Des personnes passionnées par Harry Potter, il y en a (beaucoup). Qu’elles fassent infuser leur passion pour sortir un livre, c’est en revanche plus rare. C’est pourtant ce qu’ont fait Alix Houllier (aka Ipiutiminelle) et Corentin Faniel (surnommé Pantalaemon) en publiant “Harry Potter décrypté par ses fans”.
Saviez-vous qu’un nouveau livre Harry Potter est sorti durant l’été 2022 ? Non, attendez, ne vous précipitez pas ainsi au rayon J.K. Rowling (l’autrice de la saga) de votre librairie préférée : ce n’est pas là qu’il sera.
Déjà, il convient de dire que ce n’est pas une suite, ni même un livre écrit par J.K. Rowling (qui a sorti le premier en 1997). Cocorico, ce sont Alix Houllier (29 ans, traductrice littéraire) et Corentin Faniel (30 ans, attaché de presse) qui ont pris leur plus belle plume pour signer Harry Potter décrypté par ses fans (on appelle ces gens les Potterheads). Sans doute n’avez-vous jamais entendu parler de ces deux individus, qu’on connaît plutôt sous leurs pseudonymes de Ipiutiminelle et Pantalaemon. Sous lesquels ils enrichissent les colonnes de la Gazette du sorcier.
Il s’agit du plus ancien site francophone de fans de Harry Potter encore en activité, depuis son établissement en 2000. France 3 Champagne-Ardenne y a d’ailleurs consacré un article, car un lien ténu existe entre cette publication et la région. Il s’agit de la généalogie de Corentin Faniel, qui le relie lointainement à la maison de champagne Faniel d’Épernay (Marne)…
Mais laissons de côté le champagne, et le crémant aussi car J.K. Rowling est d’origine alsacienne. Et privilégions plutôt la bièraubeurre (une spécialité culinaire sorcière dans l’univers de Harry Potter). Il convient de noter qu’Alix Houllier et Corentin Faniel ont d’importantes responsabilités au sein de la Gazette. Elle est rédactrice en chef, et responsable de podcasts très exhaustifs, dont le plus récent concerne justement le fort impact des réseaux sociaux sur les fans de la saga. Lui est directeur de la publication. Mais il s’agit néanmoins d’un projet indépendant.
Les 320 pages du livre (il y en a à dire) sont donc écrites par deux fans, et pas par la Gazette du sorcier (qui en a d’ailleurs fait la critique comme n’importe quel ouvrage lié à l’univers du petit sorcier à lunettes). Le site spécialisé Culturellement vôtre décrit “un essai intelligent, bien construit et très détaillé” présentant “une plongée détaillée dans l’univers du fandom [communauté de fans et sous-culture qui y est lié; ndlr] de Harry Potter”. Ainsi qu’“un catalogue varié et passionnant de créations de fans” (le Wizard Rock et le Quidditch moldu valent le détour), et “une analyse intelligente du phénomène et de ses dérives” (oui, ce ne sont pas des groupies et leur livre sait mettre les pieds dans le plat).
France 3 Champagne-Ardenne a pu s’entretenir avec l’autrice et l’auteur de cet ouvrage qui aborde un sujet bien plus touffu qu’il n’y paraît. Au point qu’il dispose d’un article Wikipédia spécialement dédié. Et qu’il a complètement infusé dans la culture populaire mondiale – audiovisuelle et littéraire – jusqu’à ce que même la feue reine Elizabeth II baptise l’un de ses corgis Gryffondor, du nom d’une des maisons dans l’école de sorcellerie Poudlard. Aujourd’hui, tout le monde connaît Harry Potter, même sans être forcément fan.
Pourquoi écrire ce livre ?
Alix Houllier : “Le format de l’article sur Internet, virtuel, numérique, a ses limites. Le livre, c’était un moyen d’écrire et présenter des choses un peu différemment. Et peut-être revenir de manière plus facile et naturelle sur certains éléments. Beaucoup de choses dans l’histoire du fandom nous intéressent beaucoup. C’est mieux avec ce long format dans un livre plutôt que dans une série d’articles de la Gazette qui est un peu plus tournée vers l’actualité, même si on y écrit aussi des dossiers. On y trouve des choses avec lesquelles on a littéralement grandi, avec lesquelles on vit depuis presque 20 ans. Sans oublier notre expérience avec la Gazette qui a inspiré certains passages du livre.”
Corentin Faniel : “Le projet du livre en lui-même, c’est à peu près un an pour le faire : recherches dans les archives, écriture… Mais il y avait une réflexion qui était en cours depuis plus longtemps. Pour nous, c’était l’aboutissement et la suite logique de nos onze ans d’implication dans le fandom, de notre quotidien au côté des fans, à côté de toute cette créativité aussi. Toutes les connaissances qui y sont abordées ont été emmagasinées pendant des années et des années.”
Pourquoi avez-vous parlé de Sherlock Holmes dans votre livre ?
A.H. : “A priori, on y trouve [l’oeuvre de Sir Arthur Conan Doyle; ndlr] la première trace de fandom au sens moderne du terme. Mais c’est vrai que chaque univers a aussi un peu réinventé sa propre façon de communiquer et de rassembler les fans. Un peu plus récemment que Sherlock Holmes, Star Trek a défini beaucoup de choses qui peuvent se faire en matière de communauté de fans. Chaque univers l’a fait avec les moyens qui étaient disponibles au moment de son pic de popularité. Ce qui était possible au temps de Conan Doyle n’est pas ce qui était possible pour Star Trek. Chaque époque a un peu façonné les créations de fans.” (voir sur la vue panoramique ci-dessous un lieu unique en son genre : un musée-boutique Sherlock Holmes à Londres qui ravit les fans)
“En ce qui concerne les fanfictions [œuvres dérivées écrites par les fans, pour réarranger l’histoire en reprenant des personnages existants, en en créant de nouveaux, voire en s’intégrant soi-même dans l’oeuvre, voir ces articles de Biblio Obs et la Revue des médias; ndlr]… C’est l’une des plus anciennes formes d’exprimer sa passion pour Harry Potter, vu que c’est aussi la plus ‘facile’ d’un point de vue technique, par rapport à de la vidéo [ou du cosplay; ndlr]. La communauté Harry Potter s’est développée en ligne à la fin des années 90 et début des années 2000 : faire du traitement de texte sur Internet était possible. L’univers étant très vaste, et l’attente entre les tomes très longue, ça s’est fait assez naturellement de se demander quoi écrire de plus [quinze ans après, des fans réalisent des court-métrages Harry Potter non-reconnus mais quasi-professionnels; ndlr].”
C.F. : “Pour relier ça à Conan Doyle, souvent Sherlock Holmes est cité comme étant le premier exemple parce qu’à la mort du personnage [au chutes du Reichenbach dans Le Dernier problème; ndlr], beaucoup de gens se sont insurgés. On a vu l’impact du fandom d’une certaine manière mesurable. Après, il y en a sans doute déjà eu avant, par exemple avec Charles Dickens qui publiait ses romans en série dans des journaux. Les gens suivaient déjà ça, et d’une certaine manière, c’était déjà des fandoms à l’époque.”
“Sherlock Holmes” est cité comme étant le premier exemple parce qu’à la mort du personnage, beaucoup de gens se sont insurgés.
“Et avec Sherlock Holmes, il y a eu des fanzines. Des magazines qui inventaient de nouvelles histoires pour le personnage, qui sont, d’une certaine manière, une forme de fanfiction. On retrouve vraiment ce phénomène et cette pratique-là très loin au début. C’est pour ça qu’on en parle aux origines du fandom. Mais comme le disait Alix, chaque fandom réinvente ses propres codes et s’adapte aux technologies pour déterminer les bases du fandom dans le futur.”
Vous avez aussi mis l’accent sur l’importance d’Internet pour les fans…
C.F. = “Ça a joué un rôle énorme. Ça a permis de diriger les fans, de faciliter leurs échanges. Et amplifié le bouche-à-oreille. Ça a aussi permis d’entretenir les attentes pendant qu’il n’y avait pas de nouveau contenu disponible, pour la sortie des tomes comme des films, des jeux-vidéo. Discuter sur Internet permet d’entretenir le débat.”
Comment les maisons d’édition et studios de cinéma ont capitalisé là-dessus ?
C.F. : “Il y a eu des moments un peu difficiles au début, comme la Potterwar qu’on aborde dans le livre [littéralement : guerre Harry Potter, quand les studios Warner ont tenté de faire fermer les premiers sites de fans Harry Potter en 2000 pour violation de propriété intellectuelle; ndlr]. Mais très vite, on s’est rendu compte qu’une communauté pouvait s’entretenir et être un atout pour les ayant-droits [un bon exemple : les files d’attente à minuit dans les librairies pour obtenir le nouveau Harry Potter; ndlr]. Le rapport est pour moi symbiotique : l’un nourrit l’autre et l’autre nourrit l’un. Les deux travaillent ensemble pour que les choses se passent au mieux. On le voit de plus en plus : de nombreuses marques s’associent à leurs fans pour poursuivre leur développement.”
Comment a évolué l’histoire de la saga et de son fandom ?
A.H. : “Il y a eu les livres avec les films. Puis il y a eu des extensions de l’univers : la pièce de théâtre et les nouveaux films des Animaux fantastiques, les jeux-vidéo… Tout le monde ne s’intéresse pas à tous ces éléments. Le fait qu’il y ait beaucoup de choix fait que certains vont se déconnecter car il y a trop de contenus. À une époque, il y avait juste un nouveau livre tous les deux ans; là il y a du contenu régulier, des évènements, etc. Un éclatement se produit donc entre ceux qui sont restés sur la saga Harry Potter et pas ce qui s’est fait depuis. Et puis il y a ceux qui vont s’intéresser à tout ce qui se fait dans le Wizarding World [monde magique étendu créé par J.K. Rowling; ndlr], ou bien à une partie seulement comme les lieux officiels que sont les studios à Londres où l’on peut faire une visite guidée, ou le parc d’attractions Universal.”
À une époque, il y avait juste un nouveau livre tous les deux ans.
“On voit dans les comics [Marvel par exemple; ndlr] que 40, 50, 60 ans après la création de ces personnages, ils apparaissent encore dans de nouveaux films. Mais ça ne s’était encore jamais vu pour de la littérature jeunesse. C’est surprenant, et il y a de la curiosité quand on se demande ce qui va venir après, comment ça va pas pouvoir évoluer, qu’est-ce qu’on va pouvoir encore inventer ? Le poids de la franchise, et l’attachement des fans, font que les studios ont l’assurance qu’il y aura un public pour leurs créations [le développement de la réalité virtuelle (VR) et des baguettes connectées quasi-magiques pour s’immerger dans l’univers semble de plus en plus concret; ndlr].”
Quel est le rapport des fans à Harry Potter aujourd’hui ?
C.F. : “Plusieurs choses font qu’on puisse vouloir consciemment ou inconsciemment se distancer de cet univers. Des gens, tout simplement, grandissent et se découvrent d’autres passions, d’autres cercles amis, et n’ont plus le même temps à consacrer. Harry Potter est un phénomène qui date, et s’use d’une certaine manière [malgré le renouvellement constant abordé ci-dessus; ndlr]. Ce qui fait qu’il continue à se maintenir, c’est que de nouvelles personnes, de nouvelles générations, le rejoignent pour continuer à alimenter le fandom. Mais inévitablement, les fans évoluent dans leur rapport à l’oeuvre. Ils ne perçoivent plus cet univers à 20 ou 30 ans de la même manière qu’à 7-12 ans. C’est normal.”
“Les fans sont les gardiens des valeurs de Harry Potter dans le sens où comme ils ont grandi avec cette oeuvre, elle a eu une importance cruciale dans leur adolescence, dans leur jeunesse. C’est une oeuvre qui les a profondément marqués, qui a marqué plus d’une génération. Inévitablement, ils vont y être attachés, et certains vont avoir des points auxquels ils tiennent énormément, quand d’autres n’en ont rien à faire du canon [respect dans le temps de l’oeuvre telle qu’écrite par son autrice, avec mise à l’épreuve quand la date de naissance d’un personnage important a été modifiée; ndlr]. À l’heure actuelle, il y a une question de perception et de compréhension personnelle. Les livres sont là et chacun va les lire à sa manière, et en tirer des leçons [le fandom est réputé particulièrement tolérant et attaché aux questions d’égalité; ndlr]. Chacun, du coup, devient le gardien de cette interprétation de l’oeuvre.”
A.H. : “Ce qui a peut-être joué aussi, c’est que les fans, contrairement à Warner Bros, ou aux éditeurs, ou aux personnes qui créent officiellement le contenu, n’ont pas le même rapport – financier – à l’oeuvre. C’est un rapport d’affect. Ce n’est donc pas la même chose qui est attendue, c’est décorrélé du pécuniaire. Les fans font aussi le succès ou non d’une nouvelle production. On l’a vu dans une certaine mesure avec les Animaux fantastiques : beaucoup de fans attendaient de cette nouvelle saga une reconnaissance officielle de l’homosexualité de Dumbledore. Et quand le réalisateur a, à l’origine, dit que ce n’était pas le sujet, il y a eu une forme de soulèvement [depuis plusieurs années, des critiques récurrentes sont faites à J.K. Rowling sur son traitement des minorités sexuelles, ethniques, et religieuses dans Harry Potter, ainsi que sur ses positions personnelles de plus en plus revendicatives sur la transidentité; ndlr].”
D’une certaine façon, les fans sont donc aujourd’hui gardiens des valeurs, et d’une forme de continuité, au sein de l’univers étendu de Harry Potter.
“Au final, dans le troisième film, on a vu cette vérité enfin formulée ouvertement dans une production officielle. Je pense qu’avec cet engagement de la communauté, qui défend ces valeurs et n’a pas hésité à dire que l’esprit des personnages était trahi, il y a eu des remises en question au niveau des positions officielles des scénaristes, réalisateurs, etc. D’une certaine façon, les fans sont donc aujourd’hui gardiens des valeurs, et d’une forme de continuité, au sein de l’univers étendu de Harry Potter.”
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Comment avez-vous réussi à faire éditer ce livre, un peu “de niche” ?
C.F. : “On a déjà eu un projet qui a été refusé. Mais en se tournant après vers cet éditeur-là, on savait que ça correspondait : il faut connaître l’éditeur et sa ligne éditoriale. Des livres qui décryptent le phénomène Harry Potter ou qui s’en servent pour vulgariser [les scientifiques adorent utiliser la saga pour expliquer et sensibiliser; ndlr], on en a vu de très nombreux ces dernières années. Ça n’a pas été un frein.”
A.H. : “Ça faisait des années qu’on suivait. Avant d’écrire un livre, on a tous les deux beaucoup lu de livres, d’analyses sur Harry Potter. Depuis des années et des années. On savait ce qui existait, et surtout ce qui n’existait pas et ce qu’on aurait eu envie de lire. Des analyses littéraires ou spécialisées, il y en a eu un certain nombre. Personnellement, j’aime beaucoup les livres sur le droit dans Harry Potter, ou le monde antique et Harry Potter avec les analyses des références classiques…”
“C’était beaucoup sur de l’analyse littéraire ou un peu sociale, mais au final, à part dans le monde anglophone – et ça date – il n’y avait pas vraiment d’ouvrage qui parlait du fandom en lui-même, ou en tout cas en tant que sujet principal. C’est un peu ce constat-là qui a fait qu’on sait qu’il y a intérêt pour les livres dérivés de Harry Potter. On sait qu’il y a de très bonnes choses qui existent et se font, mais on sait aussi que le sujet qui nous tient le plus à coeur n’a pas encore droit à son livre. Il y a un marché pour ce sujet.”
Qu’est-ce que ça vous a fait d’écrire ce livre à quatre mains ?
A.H. : “On travaille ensemble sur la Gazette depuis dix ans. Forcément, [autant de temps] à écrire des articles ensemble, à se relire mutuellement, à monter des projets : ça aide. On savait avant de se lancer à quoi s’attendre. On connaît un peu les marottes de l’un et de l’autre. Ce n’était pas un plongeon dans l’inconnu. Et ça m’a un peu rassurée, je pense, de me dire qu’on était deux. On avait tous les deux une vision très similaire de ce qu’on voulait faire, de ce dont on voulait parler.”
Autant de temps à écrire des articles ensemble, à se relire mutuellement, à monter des projets : ça aide.
“Mais on a aussi tous deux nos sujets de prédilection, pas forcément identiques. Et nos parcours sont un peu différents aussi. Je pense qu’on s’est complété assez bien sur ce projet, que ce n’était pas une difficulté. Je me suis beaucoup penchée sur les créations de fans, leurs analyses et théories; Corentin a beaucoup parlé de l’aspect communication ou du sensationnalisme [quand les médias traitent le sujet Harry Potter n’importe comment, et ça arrive souvent; ndlr].”
C.F. : “Ça n’a certainement pas été un obstacle, mais plutôt ouvert la possibilité de travailler plus en profondeur sur les chapitres que chacun maîtrisait mieux. Au point qu’après ce travail, il devient difficile de discerner qui a écrit quel chapitre. C’est important d’avoir deux points de vue lorsqu’on essaye de trouver le bon équilibre sur certains sujets sensibles ou compliqués. Avoir une autre personne qui peut nous accompagner là-dedans, nous relire, proposer de nouvelles formulations et idées, c’est enrichissant. Je pense que c’est justement ce qui fait ce fandom : c’est sa richesse de points de vue et d’idées. Quoi de mieux alors que d’écrire à plusieurs un livre sur le fandom ? “