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« Le taux de sinistralité du secteur de la logistique est aussi élevé que celui du BTP. Ce sont les deux champions au niveau national, avec des taux de fréquence et de gravité deux fois supérieurs à la moyenne nationale », introduit Éric Veretout, expert conseil Transport et Logistique à l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité). Dans ce contexte, avec leurs compétences régionales, les Carsat (caisse d’assurance retraite et de la sécurité au travail) sont là pour intervenir auprès des entreprises, en réaction à une situation ou en se saisissant du dossier. Le rôle de l’INRS de son côté consiste davantage en un recueil de connaissances, que ce soit par des bibliographies ou des recherches.
Pour évaluer ces risques en logistique, il faut distinguer deux types d’interactions bien distinctes. La première concerne l’activité réalisée à l’intérieur de l’entrepôt (comme la préparation de commandes), où « l’évaluation se fait à travers l’analyse des situations de travail, l’identification des facteurs de risque et leur priorisation, puis la définition des mesures de prévention à adopter pour les supprimer ou les réduire », indiquent Camille Thoorens, chargée de prévention et Julien Tonner, ingénieur conseil, tous deux à l’Assurance maladie – Risques professionnels. La seconde touche aux activités réalisées en interface avec l’entreprise de transport (lors du chargement et du déchargement de la marchandise) : « L’évaluation se fait alors conjointement avec chaque entreprise de transport dans le cadre d’un protocole de sécurité », détaillent-ils. Le tout pour assurer la meilleure sécurité possible sur les plateformes logistiques. Des lieux où les principaux accidents du travail concernent, pour les entrepôts non frigorifiques, les risques découlant de la manutention (68 % manuelle, 7 % mécanique) et ceux liés à une chute (11 % de plain-pied et 6 % de hauteur). Ces chiffres diffèrent légèrement dans l’univers du grand froid : concernant les risques liés à la manutention, ils s’élèvent à 69 % lorsqu’elle est manuelle et 9 % si elle est mécanique, concernant les chutes, 13 % ont lieu de plain-pied et 4 % en hauteur (chiffres selon les données Cnam-DRP-MStat 2019). Conséquence de ces risques : les maladies professionnelles (MP). Ces dernières concernent à 95 % des troubles musculosquelettiques (TMS) ou des lombalgies dans les entrepôts non frigorifiques, tandis que dans l’univers du froid ce chiffre s’élève à 99 %, selon les mêmes sources. Éric Veretout explique ce taux très important par plusieurs raisons : « Dans la préparation de colis, les doubles et triples niveaux de picking sont encore très nombreux. Un véritable fléau qui contraint l’opérateur à s’accroupir, parfois ramper et porter à bout de bras les colis … ». Ces TMS résultent également de toutes les opérations de filmage manuelles qui sont éprouvantes pour les articulations des membres supérieurs et les disques intervertébraux. Les palettes à dépoter ou à charger sont également dangereuses lorsqu’elles sont trop hautes : « Cela entraîne de mauvaises postures et peut provoquer la chute de colis amenant à des réactions désordonnées de la part de l’opérateur. Les manutentions de palettes vides à la main se révèlent également une catastrophe pour le dos et les membres supérieurs ». Quant au transport, « neuf accidents sur dix surviennent lorsque le camion est à l’arrêt, avec des dangers liés aux chutes de hauteur, ou encore aux manutentions manuelles de la même manière qu’en entrepôt, détaille Éric Veretout. En logistique urbaine, ces accidents peuvent concerner la chute de hayons, et pour les VUL, les chutes de plain-pied lorsque le livreur extrait un colis de son véhicule ».
La présence de ces risques génère un déficit d’attractivité de ces activités, jugent Camille Thoorens et Julien Tonner : « Pour favoriser le recrutement, les entreprises doivent proposer un cadre favorable à la santé et la sécurité des salariés, et prévoir la montée en compétences nécessaire pour assurer le maintien de bonnes conditions de travail. Par ailleurs, le suivi de ces dernières est essentiel : il convient d’assurer le même niveau de compétences pour l’encadrement de proximité afin d’éviter tout décrochage entre les réalités terrain et les besoins de productivité ». L’Assurance maladie – Risques professionnels et l’INRS mettent ainsi à disposition des entreprises des outils dédiés. Parmi eux, le cahier de l’accueillant permet de faciliter l’élaboration de la démarche d’accueil dans toute entreprise, le quiz Pass-prévention et l’outil TutoPrév’ Accueil Logistique donnent quant à eux la possibilité d’évaluer les acquis du nouvel arrivant en matière de santé et sécurité au travail.« Pour élaborer un protocole de sécurité adapté aux risques respectifs des entreprises de logistique et de transport, le recours à la recommandation R512, élaborée et adoptée par les partenaires sociaux de plusieurs secteurs d’activité, représente une base solide », détaillent Camille Thoorens et Julien Tonner. Et pour diminuer durablement l’impact des TMS et des lombalgies, les deux experts orientent vers TMS Pros, une démarche de prévention en quatre étapes. « La démarche TMS Pros intègre un programme de formation afin que les personnes désignées comme ressource sécurité au travail dans les entreprises puissent y dérouler toutes les actions liées à la prévention des TMS », indique Éric Veretout. L’INRS a d’autre part récemment travaillé à l’élaboration d’une nouvelle formation plus généraliste dans le domaine de la logistique dont la première instance a eu lieu du 20 au 22 septembre 2022 : « Elle était destinée à dessiner le panel de tous les risques logistiques et les moyens de prévention les plus évidents, immédiats et pertinents pour les adresser », décrit-il.
Pour déployer concrètement des démarches de sécurité sur sa plateforme logistique, les sociétés disposent ainsi de différentes aides. « Les cas où l’entreprise peut solliciter d’elle-même la caisse régionale (Carsat, Cramif, CGSS) découlent de plusieurs situations différentes : sinistralité avérée inquiétant l’entreprise, besoins identifiés d’évaluer des risques…, expliquent Camille Thoorens et Julien Tonner. Dans un premier temps, un échange entre l’entreprise et la caisse régionale est réalisé pour permettre d’élaborer un état des lieux partagé ». Celui-ci peut alors déboucher sur la mise en place d’un accompagnement et l’utilisation d’un ou plusieurs outils. Il existe à ce sujet deux types d’incitations financières pour accompagner les actions en faveur de la logistique afin de réaliser un diagnostic des risques et mettre en place un plan d’actions de prévention correspondant : les Subventions Prévention TPE telles que TMS Pros Diagnostic et TMS Pros Action s’adressent aux entreprises de moins de 50 salariés tandis que la convention nationale d’objectifs C045 (dite CNO transversale – Prévention des TMS et des accidents liés aux activité de manutention manuelle et port de charge) est dédiée aux entreprises de moins de 200 salariés. D’autre part, « un dispositif de formation à trois niveaux spécifiques à l’activité de transport et logistique est proposé sur ameli.fr aux entreprises : au niveau du dirigeant, au niveau d’un animateur prévention coordonnant la mise en oeuvre des actions de prévention, et au niveau des opérateurs terrain pour leur permettre d’identifier et remonter les risques rencontrés », stipulent Camille Thoorens et Julien Tonner.
Si, de manière générale, les principales préconisations sur les moyens de protection à mettre en place dans un entrepôt, portent sur le matériel et l’organisation, il faut également tenir compte de la conception des bâtiments, note Éric Veretout : « En phase de construction ou de rénovation d’un entrepôt, il existe de nombreuses questions à se poser pour passer en revue tous les points de vigilance liés aux circulations extérieures, intérieures, les aires de manoeuvre, les quais, l’accès en toiture, etc. ». Des démarches que l’INRS évoque notamment à travers des préconisations détaillées : « Celles-ci permettent de respecter le code du travail mais également certaines normes qui ne sont pas d’applications obligatoires mais relèvent de la bonne pratique ». Sur la manutention manuelle, il s’agira par exemple de supprimer des doubles et triples niveaux de picking, en les transformant en rails dynamiques, casiers ou tiroirs, tandis que les filmeuses automatiques, évitant d’avoir à se baisser et manipuler les cutteurs, participent à diminuer les risques liés à cette opération lorsqu’elle est réalisée manuellement. « Pour empêcher la survenue de TMS, on peut éviter également de monter les rolls et les palettes à plus d’1,80 m et des appareils comme les gerbeurs ou les transpalettes électriques vont de leur côté permettre de prélever les palettes sans avoir à les manutentionner à la main », illustre Éric Veretout. Tout un pan de la prévention va d’autre part concerner les palettiers dont il va falloir protéger les pieds pour réduire les conséquences d’une collision avec un chariot élévateur. Enfin, les menaces existantes sur les quais de transbordement sont largement à prendre en compte, « le risque le plus grave, même si ce n’est pas le plus fréquent, étant le départ inopiné du camion, quand le cariste est encore en train de charger, ce dernier risquant alors de tomber depuis le quai sous son chariot élévateur », décrit-il. Pour pallier ce danger, des actions matérielles peuvent être entreprises, comme l’installation de bloque-roues sous le camion mais également des réponses organisationnelles telles que la consignation des clés par le chauffeur – « tant qu’il n’a pas le feu vert, il ne les récupère pas ». Au final, c’est un mix entre divers démarches et outils qui conduira l’entreprise au meilleur dispositif pour assurer la sécurité sur sa plateforme : « Le tout est de pouvoir piocher dans un arsenal de solutions, que nous mettons à disposition des entreprises via nos brochures et toute la communication que nous réalisons sur le sujet ». Ensuite, il existe une méthode générale à suivre pour élaborer un document unique qui sera l’élément central de l’évaluation des risques professionnels. « Nos brochures vont guider les entreprises pas à pas pour remplir ce document et en faire un outil de travail évolutif comprenant l’évaluation, l’identification des risques, leur analyse, leur classement puis le traitement des plus graves et des plus fréquents », stipule Éric Veretout. C.C.
Concernant la prévention des risques liés aux engins de manutention, outre l’aspect réglementaire, la maintenance périodique du matériel et l’assurance d’une formation adéquate du chauffeur, participent à la sécurisation de l’entrepôt. « Certaines petites entreprises sont encore, de manière assez surprenante, assez éloignées de la connaissance des dispositifs réglementaires en la matière. Lorsqu’il s’agit de petits chariots gerbeurs ou des transpalettes à conducteur porté, il arrive que certaines sociétés ne disposent pas du bon Caces ou n’aient pas dispensé les autorisations de conduite prévues par le législateur, avec la visite médicale et la reconnaissance des lieux », observe Éric Veretout. Pour autant, ce dernier observe une véritable sensibilisation du secteur dans le domaine de la sécurité : « En deux décennies, la filière a clairement gagné en maturité, c’est le jour et la nuit en matière de prévention des risques, tant matérielle qu’organisationnelle. Il y a 20 ans, on ne voyait pas l’ombre d’un gilet dans les cours, dans les entrepôts. Maintenant, il est hors de question qu’il ne soit pas porté par tous ainsi que des chaussures de sécurité ». Si les mentalités ont changé, l’expert conseil Transport et Logistique à l’INRS constate néanmoins une progression des arrêts longue durée en logistique avec un doublement de leur durée sur les 15 dernières années. Quelles explications donner à cette augmentation ? « Des accidents qui arrivent peut-être à des gens plus âgés avec un phénomène de désertion professionnelle », émet Éric Veretout. Une situation qui peut également être en lien avec le quatrième grand risque en entrepôt (après ceux liés à la manutention manuelle, aux chutes de plain-pied, et aux manutentions mécaniques), le risque psycho-social : « Celui-ci est clairement en train de monter avec l’industrialisation des processus logistiques. Dès qu’un travail perd son sens et qu’une pression temporelle s’applique en plus, cela peut mener à des dépressions, et c’est un facteur d’accident physique supplémentaire, même s’il n’est pas chiffré pour l’instant », conclut-il.