Son univers est tapissé de couleurs merveilleuses et peuplé de personnages envoûtants. Le papa de Kirikou nous livre son nouveau long-métrage, en fait trois contes pas directement liés les uns aux autres (sortie ce mercredi). Vous croiserez un aspirant pharaon, un beau sauvage et une princesse qui aime les beignets. Rencontre avec Michel Ocelot.
– Dans votre film, une conteuse s’adresse à une foule. C’est elle qui va introduire les trois contes.
« J’avais besoin d’un espace entre les trois films qui racontent des histoires complètes. Je ne pouvais pas les coller, il fallait une respiration. Il y a donc cette conteuse qui a une valeur particulière. C’est le premier dessin que j’ai réalisé en période de confinement, dès la première semaine. Elle est au milieu d’un monde en reconstruction, après une catastrophe, en bleu de travail, même si elle reste élégante. »
– Elle semble s’adresser à une foule plutôt adulte…
« Notez bien, je n’ai jamais fait de films pour les enfants. Au début de ma carrière, je n’ai jamais pensé une seconde que je serais un auteur pour les enfants. Mon premier film, Les Trois Inventeurs (1979), c’est une histoire terrible qui s’adresse aux adultes. »
– Où ces histoires trouvent-elles leur origine ?
« J’utilise beaucoup les contes traditionnels, qu’en général je trouve mauvais. Je suis là pour les améliorer. Je lis beaucoup de contes, je ne prends que le bon et j’écris ensuite ma propre histoire. Il y a aussi celles que j’invente de toutes pièces, comme Azur et Asmar ou Dilili à Paris. »
– Vos films sont un ravissement pour les yeux. On parle peut-être moins des voix de doublage, de cette diction particulière. Êtes-vous attentif à la musique des voix ?
« Comme pour les films normaux et les pièces de théâtre, j’organise des auditions et je prends les meilleurs. S’agissant de la diction, je ne demande rien de particulier, mais il est probable que lorsque je suis avec eux, les comédiens parlent bien. Je dis juste qu’il faut être très compréhensible. Le texte est écrit avec soin, avec juste ce qu’il faut de mots. Je supprime tout ce qui est inutile. »
– Même si vous estimez qu’il n’y a pas de fil rouge entre vos trois histoires, on est quand même tenté d’en trouver. Vos personnages principaux doivent se libérer d’un joug pour accéder à l’amour ou à la plénitude, non ?
« C’est vrai. Je le dis aux gens : libérez-vous, brisez vos chaînes ! Peut-être un autre point commun aux trois contes, et je m’en suis rendu compte après coup : ce sont les parents qui sont méchants. J’ai besoin d’obstacles, et les parents sont prédisposés à être des obstacles. »
– Y a-t-il des figures imposées dans le conte ?
« Non, je prétends être libre même si je me fais des illusions. Je ne respecte aucun schéma. Je respecte juste la compréhension et une certaine morale universelle. J’ai trouvé mon langage avec le conte. J’ai le pouvoir de faire de la beauté, j’en profite. Le conte est un déguisement qui permet de raconter ce qu’on veut. Les gens ne se méfient pas, ce qui me permet de traiter des sujets graves. D’ailleurs, peut-être que les spectateurs se sont aperçus de la gravité de Dilili à Paris, qui parlait sans doute trop clairement de maltraitance de jeunes filles, le film a donc eu moins de succès. »
– Le conte peut-il s’accommoder de la fièvre d’une époque où tout doit aller vite, où on se contente de lire un titre plutôt qu’un texte ?
« Dans mes contes, le spectateur a le droit de penser. Je vais continuer comme ça. Je m’aperçois que mes petits contes en silhouettes, réalisés jadis avec la plus grande innocence, des bouts de papier noir et une paire de ciseaux, ont beaucoup touché les gens. Je suis dans une nouvelle période de ma vie. Les enfants de Kirikou ont grandi. Maintenant, ce sont de magnifiques jeunes adultes et ils me remercient. Visiblement, mes petites histoires font du bien. »
Réalisateur. Michel Ocelot.
Durée. 1 h 23.
Genre. Animation.
Résumé. Trois contes, trois époques, trois univers : une épopée de l’Égypte antique, une légende médiévale de l’Auvergne, une fantaisie du XVIIIe siècle dans des costumes ottomans et des palais turcs, pour être emporté par des rêves contrastés, peuplés de dieux splendides, de tyrans révoltants, de justiciers réjouissants, d’amoureux astucieux, de princes et de princesses n’en faisant qu’à leur tête dans une explosion de couleurs.
Parenthèse enchantée
Coproduite par Dany Boon et Christophe Rossignon (deux Ch’tis !), la nouvelle livraison de Michel Ocelot est un refuge. Sans être le sommet de son auteur, réalisateur de la trilogie Kirikou, Azur et Asmar ou Dilili à Paris, elle constitue une parenthèse enchantée sous forme de trois contes où les yeux sont stimulés autant que l’esprit.
D’abord des silhouettes de profil, à l’égyptienne, pour raconter comment un jeune chef quitte sa plaine nubienne pour conquérir les terres du nord et devenir pharaon. Tiens ? Un scribe accroupi (donc en tailleur) dans un coin… Le décor est épuré. L’émotion aussi. Ce qui nous fait préférer le deuxième conte, où un jeune garçon rejeté par un père irascible sympathise avec un prisonnier et se découvre plus tard un destin de justicier, dans l’Auvergne médiévale. Des silhouettes noires cette fois, en ombres chinoises. La princesse des roses et le prince des beignets creusent pour leur part un tunnel pour se retrouver, dans un troisième chapitre évoquant les Mille et une nuits.
L’attention est sollicitée, notamment dans ces transitions qui nécessitent un effort d’interprétation (Ocelot se défend d’ailleurs toujours d’écrire pour les enfants). La conteuse s’adresse à une foule d’adultes qu’on croirait en pause, au milieu d’un chantier plus vaste.
Un monde en reconstruction, où il faut s’affranchir de l’ordre établi (des parents peu indulgents par exemple) pour s’émanciper. Rendez-vous avec la liberté. Pas de doute, le merveilleux est bien au rendez-vous. C. C.
© Rossel & Cie - 2022
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