Sous couvert d’un appel « de la jeunesse », la manifestation du 21 janvier s’inscrivait dans une continuité claire avec la politique des marches le samedi de LFI. Rien de surprenant donc si elle a été soutenue par les partisans de Philippe Poutou, qui ne cachent pas avoir scissionné leur parti pour se rapprocher du courant de Jean-Luc Mélenchon. Le fait que le NPA Jeunes, animé par les camarades de L’Étincelle et d’Anticapitalisme & Révolution, ait appelé à cette échéance pose en revanche un certain nombre de problèmes dont nous souhaitons débattre en toute fraternité.
Daniela Cobet
Ariane Serge
jeudi 26 janvier
Si quiconque pouvait encore avoir un doute sur le fait que la manifestation du 21 janvier était principalement une opération politique de La France Insoumise (LFI) et pas une initiative de la jeunesse, les choses sont devenues évidentes le week-end dernier. De l’omniprésence de Louis Boyard et son écharpe tricolore en tête de manifestation, à la présence de nombreux cortèges des comités locaux de LFI, en passant par le discours de Mélenchon et de quelques autres politiques, ou encore l’âge moyen des manifestants, le 21 janvier n’avait rien d’une manifestation de jeunesse, comme il en existe une longue tradition en France.
Dans la continuité de la politique de LFI dans de précédents mouvements, cherchant à peser dans la contestation au même titre que les directions syndicales, cette marche visait en effet à « se placer en force politique du mouvement populaire » en organisant prioritairement « le peuple « non salarié » » comme l’explique Jean-Luc Mélenchon sur son blog. Le « mouvement populaire », ou « bloc populaire » étant présenté comme distinct de la classe des travailleurs et de ses méthodes traditionnelles telles que la grève, jugée quasiment obsolète par Jean-Luc Mélenchon dans ses ouvrages théoriques, cette stratégie se manifeste par la convocation plus ou moins systématiques de marches le samedi.
Seule différence ici : dans un contexte de mouvement social, LFI a considéré qu’il était plus judicieux de passer par un appel des organisations de jeunesse, en profitant des liens avec des syndicats étudiants regroupés dans L’Alternative, ainsi que du soutien de quelques organisations politiques de jeunesse, dont le NPA. Au final, malgré les chiffres démesurés annoncés par les organisateurs, la manifestation a été un échec relatif, regroupant un nombre de manifestants comparable à l’initiative de même type qui avait été prise le 16 octobre, et ce malgré une montée nationale.
Un résultat qui montre que la vague de colère sociale qui a embrasé le pays est passée essentiellement par la journée de grève et de manifestation à l’appel du mouvement ouvrier et non pas par la manifestation du 21 janvier. Ce bilan mitigé n’a cependant pas empêché Jean-Luc Mélenchon d’appeler le soir même les directions syndicales à s’inspirer de sa méthode, en évoquant la nécessité d’un « élargissement » du mouvement contre les retraites. Pour le leader insoumis, qui semble avoir oublié que des cortèges massifs de jeunes ont émaillé nombre de mobilisations du mouvement ouvrier ces quarante dernières années, cette perspective impliquerait l’organisation d’une « date de rassemblement et d’action un samedi ou un dimanche » pour unir le mouvement ouvrier et « les autres secteurs de la société ».
Avant même la scission, les camarades du NPA « maintenu » [1] ont fait le choix au travers du NPA Jeunes de participer à la réunion inter-organisations de jeunesse à l’initiative des jeunes LFI et d’être signataires de l’appel à la manifestation du 21. Ce choix était de notre point de vue erroné, car il les plaçait de fait comme une sorte de caution de gauche ou de faux-nez jeune de la politique de Mélenchon. La petite vidéo qui a circulé sur Twitter où Mélenchon met sa main sur l’épaule de Besancenot, porte-parole très actif de « l’autre » NPA, depuis la plateforme au milieu de la manifestation et le brandit comme un trophée est de ce point de vue assez éloquente sur l’objectif de l’opération.
Mais ce choix initial a été aggravé par le fait qu’une fois la journée du 19 annoncée par les syndicats, les camarades du NPA « maintenu » ont eu souvent tendance à placer ces deux journées sur un même plan. Ainsi le visuel Instagram publié sur le compte du NPA Jeunes le 12 janvier affirmait : « les 19 et 21 janvier en grève et dans la rue et ensuite on continue ». De même, le NPA Jeunes a milité pour que différents cadres inter-organisations de jeunesse appellent à la date du 21 et la construisent comme une perspective pour le mouvement étudiant.
Cette insistance sur l’importance du 21 ne pouvait que dévaluer le rôle que peut jouer le mouvement étudiant et lycéen quand il s’auto-organise et se mobilise massivement sur les lieux d’études, aux côtés du mouvement ouvrier en grève, en le réduisant à un acteur mobilisable d’abord et avant tout le samedi, comme le pense Jean-Luc Mélenchon. Une logique qui tranche par ailleurs avec celle qu’a pu avoir historiquement le NPA Jeunes, comme en 2016 où il avait initié un appel unitaire des organisations de jeunesse pour construire une mobilisation étudiante aux côtés des travailleurs contre la loi Travail et participé à lancer cette bataille.
Dans le même sens, sur le plateau du Média le 12 janvier, Gaël Quirante, membre de la direction du NPA « maintenu », a critiqué le caractère tardif de la journée du 19 et laissé entendre que le problème serait l’absence de mobilisation le vendredi 20. Un discours qui place les journées du 19 et du 21 dans une stricte continuité et sur un même plan, avant d’insister sur le fait que dirigeants politiques et syndicaux devraient tous « s’asseoir autour d’une table ». Aucune critique par contre vis-à-vis de la manifestation du 21. Interpellé par un journaliste RFI pour savoir s’il n’y avait pas une forme de « récupération » dans cette journée, Mathis, militant du NPA Jeunes, répond par une pirouette : « est-ce que c’est de la récupération de manifester contre le gouvernement Macron ? ».
Il est pourtant évident que toutes les manifestations contre le gouvernement ne se valent pas, et que celle qui incarnait la colère, la combativité et les méthodes de notre classe était celle du 19 et pas celle du 21. Cela ne veut pas dire que les directions syndicales soient davantage des alliés des intérêts des travailleurs, ou qu’une journée de grève isolée suffise pour affronter Macron. Mais il y a une différence de nature entre des organisations, certes bureaucratiques mais avec une assise dans le mouvement ouvrier, et un courant néo-réformiste qui, par définition, ne dispose pas de cette assise et refuse même de l’avoir puisque son sujet c’est le peuple, les marcheurs du samedi, et pas les ouvriers en grève.
Si ce débat mérite d’être soulevé, par-delà la question du 21 janvier, c’est que cette erreur politique ne nous semble pas sans lien avec la façon dont les camarades ont combattu les scissionnistes dans le processus du Congrès du NPA. Une position sur laquelle nous sommes déjà revenus pour la critiquer. Pour contrer la scission, le NPA « maintenu » a en effet eu tendance à argumenter dans le sens de minimiser les désaccords avec l’autre partie du NPA, au point de nier les bases politiques de leur rupture.
Le jour même de la scission, les camarades d’A&R revendiquaient ainsi un tweet d’un conseiller municipal LFI expliquant que l’unité NPA – LFI existait déjà en dehors des élections. Or, cet argument a le défaut d’entretenir l’idée que l’indépendance politique à l’égard des néo-réformistes serait une question qui se poserait exclusivement sur le terrain électoral, quand en réalité elle se pose souvent dans le cadre des mobilisations, en lien avec la question des stratégies défendues. Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas faire des fronts ponctuels, sur des questions précises, avec LFI. Cependant, comme il ne s’agit pas stricto sensu d’une organisation du mouvement ouvrier, la logique du front unique ouvrier ne peut pas s’appliquer entièrement et de la même façon.
Une fois le Congrès terminé, cette tendance à minimiser les désaccords pour argumenter contre la scission a laissé place à la dispute pour le nom et la légitimité du NPA. Nous le comprenons, même si nous ne partageons pas l’orientation de « continuer le NPA » portée par les camarades. Mais il faudra tout de même veiller à ce que cette bataille ne conduise pas à vouloir disputer, quoique avec un discours plus radical, le même espace que celui du NPA de Philippe Poutou et Olivier Besancenot. En ce sens, avoir la même politique que ces derniers vis-à-vis de cette opération de LFI ne contribue pas à faire ressortir une attitude distincte à l’égard du néo-réformisme.
C’est en tout cas une discussion que nous souhaitons avoir avec les camarades. C’est pourquoi nous ne pouvons que nous réjouir que la direction du NPA maintenu ait enfin répondu à l’adresse de notre congrès et qu’un rendez-vous entre nos directions respectives puisse avoir lieu dans les prochains jours, ouvrant la possibilité de débattre, même a posteriori, de ce désaccord, mais surtout des perspectives de la mobilisation en cours, du rôle des révolutionnaires en son sein et de la nécessaire refondation d’une extrême-gauche à la hauteur des événements.
[1] Nous mobilisons ici ce terme en référence aux appels des camarades à « maintenir » le NPA, afin de les distinguer du courant de Philippe Poutou et Olivier Besancenot ayant imposé l’explosion du parti.
Mots-clés
Extrême-gauche / V° congrès du NPA / NPA jeunes / La France Insoumise / Grève / Jean-Luc Mélenchon / Débats NPA-Jeunes / NPA / Débats
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