Pour mettre le salarié dans les meilleures conditions, Stopillettrisme oriente vers des dispositifs par groupe de huit personnes maximum. La formation a lieu sur les heures de travail. Autre condition du succès, selon l’association, la présence d’un tuteur individuel qui mettra en confiance le salarié et qui alertera en cas de décrochage.
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