» Agir sur nos conditions de travail et nos métiers nous permet de porter les finalités émancipatrices de l’école dans une société plus juste. » Ni ordre professionnel, ni groupe corporatiste, Benoit Teste, secrétaire général de la Fsu, le premier syndicat du monde enseignant, répond à sa façon à la problématique posée par le nouveau numéro de la Revue de Sèvres sur les syndicats enseignants.
On est, en France, au lendemain d’une très forte mobilisation lancée par les syndicats. Diriez-vous pourtant que le syndicalisme en France, chez les enseignants, se renforce ? Les enseignants restent une profession nettement plus syndiquée que la moyenne des salarié-es. C’est difficile de mesurer sur ce seul indicateur le fait que le syndicalisme “se renforce” ou “s’affaiblit”. La baisse tendancielle du taux de syndicalisation pourrait laisser penser à un affaiblissement, mais d’autres signes laissent penser le contraire, certaines grèves récentes ont été très suivies (celle du 19 janvier mais aussi celle du 13 janvier 2022 dans l’éducation). Les syndicats sont toujours considérés comme des sources d’information et de conseils bien plus fiables que les services académiques sur les carrières, les mutations, les droits, etc.
Comment ont évolué les relations avec l’administration ces dernières années ?
La loi de Transformation de la Fonction Publique a minimisé le rôle des représentant-es des personnels et celui des commissions paritaires. Dans le même temps, les syndicats sont très sollicités pour des accompagnements individuels dont les personnels ont besoin dans un contexte où les repères collectifs qui garantissaient équité et transparence ont été mis à mal. Les années Blanquer ont en outre marqué un tournant dans le pilotage de système éducatif avec une verticalité et un autoritarisme qui ont éprouvé les hiérarchies tout en les poussant à s’approprier le modèle. Le haut encadrement tente aujourd’hui de rétablir des relations apaisées mais les méthodes perdurent. Les espaces de dialogue que constituaient par exemple les CAP (commissions administratives paritaires) se sont considérablement réduits, l’administration y a aussi perdu des informations importantes sur ce qui remonte du terrain. Et puis, les dernières élections professionnelles ont été marquées par un désengagement de l’administration qui n’a pas pris la mesure des difficultés pour accéder au vote et n’a pas valorisé ce moment important de démocratie sociale. Un acte manqué qui en dit long sur l’intérêt porté aux représentant-es élu-es des personnels.
Quel effet a eu le covid sur la vie syndicale ?
Pendant les périodes de fermetures d’écoles, d’établissements, d’universités, la vie syndicale quotidienne a été pénalisée par la difficulté des collègues de se réunir et de discuter. Néanmoins cette période est en grande partie dépassée. Par ailleurs, la période Covid a été l’occasion de mettre en place de nouveaux outils dont certains peuvent être gardés de façon complémentaire aux outils traditionnels comme les webinaires. Le regain de participation aux réunions et formations syndicales est certain, avec toujours autant d’envie de se réunir, de comprendre, de débattre et de peser dans les réalités professionnelles.
Le nouveau numéro de la Revue de Sèvres oppose deux types de syndicats. D’une part il y aurait des syndicats purement corporatistes et qui bloqueraient toute réforme et toute évolution du système éducatif. De l’autre il y aurait des organisations plus proches d’associations professionnelles, voire de véritables ordres contrôlant le métier, ouverts aux demandes de la société et aux réformes. Que pensez vous de cette présentation ?
Nous pensons qu’elle est erronée. Si les organisations syndicales ont leur histoire, elles n’y sont pas enfermées pour autant. La représentativité de la FSU nous permet de nous appuyer sur de très nombreuses situations locales où nos collègues militent et luttent, ensemble, pour des transformations professionnelles et sociales, qu’elles soient locales ou de portée générale. Nos militant-es et adhérent-es sont des défenseurs et promoteurs des progrès sociaux pour toutes et tous. Les salaires, les formations, la reconnaissance des qualifications, les conditions de travail, la fonction publique garante des services publics de qualité ce ne sont pas des éléments d’un corporatisme replié sur lui-même mais bien des besoins sociaux identifiés qui devraient être au cœur des réformes.
La FSU a pour ambition de tenir les deux bouts du syndicalisme, d’une part la défense des collègues et la promotion collective de nos métiers et d’autre part la transformation sociale, féministe, écologique et solidaire de notre société. Agir sur nos conditions de travail et nos métiers nous permet de porter les finalités émancipatrices de l’école dans une société plus juste. La FSU constitue évidemment un pôle offensif de transformation sociale avec la CGT et Solidaires, mais elle sait aussi rassembler l’ensemble des forces syndicales lorsqu’il faut s’opposer sans tergiverser comme pour demander le report des spécialités du bac en juin, contester la suppression de la technologie en Sixième, défendre les programmes de maternelle, exiger la fin du pilotage par les évaluations nationales normatives pour ne prendre que des exemples récents.
Derrière cette opposition il y a un vrai problème : celui de la définition de la profession. Aujourd’hui elle échappe largement aux enseignants. Comment ceux-ci pourraient ils faire reconnaitre leur profession ? Jusqu’où aller dans sa définition et son organisation ?
La “profession” enseignante n’est pas une profession au même sens que celle des médecins ou des avocats. Elle n’est pas organisée et contrôlée par un ordre. Elle dépend largement des textes ministériels qui définissent ses conditions de formation, de recrutement, de carrière et les conditions de son exercice. La FSU défend que le métier d’enseignant s’apprenne et revendique la nécessité d’une formation initiale et continue, universitaire et professionnelle, ambitieuse. La FSU ne remet pas en cause cette dimension nationale du métier, car elle est une des conditions de l’égalité entre les élèves et de qualité du service public.
En revanche, nous défendons le fait que les enseignant-es sont des expert-es de leur métier et que leur expertise doit être prise en compte. En ce sens, les injonctions qui se multiplient sur les pratiques pédagogiques ne sont pas acceptables pour nous. Ouvrer à la reconquête d’espaces pour penser, pour mener la controverse sur ce qu’est « le travail bien fait » est donc un des enjeux syndicaux de premier plan. Il ne peut y avoir de démocratisation de la réussite scolaire sans le renforcement de la professionnalité enseignante. Retrouver la légitimité des personnels à définir ce que doit être le travail enseignant est aussi une revendication pour l’École.
La montée du nouveau management public, de la gouvernance par les données probantes exerce une pression sur les syndicats. En France on voit le ministère pousser les exigences des parents en jouant par exemple des évaluations nationales. Ailleurs on a même pu lier le salaire des enseignants aux résultats de ces évaluations ! Comment résister à cette pression ?
La volonté de réduire les coûts de l’action publique se pare toujours d’une prétendue rationalisation des services publics qui serait capable de les améliorer. Mais force est de constater que le recours aux évaluations depuis maintenant plus d’un quart de siècle n’a pas encore réussi à faire la preuve de sa capacité à améliorer la réussite des élèves. La gouvernance par les chiffres, l’évaluation quantitative et le “teach to the test” ont déjà montré dans d’autres pays et dans d’autres services publics leurs limites. Bien des travaux réalisés sur la rémunération au mérite nous permettent de savoir que cette perspective ne sera pas non plus pertinente quant à l’amélioration de l’action auprès des usagers des services publics. Par contre cet asservissement aux résultats renforce les contraintes hiérarchiques et constitue l’outil majeur du neomanagement. Le résultat, loin d’une amélioration qualitative, est celui d’une perte de sens des métiers, d’une dégradation des conditions de travail et d’une crise d’attractivité. Sans le moindre progrès dans les résultats des élèves. Il y a face à ces pressions qui veulent inscrire dans les pratiques enseignantes des politiques éducatives délétères, nécessité d’investir syndicalement les questions pédagogiques pour donner à la professions les outils d’analyse de conséquences des pratiques promues par l’institution et permettre les résistances.
On connait l’importance d’organismes internationaux comme l’OCDE pour l’évolution des systèmes éducatifs. Les syndicats enseignants s’organisent aussi au niveau international avec des intersyndicales. Celles ci sont elles efficaces ?
L’OCDE a réussi à imposer ses outils de mesure dans le débat public sur les systèmes éducatifs. Les médias scrutent de près les résultats des enquêtes PISA et les décideurs politiques les instrumentalisent pour justifier des réformes. Cependant, si tout n’est pas à jeter dans les résultats de ses enquêtes, l’OCDE a un prisme idéologique très teinté de libéralisme et la méthodologie de ces dernières n’est pas adaptée à tous les systèmes éducatifs, notamment le nôtre. Au niveau international, les syndicats enseignants ont des instances qui se déclinent à plusieurs échelles. La principale d’entre elles est l’Internationale de l’Éducation (IE) qui représente 32 millions d’enseignant·es de 383 organisations membres issues de 178 pays et territoires. L’IE se décline régionalement, pour la région Europe son instance est le CSEE (Comité syndical européen de l’éducation) où la FSU occupe une vice-présidence. Ces instances font apparaître des problématiques communes très ancrées dans le quotidien et la réalité du terrain. Elles permettent de créer des campagnes à grande échelle auprès des États membres de l’ONU ou de l’UE. Très concrètement, l’IE a lancé ce 24 janvier une nouvelle campagne pour exiger un financement ambitieux des États pour l’enseignement public. On pourrait citer d’autres campagnes sur l’attractivité de la profession, les salaires ou encore sur l’éducation au développement environnemental durable.
Quelle place doivent avoir les demandes sociales et la justice sociale dans l’action des syndicats enseignants ?
La FSU porte la démocratisation du système scolaire dans son ensemble : les enfants et les jeunes sont toutes et tous capables, toutes et tous éducables. C’est à l’école au sein de la société de leur donner les moyens d’apprendre et de s’émanciper par les savoirs. Nous combattons l’école du tri social symbolisée notamment par Parcoursup et les “fondamentaux” de JM Blanquer et Pap Ndiaye. C’est également au nom de la justice sociale que nous combattons la réforme annoncée de la voie pro. Pour la FSU et ses syndicats, l’exigence de mixité sociale et scolaire des écoles et établissements est permanente. On pense particulièrement à la défense de l’éducation prioritaire contre toute forme de contractualisation des moyens, à l’exemple des CLA, qui évacue l’allocation de moyens sur critères sociaux. La carte scolaire et la carte des formations doivent être contrôlées pour donner la priorité au réseau public, gratuit, et faire cesser la concurrence du privé qui cultive l’entre-soi comme les données sur les IPS moyens des collèges l’ont révélé. C’est aussi donner les moyens aux services sociaux et de santé d’exercer leurs missions auprès des élèves et de leur famille. La FSU milite pour une autre répartition des richesses, c’est le sens du combat que nous menons sur les retraites, à la fois pour convaincre que des alternatives de financement des retraites existent sans passer par des mesures d’âge et faire entendre que les métiers de l’enseignement sont pénalisés par l’absence de prise en compte des années d’études, des études que nous mettons ensuite au service de l’intérêt général pour la formation de la jeunesse.
Propos recueillis par François Jarraud