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En forme olympique, Square Enix n’en finit plus d’enchaîner les sorties cette année. Dernier titre en date pour l’éditeur japonais : Triangle Strategy, ou plutôt son portage sur PC. Et comme nous n’avions pas réalisé le test de la version Switch, allons-y gaiement pour le test de la “superior version” de cette magnifique fusion “entre tradition et modernité” (voilà, c’est bon, l’a faite).
Nul doute que dès son annonce, Triangle Strategy a tapé dans l’œil de tous les nostalgiques de FF Tactics ou Tactics Ogre. En cause, son univers héroïc-fantasy, sa technique HD-2D “comme à la bonne époque” et léger souffle épique sur ses premiers trailers.
Inutile de chercher une quelconque originalité au jeu du côté de son système de combat, ou encore de la progression des personnages. Triangle Strategy fait dans le classique, mais il le fait plutôt bien. Les combats se déroulent dans la plus pure tradition des jeux du genre. On dirige sa petite équipe, au tour par tour. Les actions de nos personnages sont déterminées par un ordre dont il faut absolument tenir compte pour affiner sa stratégie et prendre ses adversaires à revers.
Chaque unité dispose de ses propres compétences, et les archétypes sont très classiques : les mages ne résistent pas aux coups, les archers doivent sans cesse faire attention à la distance avec leurs adversaires, et les chevaliers servent de tanks. Il faut prendre en compte toutes leurs caractéristiques et leur vitesse de déplacement afin d’établir des stratégies permettant de prendre les adversaires en tenaille. Et gare à ne pas se jeter tête baissée dans la bataille, sous peine de se faire encercler soi-même et de perdre rapidement ses personnages. Il est donc bien plus efficace de privilégier la défense et la contre-attaque. On aurait toutefois aimé un mode avec mort permanente afin d’ajouter un peu de piquant aux combats, même si l’on imagine bien que cela n’était pas compatible avec les ambitions narratives du jeu.
Le level design se révèle assez élaboré pour nous pousser à utiliser au maximum le terrain afin de prendre l’avantage. On cherche ainsi constamment à placer nos archers en hauteur, ou à mettre nos mages à l’abri derrière un mur. De même, il est possible d’utiliser les éléments comme l’eau, la foudre ou le feu pour venir à bout des ennemis.
Côté progression et personnalisation des personnages, on reste un peu sur notre faim. Impossible de tailler ses unités à la main en les personnalisant comme bon nous semble. Pas non plus de système de jobs, chers à Final Fantasy Tactics. On se contente simplement de gagner des points d’XP et d’attribuer quelques points de compétence à chaque montée en niveau de nos combattants. Arrivé à un certain point, il est tout de même possible de faire changer de classe à un personnage en utilisant certains items.
Le campement permet d’acheter de l’équipement et d’accéder à des quêtes annexes, pratiques pour monter les combattants que l’on utilise le moins dans la quête principale. Petite déception sur l’équipement en revanche, peu fourni. Et ne parlons même pas des armes, qui ne sont tout simplement pas présentes. Finalement, les batailles sont avant tout centrées sur la stratégie, et il est impossible de “casser le jeu” dès lors qu’on a trouvé la bonne combinaison de personnages et de capacités comme dans un Bravely Default 2 par exemple. Un choix tranché et assumé, mais qui peut diviser, en fonction des attentes de chacun.
Là où Triangle Strategy s’éloigne le plus de ses illustres ancêtres, c’est dans sa narration. Non pas que son univers à base de capes et d’épées ou ses conflits géopolitiques façon Game of Thrones soient particulièrement novateurs. Pour la faire courte, trois royaumes traversent une période de paix relative après s’être entretués pendant des années pour le contrôle d’une denrée rare, le sel. C’est dans ce contexte que Serenor accueille dame Frederica Aesfrost afin de sceller leur union et ainsi de pérenniser la paix. Amour, amitié, mais aussi trahisons, complots et retournements de situation constituent le cœur du scénario de Triangle Strategy.
Des rouages qui n’ont rien de nouveau, mais toujours aussi efficaces quand l’ensemble s’imbrique parfaitement comme ici. On finit par être porté par cette histoire, avec l’envie d’en savoir toujours plus, comme dans une bonne série. Une des grandes forces de Triangle Strategy se trouve dans ses dialogues. Forcément, les allergiques au style verbeux et aux lignes de texte risquent de trouver le temps un peu long entre deux combats. La bonne nouvelle, c’est que le titre ne tombe jamais dans la niaiserie. Les relations entre les personnages et les enjeux du scénario sont d’une maturité assez rare pour un jeu du genre. On commence donc en ayant un peu l’impression d’être étouffé par ces multiples noms de régions, royaumes et personnages. Et petit à petit, les premières trahisons et retournements de situation arrivent, la magie opère, et on se prend à préférer les phases de dialogues aux phases de combat. Chaque petite scénette devient une véritable pièce de théâtre. On regrette simplement le manque d’illustrations pour donner encore un peu plus de caractère aux personnages. S’identifier à un amas de pixels, ce n’est pas toujours évident.
Mais ce qui fait tout le sel de Triangle Strategy réside sans doute dans son système de choix particulièrement intelligent. Notre ami Serenor va être confronté en permanence à des choix drastiques, qui impliquent des conséquences parfois dramatiques sur le déroulé de l’histoire. Respecter ses alliances ou les trahir, abandonner un poste en laissant des personnages à une mort certaine, venir en aide à une population persécutée ou se la jouer pragmatique sont autant de choix comportant de grandes conséquences sur le scénario et les personnages (spoil : oui, il risque d’y avoir des morts.). Les fins peuvent donc être très différentes selon les choix effectués.
Concrètement, Serenor est régulièrement confronté à trois grands idéaux : le pragmatisme, la liberté et l’éthique. Aucun moyen de savoir à l’avance quel choix correspond à quel principe, et encore moins l’impact de notre décision. Seul le message “les convictions de Serenor se sont renforcées” apparaissant à l’écran. On est donc incités à répondre en fonction de nos propres convictions, sans être influencés par la volonté d’avoir “la fin parfaite”. Un choix audacieux et diablement efficace. Tout le monde ne sera pas forcément satisfait de sa fin, qui peut parfois être douce, parfois amère, et vous savez quoi ? C’est très bien ainsi. Mais Serenor, grand prince, tient à appliquer des principes démocratiques à sa gouvernance. Ainsi, pour les choix les plus importants, un système de vote est mis en place. Chaque allié donne son vote en fonction de ses convictions, mais aussi de la capacité de conviction de Serenor, qui dépend de ses réponses ou de ses prouesses sur le champ de bataille. Parce que bon, la démocratie, c’est d’abord une histoire d’influence.
Mais tout cela ne serait rien sans un écrin à la hauteur. Et de ce côté, Triangle Strategy ne déçoit pas, se révélant comme un plaisir immédiat pour la rétine.L’aspect H2-2D lui sied à merveille, donnant un cachet certain à ses petites cartes façon diorama. Pour ne rien gâcher, cette version PC apporte le 60 images par seconde et la fin de l’aliasing plutôt prononcé sur Switch.Et que dire de la bande son…Akira Senju, compositeur sur la série d’animation Full Metal Alchemist, nous livre une BO absolument magistrale, dont les notes épiques se font sentir dès l’écran titre.
Triangle Strategy est aussi traditionnel dans son système de jeu que moderne dans sa narration et la façon dont il amène son scénario et ses choix cornéliens pour le joueur. Tout aussi réussi sur le plan technique, le jeu ne présente que le défaut relatif de n’offrir que peu de choix de personnalisation en ce qui concerne l’évolution de nos personnages. Une carence vite oubliée tant on se laisse porter par la narration et l’univers du titre. Pas de doute, Triangle Strategy peut sans honte manger à la même table que ses modèles, Final Fantasy Tactics ou Tactics Ogre. Celle des Tactical-RPG devenus cultes.