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Comment Zipline redéfinit la délivrance des soins de santé en Afrique – Afrique XXI

Après avoir fait ses preuves sur le continent africain, au Ghana et au Rwanda notamment, la firme californienne est en passe d’investir le marché américain de livraison de médicaments par drones. Une activité qui a tout pour plaire, dans la mesure où elle peut sauver des vies, mais qui soulève nombre de craintes quant à l’utilisation des données amassées.
Le 21 juin 2022, l’entreprise américaine Zipline, connue pour ses services de livraison par drones de produits médicaux en Afrique, a annoncé avoir reçu la certification de transporteur aérien (Air Carrier) de la Federal Aviation Administration (FAA), afin de développer sa logistique instantanée automatisée à la demande aux États-Unis. Zipline est la première entreprise de drones à obtenir cette certification dans le cadre du programme Beyond lancé le 26 octobre 2020 et visant l’intégration sécurisée des drones dans le système de transport aérien américain. Désormais, la firme, basée en Californie, pourra faire voler ses drones au-delà de la visibilité directe (Beyond Visual Line of Sight) et effectuer des livraisons dans le ciel américain avec des opérations couvrant la plus grande zone (classe D) et la plus grande distance de tout système de livraison de drones autonomes.
Cette certification lui permettra de jauger la demande du public pour sa technologie et d’évaluer si son expansion est possible aux États-Unis ; ou encore d’apprécier la réaction des communautés locales dans les régions où elle entend opérer. C’est de son centre de distribution de Kannapolis, en Caroline du Nord, que Zipline compte desservir ses clients grâce à ses partenaires tels que Novant Health, Magellan Rx Management et Cardinal Health.
Décrocher une telle certification a été pour Zipline une véritable gageure. On ne peut comprendre cette reconnaissance de la FAA sans évoquer l’histoire africaine du développement de ses infrastructures technologiques, son ambition dans la gouvernance de la santé et les controverses que ses pratiques suscitent. L’histoire du développement des drones médicaux de Zipline rappelle en effet une autre histoire, celle de la biométrie aujourd’hui déployée à l’échelle planétaire mais dont les origines sont à rechercher dans l’histoire profonde de l’identification en Afrique du Sud, que l’historien Keith Breckenridge a bien documentée. Dans son livre Biometric State1, Breckenridge montre comment la biométrie, en tant que science statistique qui recourt aux méthodes mathématiques dans l’analyse des données biologiques, a été pensée au Galton Laboratory, à l’University College de Londres (UCL), dès 1900, puis testée et développée dans l’Empire britannique (Inde, Afrique du Sud…) bien avant sa diffusion dans le reste du monde.
Si Zipline a été créée en 2013 au cœur de la Silicon Valley, en Californie, c’est bien en Afrique et plus particulièrement au Rwanda, en 2016, qu’elle a commencé ses premières livraisons de médicaments et amélioré ses infrastructures technologiques, avant de s’étendre en Tanzanie, au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Kenya, au Nigeria, puis aux États-Unis et au Japon. Pourquoi ce choix de l’Afrique comme point de départ d’une des technologies les plus prometteuses du XIXe siècle ? Et quels sont les enjeux pour le continent africain ?
Dirigée par Keller Rinaudo, 35 ans, Zipline a été créée par des ingénieurs en biotechnologie, en robotique et en développement commercial. D’abord baptisée Romotive avant d’être renommée Zipline, en 2014, la société a effectué discrètement ses premiers essais de drones dans un grand ranch de Half Moon Bay, en Californie, à un moment où la réglementation en la matière était embryonnaire, et celle couvrant l’exploitation de l’espace aérien, très exigeante. À cette période, l’entreprise dépose ses premiers brevets pour protéger ses inventions avant qu’elles ne soient révélées au grand public. Entre 2015 et 2020, Zipline lance une série de collectes de fonds et parvient à percevoir 225 millions de dollars US pour sa recherche et son développement auprès d’une vingtaine d’investisseurs (parmi lesquels Baillie Gifford, Bright Success Capital, Design to Improve Life Fund, Goldman Sachs, Katalyst Ventures, Oakhouse Partners, Temasek, The Rise Fund et Toyota Tsusho Corporation).
En 2019, Zipline est évaluée à plus de 1 milliard de dollars, ce qui fait d’elle un géant des technologies émergentes et futuristes. Parmi les partenaires officiels qui soutiennent son expansion dans le monde figurent les entités philanthro-capitalistes comme l’alliance Gavi, la Fondation Bill & Melinda Gates et la Fondation Pfizer, engagées dans de nombreux programmes sur le continent africain.
En 2016, le gouvernement rwandais et Zipline signent un contrat pour la livraison de produits médicaux d’urgence aux établissements de santé situés dans les zones reculées et enclavées du pays. Le ministre rwandais des Technologies, Jean-Philbert Nsengimana, se veut alors optimiste et présente l’arrivée des drones de Zipline comme un pas supplémentaire dans la modernisation d’un système de santé résolument engagé à sauver les vies de milliers de Rwandais. Zipline installe au Rwanda deux centres de distribution (à Kayonza et à Muhanga) qui permettent de livrer en l’espace de quelques minutes (10 à 15 minutes) des médicaments commandés par des hôpitaux via des SMS, des appels téléphoniques ou WhatsApp.
Un tel service suit une logique proche du front-end inspirée du développement web et consistant à appuyer sur un bouton pour obtenir ce dont on a besoin sans se soucier de ce que se passe en arrière-plan (backend). Zipline recrute localement des ingénieurs de vol, des informaticiens, des pharmaciens, des techniciens et des logisticiens qui travaillent dans ses centres de distribution ; tandis que d’autres agents travaillant depuis son siège en Californie apportent un soutien technique à distance à ceux qui opèrent en Afrique. Cette division du travail, avec d’un côté des travailleurs locaux et de l’autre des ingénieurs qui les assistent à distance, a été décriée par les chercheurs Rene Umlauf et Marian Burchardt dans une étude récente, et présentée comme une forme de marginalisation technique qui relègue les locaux à des tâches d’exécution, les empêchant ainsi de maîtriser les technologies déployées.
L’un des avantages des services de Zipline est la vitesse de livraison de ses drones, et donc la capacité de sa logistique instantanée à supplanter les infrastructures de transports classiques. Dans cette perspective, les drones de Zipline représentent un type de technologie qui fait écho à la notion d’accélération sociale du sociologue allemand Hartmut Rosa, auteur du célèbre ouvrage Social Acceleration. A New Theory of Modernity, publié en 2013 (Columbia University Press). Outre la rapidité des livraisons, les infrastructures de drones réduisent le gaspillage des médicaments et les émissions en carbone des transports classiques, et elles permettent au système de santé de faire des économies. Comme l’indique l’agrément passé avec les États africains, à l’instar du Rwanda, le modèle financier de Zipline n’est pas basé sur un paiement par livraison mais sur des forfaits mensuels que les gouvernements payent pour des livraisons illimitées.
La « drones story » rwandaise, largement médiatisée, ne manque pas d’inspirer d’autres pays. En 2019, le Ghana signe avec Zipline un contrat pour bénéficier des mêmes services. En 2020, la pandémie de Covid-19 a permis à Zipline d’expérimenter l’acheminement des échantillons de virus et des vaccins au Noguchi Memorial Institute for Medical Research, le plus grand laboratoire d’analyses médicales du Ghana, situé à Accra. Elle a aussi accentué le rôle des drones médicaux dans les chaînes d’approvisionnement des systèmes de santé et fait taire les voix les plus critiques, qui dénonçaient le coût du service et la marginalisation de la chaîne locale d’approvisionnement et de stockage des médicaments. Depuis 2020, l’expansion de Zipline sur le continent a progressé, ce qui lui a permis de se constituer la plus grande flotte de drones au monde. En août 2022, sur son site officiel, Zipline affichait les statistiques suivantes : 26 410 732 miles parcourus, 370 058 livraisons commerciales, 3 699 160 produits livrés, 25 millions de clients…
Pour se lancer, Zipline a choisi un secteur d’activité où elle pouvait être accueillie les bras ouverts, celui de la santé. Ensuite, elle a trouvé un terrain où ses services trouveraient facilement une justification, celui d’une Afrique subsaharienne caractérisée par des systèmes de santé déficients et des infrastructures de transport médiocres. Au Ghana, de nombreux établissements de santé situés dans les localités reculées sont enclavés et difficiles d’accès, à l’instar de Nyamekrom CHPS, près de Koforidua, une ville située à 95 km d’Accra.
Zipline s’est implantée en Afrique avec le slogan « Fly-To-Save-Life » – une accroche jugée trop ambitieuse et qui est de moins en moins mise en avant par l’entreprise, sans doute pour ouvrir progressivement la voie à la livraison de produits non médicaux. Les drones médicaux sont présentés comme des services censés être utilisés dans des situations d’urgence dans les établissements de santé et en complément aux systèmes d’approvisionnement déjà existants. Mais dans la réalité, comme me l’a confié une infirmière ghanéenne en 2021, le recours aux drones médicaux se banalise et dépasse désormais le cadre des urgences pour recouvrir les commandes de médicaments en situation ordinaire. Comme lors des interventions humanitaires dans le passé, c’est l’urgence de sauver des vies menacées qui est une fois de plus évoquée par Zipline et les États pour justifier le déploiement de solutions technologiques parfois non éprouvées ou abandonnées ailleurs.
Néanmoins, les professionnels de santé apprécient les drones de Zipline qui, en accélérant la livraison de médicaments, changent la délivrance de soins au quotidien. De la clinique d’Apedwa à New Tafo Hospital, au Ghana, ils se souviennent de l’époque où, en cas de rupture de stocks, il fallait parcourir des kilomètres pour s’approvisionner en ville auprès des Regional Medical Stores, avec le risque de revenir les mains vides. Cela entraînait des pertes de temps et constituait des risques pour les malades. Avec Zipline, il est possible de faire des économies, de pallier les défaillances de la chaîne de froid des hôpitaux et, finalement, de sauver des vies. Ils donnent comme exemples des malades mordus par des serpents et recevant des anti-venins, des femmes qui accouchent et qui reçoivent des poches de sang, des bébés qui reçoivent des vitamines K, des enfants atteints de diarrhée qui reçoivent des solutions de réhydratation, etc.
Ces exemples servent de publicité à Zipline et sont relayés dans la presse locale et internationale. À défaut d’avoir des données statistiques qui permettent aujourd’hui d’estimer le nombre de vies réellement sauvées grâce aux drones de Zipline, on ne peut que se contenter des récits du personnel des établissements de santé qui admettent les avantages du service.
Cependant, Zipline ne se contente pas de fournir un service en Afrique, elle collecte également des données sur toutes ses chaînes de livraison. Un agent de son centre de distribution d’Omenako, au Ghana, m’a révélé que chaque produit livré est enregistré dans une base de données qui est censée servir à l’amélioration du service. D’ailleurs, le contrat entre Zipline et le ministère de la Santé du Ghana mentionne expressément que ce dernier fournira à l’entreprise l’ensemble des données de son système de santé nécessaire à son fonctionnement. Mais cette datafication ne se limite pas seulement au produit livré, elle concerne aussi les informations sur les vols, l’environnement, les conditions météorologiques et les drop zones, ces zones situées au sein des hôpitaux et où sont largués des produits commandés.
Toutes ces données collectées sur la santé et l’espace du Ghana (et probablement d’autres pays) offrent à Zipline un pouvoir considérable susceptible de toucher au régime de souveraineté de ces États. Ce pouvoir s’accentue avec le rôle que la firme américaine joue depuis la crise du Covid-19 en livrant des kits de test et des vaccins grâce à une chaîne de froid construite avec l’appui de la multinationale Pfizer. Cela rappelle les débats en 2019 autour du Health Data Hub en France avec Microsoft Azur : de nombreux acteurs associatifs tels que le Conseil national du logiciel libre, le Syndicat national des journalistes et l’Association française des hémophiles avaient contesté le choix de Microsoft comme hébergeur de cette plateforme de partage des données de santé2. Dans un article d’AOC, le sociologue français Emmanuel Didier présentait les contradictions en cours dans son pays sur le choix d’un hébergeur américain des données de l’Assurance maladie. Son propos revenait ainsi sur les implications que la gestion des données de santé a sur la notion de souveraineté.
À cause de ses pratiques de datafication et au regard de l’histoire du continent, Zipline a été accusée d’utiliser « l’Afrique comme service » (« Africa-as-a-service »), c’est-à-dire un lieu de production des données prouvant que l’entreprise peut opérer en toute sécurité dans des conditions extrêmes afin d’être autorisée à faire voler ses drones aux États-Unis. De fait, l’Afrique aura été un bon tremplin en raison de son ciel vide et de sa faiblesse en matière des réglementations.
Face à cette accusation, l’un des responsables de Zipline au Ghana m’a indiqué qu’il était impossible, pour l’entreprise, de se passer de la collecte de données. Il a réfuté l’argument d’une Afrique considérée comme un laboratoire des données en tant que « matières premières » et a noté que son entreprise a commencé à opérer au Rwanda bien avant d’être approchée par le gouvernement américain. Le fait que Zipline vient d’obtenir la certification de transporteur aérien aux États-Unis montre que l’entreprise a pu construire sa fiabilité devant la FAA en fournissant les rapports de milliers d’heures de vol effectuées surtout en Afrique. Cette situation, où un géant des technologies collecte les données sur les individus, les objets et l’environnement, est de plus en plus documentée par les théories du capitalisme de surveillance et du colonialisme digital.
Le développement des infrastructures de drones médicaux de Zipline est vendu comme un projet futuriste destiné à sauver des vies humaines dans les endroits les plus reculés d’Afrique. Ce faisant, il participe à atteindre les objectifs du Project Last Mile lancé par la Fondation Coca-Cola et visant à acheminer les médicaments partout en Afrique. De telles infrastructures technologiques alimentent en même temps les programmes de développement des gouvernements africains soucieux d’afficher auprès de leurs populations des signes de modernisation, comme on a pu le voir dans les discours des présidents Paul Kagame, au Rwanda, et Nana Akufo-Addo, au Ghana.
Plus globalement, les drones médicaux travaillent à reconfigurer les territoires politiques, à produire de nouvelles circulations, à fabriquer de nouveaux espaces et à redéfinir ce qu’est la santé aujourd’hui. Ils construisent ainsi un « digital healthscape » qui détermine des espaces territoriaux où la vie d’un individu peut être sauvée grâce à la livraison rapide d’un médicament, et, ce faisant, ils façonnent les imaginaires.
Georges Macaire Eyenga est chercheur postdoctoral au Wits Institute for Social and Economic Research (WISER), Université de… (suite)
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1Keith Breckenridge, Biometric State : The Global Politics of Identification and Surveillance in South Africa, 1850 to the Present, Cambridge University Press, 2014.
2Lire notamment Alexandre Piquard, « Health Data Hub : l’hébergement par Microsoft ne sera pas remis en jeu “avant la présidentielle” », Le Monde, 20 janvier 2022.

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