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Pauvreté en France : mesures et réalités par Nicolas Duvoux – Vie publique.fr

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La grande pauvreté touche en France environ deux millions de personnes. Globalement, la pauvreté s’est déplacée vers les chômeurs, les familles monoparentales, les jeunes et se concentre dans les villes-centres et périphéries proches. Quelles sont les différentes méthodes pour saisir ce phénomène et quels en sont les écueils ?
Par  Nicolas Duvoux – Professeur de sociologie à l'université Paris 8, président du Comité scientifique du Conseil National des Politiques de Lutte contre la pauvreté et l'Exclusion sociale

Temps de lecture  13 minutes
Les contours du phénomène de la pauvreté et sa mesure sont déterminés, quelle que soit l’optique adoptée, par le biais d’une définition a priori. Dans la plupart des pays non européens, la vision “absolue” de la pauvreté prévaut, fondée sur la capacité à satisfaire un certain nombre de besoins considérés comme des minima vitaux (Julien Damon, Pauvreté dans le monde : une baisse menacée par la crise sanitaire, Fondation pour l’innovation politique, février 2021). La Banque mondiale retient un seuil d’extrême pauvreté de 1,90 dollar par jour, tandis que les États-Unis le définissent annuellement, de manière absolue, à partir d’un panier de biens pour une famille de quatre personnes. À l’opposé de ces approches absolues, l’approche prédominante en Europe repose sur une conception à la fois monétaire et relative : la délimitation de la pauvreté varierait en fonction de la société dans laquelle on vit.
Cette pauvreté monétaire relative, approche statistique de la pauvreté aujourd’hui retenue par l’Insee, considère que tout individu, vivant dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 60% du niveau de vie médian (1 102 euros par mois pour une personne isolée en 2019, soit 14,6% de la population), est pauvre. Plus significatives peut-être sont les évolutions qualitatives de la pauvreté monétaire : comme dans l’ensemble des pays développés, celle-ci s’est déplacée vers les chômeurs (38,9% de pauvres dans cette catégorie), les familles monoparentales, les jeunes et les populations urbaines. Très exposées au cours de la période dite des “Trente glorieuses”, les personnes âgées et retraitées apparaissent aujourd’hui relativement épargnées par la pauvreté, vue au prisme de l’indicateur standard. Cela s’explique par le fait que les montants des retraites – quoique relativement modestes –, la pension de droit direct s’élevant en moyenne en 2016 à 1 294 euros par mois, correspondent à un niveau de vie souvent supérieur au seuil de pauvreté monétaire. En évolution, la pauvreté monétaire relative a baissé depuis les années 1970, mais a légèrement augmenté depuis le début des années 2000.
Cet indicateur permet également de documenter une évolution de la pauvreté : plus concentrée sur les jeunes, elle affecte également particulièrement certaines catégories de ménages, situées à la croisée des vulnérabilités économiques et sociales, ainsi que d’un déficit de protection sociale. Ainsi, les familles monoparentales sont-elles particulièrement exposées. De même, les jeunes (enfants et jeunes adultes) sont-ils plus concernés par la pauvreté monétaire que la moyenne. Cela a trait à l’absence, relative, de protection sociale générale dont ils souffrent, même si des aides spécifiques ont été développées.
L’absence d’activité, et notamment le chômage, est le premier déterminant de l’entrée dans la pauvreté. Celle-ci révèle l’ancrage de la pauvreté dans une société salariale, où l’emploi stable est le principal pourvoyeur de ressources, mais aussi d’utilité sociale, en même temps qu’une inscription pérenne sur le marché de l’emploi conditionne l’accès à une protection sociale de type assurantiel (assurance-chômage notamment, mais également assurance vieillesse).
Suivant les évolutions plus générales de la société française (urbanisation et étalement urbain), la pauvreté se concentre dans les villes-centre et les périphéries proches. Ces évolutions générales ne sont, en rien, exclusives, de l’existence d’une pauvreté rurale ou périurbaine, de même que l’exposition des jeunes n’empêche pas des personnes âgées, notamment des retraités, de connaître de graves difficultés. Pour les mesurer, d’autres indicateurs sont disponibles et ont été développés.
Cette mesure de la pauvreté fait toutefois l’objet de critiques, qui portent tant sur le niveau du seuil que sur le fait de se focaliser sur le revenu des ménages. Des variations minimes du seuil retenu peuvent en effet conduire à des taux de pauvreté très différents : un seuil ramené à 50% du niveau de vie médian aboutit à un taux de pauvreté presque divisé par deux (de 14 à 8% en France environ). Une diminution du niveau de vie médian de la population peut aussi provoquer mécaniquement une baisse du taux de pauvreté, sans que la situation matérielle des plus démunis ne se soit améliorée. Le taux de pauvreté monétaire relative constitue, fondamentalement, un indicateur d’inégalités, il mesure un écart vis-à-vis du groupe central de la population.
Pour pallier cette limite, il est possible de partir des conditions de vie des ménages et des privations qu’ils subissent. C’est la pauvreté dite “en conditions de vie”, mesurée par un indicateur de “privation matérielle et sociale”. Selon cette approche, une personne est pauvre si elle déclare souffrir d’au moins cinq difficultés parmi une liste de treize items concernant des restrictions de consommation, les conditions de logement, les retards de paiement, etc. Cette définition renvoie à la capacité de consommation et de partage et a donc de nombreux traits communs avec l’approche “absolue” du phénomène qui détermine le seuil de pauvreté en fonction de l’accès à un panier de biens de base.

La privation matérielle et sociale renvoie à des difficultés concrètes rencontrées dans la vie quotidienne. L’indicateur se situe dans un ordre de grandeur proche, quoique légèrement inférieur, au taux de pauvreté monétaire relatif. Il est orienté à la baisse car la qualité des logements augmente en moyenne dans les pays de l’Union européenne, et ce même si les difficultés du mal-logement touchent de larges parties de la population. Ce point alerte justement sur une des difficultés de l’indicateur. Proche d’une mesure absolue de la pauvreté, celui-ci est aussi subjectif : une personne qui a perdu l’espoir d’obtenir un bien (prendre une semaine de vacances) peut ne pas exprimer de privation. Ceci renvoie à la principale faiblesse de cet indicateur : il est purement déclaratif.

Ces indicateurs doivent être pensés ensemble, et, si possible, de manière dynamique. En effet, ces deux indicateurs (de pauvreté monétaire et en conditions de vie), lorsqu’ils sont croisés, permettent de mesurer la “grande pauvreté” qui, en 2019, touche en France environ deux millions de personnes (Julien Blasco, Sébastien Picard, “Environ 2 millions de personnes en situation de grande pauvreté en France en 2018”, Revenus et patrimoine des ménages, 2021). Celle-ci constitue le “noyau dur” de la pauvreté. À l’inverse, l’absence de recoupement entre les différents indicateurs (40% des personnes en situation de pauvreté monétaire ne sont pas en situation de privation matérielle, et réciproquement) fait apparaître un halo d’environ un Français sur cinq, touché par une des formes de difficulté.
La prise en compte de la temporalité invite également à complexifier l’appréhension de la pauvreté, notion qui recoupe des phénomènes transitoires liés à des accidents de la vie et des situations chroniques, marquées par le cumul des difficultés (Mary-Jo Bane, David T. Ellwood, “Slipping Into and Out of Poverty: The Dynamics of Spells”, Journal of Human Resources, winter 1986, 21(1), p. 1-23). Or les ordres de grandeur varient de plus d’un tiers de la population concernée par l’une ou l’autre des formes de pauvreté (monétaire ou conditions de vie) sur une période de quatre ans à une fraction quasiment négligeable pour ceux concernés par les deux formes sur la durée (Nicolas Duvoux, Michèle Lelièvre (dir.), “Trajectoires et parcours des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale”, Drees/comité scientifique du CNLE, octobre 2021).

Un décalage existe aussi entre l’ensemble des personnes jugées pauvres d’un point de vue monétaire ou en conditions de vie et la diffusion du sentiment subjectif de pauvreté au sein de la société française (Nicolas Duvoux, Adrien Papuchon, “Qui se sent pauvre en France ? Pauvreté subjective et insécurité sociale”, Revue française de sociologie, 2018/4, p. 607-647). Le baromètre d’opinion de la Drees, qui suit chaque année l’évolution de la perception des inégalités et du système de protection sociale en France, permet d’identifier les personnes qui disent se sentir pauvres et de décrire leur profil social donné.
Tandis que la pauvreté monétaire relative constitue un indicateur d’inégalité évaluant la part des revenus qui sont éloignés des niveaux intermédiaires et que la pauvreté en conditions de vie représente un indicateur composite de degré de privation matérielle, le sentiment de pauvreté (qui concernait environ 13% de la population jusqu’en 2018) manifeste quant à lui une condition caractérisée par une insécurité sociale durable, c’est-à-dire une perception négative de l’ensemble de sa trajectoire de vie, passée et future. En effet, les conditions matérielles d’existence se traduisent par une appréhension vis-à-vis de l’avenir, ce qui conduit à parler de cette insécurité sociale durable, englobant la situation actuelle et la projection dégradée dans l’avenir.
Même si elles constituent les points de repère fondamentaux pour analyser la diffusion et l’évolution de la pauvreté dans notre société, ces trois mesures ont pour difficulté principale de tenir à l’écart les populations les plus vulnérables, celles qui ne vivent pas dans des ménages ordinaires (environ 300 000 personnes, sans abri ou hébergées). L’action publique, grâce aux prestations sociales et, notamment, en France, la principale, le revenu de solidarité active (RSA), permet de mesurer autrement la pauvreté et le rapport que la société entretient avec cette réalité.
Une approche “relationnelle” de la pauvreté, inspirée des analyses séminales du sociologue allemand Georg Simmel, met plus particulièrement l’accent sur les formes institutionnelles du phénomène (être allocataire du revenu de solidarité active, recourir à l’aide alimentaire, à des aides auprès des collectivités, etc.) et s’est déployée dans un contexte de développement du chômage de masse. La pauvreté est alors (re)devenue un objet d’intervention publique explicite, avec le développement de politiques publiques placées sous conditions de ressources. Très opérationnel d’un point de vue empirique (Serge Paugam, La Disqualification sociale. Essai sur la nouvelle pauvreté, Puf, 1991), ce paradigme n’en est pas moins porteur d’un risque de rétrécir le périmètre de la notion aux catégories prises en charge par l’assistance sociale ou susceptibles de l’être.
Les mesures destinées, en propre, à lutter contre la pauvreté parviennent, au mieux, à diminuer l’intensité de la pauvreté puisqu’elles sont placées (même dans la configuration courante où le RSA est associé à l’aide au logement) à des niveaux inférieurs au seuil de pauvreté. Loin d’être négligeables, ces mesures stabilisent la condition des populations les plus précarisées et leur permettent d’éviter le dénuement absolu.
Cependant, elles ne constituent pas des leviers de prévention ni même de sortie de cette condition. Parmi ces transferts, les politiques d’assistance (légalement désignées par l’aide sociale depuis 1953) visent à assurer un revenu à des personnes qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour vivre dignement. Ces mécanismes n’ont cessé de s’entendre depuis les années 1970 pour pallier les effets du chômage de masse mais aussi de transformations dans la sphère privée (augmentation des séparations, par exemple). La rupture institutionnelle la plus importante est sans doute la création du revenu minimum d’insertion (RMI), par la loi du 1er décembre 1988. En effet, si des minima sociaux catégoriels existaient, aucun dispositif n’était prévu pour les individus valides, d’âge actif, mais ne travaillant pas ou n’ayant pas suffisamment travaillé pour pouvoir accéder aux prestations assurantielles dominantes dans la protection sociale. Précédé par des mobilisations associatives, ce changement majeur fut prolongé par la loi de lutte contre les exclusions en 1998 qui ouvrit la voie à la création de la couverture maladie universelle (CMU), aujourd’hui prestation universelle maladie (Puma).

Les minima sociaux couvrent aujourd’hui 4,25 millions d’allocataires, soit 11% de la population française. Ils sont en forte progression, du fait de l’extension du périmètre (minima sociaux catégoriels dans les années 1970 puis RMI, généraliste à quelques exceptions près dans les années 1980 et prime d’activité pour les salariés et travailleurs modestes). Les prestations sociales et la fiscalité directe diminuent le taux de pauvreté monétaire de presque 8%, et plus de 20% pour les familles monoparentales avec au moins deux enfants, plus de 12% pour les moins de 20 ans et 12% pour les personnes en situation de handicap. Grâce à la redistribution, la France a un taux de pauvreté monétaire plus faible que la moyenne européenne (13,6% d’après les données de l’enquête EU-SILC 2018 portant sur l’année 2017) alors que l’Allemagne, la Belgique sont proches de cette moyenne et que les pays du Sud de l’Europe se situent au-dessus. En comparaison, la France fait à peine moins bien que les pays nordiques (Finlande, Danemark) qui ont les taux de pauvreté les plus bas, à part la République Tchèque (Insee, Revenus et patrimoine des ménages, édition 2021).
Les effets de cette institutionnalisation des politiques d’assistance sont pourtant ambivalents. Conçues pour pallier les effets du chômage de masse, ces politiques sont entrées en interaction dynamique avec les assurances sociales et les évolutions des segments inférieurs du marché du travail. Si l’assurance chômage avait déjà été prolongée par l’allocation spécifique de solidarité (ASS) en 1984, le rôle du RMI dans l’indemnisation du chômage s’est ensuite rapidement imposé. La forte évolution quantitative des effectifs du RMI puis du RSA, à partir de 2009, est d’ailleurs corrélée aux effets de réforme de l’indemnisation du chômage. Il y a aujourd’hui 2 millions de ménages allocataires du RSA, un chiffre élevé qui contribue à la critique du dispositif et à la volonté politique affirmée de le conditionner à des heures d’activité, volonté qui n’a eu de cesse de s’accroître au fil du temps.
Les mesures de lutte contre la pauvreté ne remplissent qu’imparfaitement le rôle d’instruments de mise en œuvre de droits : au travail, au logement, à la santé. Ces instruments sont restrictifs et stigmatisants, entraînant des discriminations dans l’accès aux biens et services essentiels. Ces droits sont inférieurs en qualité à ceux issus de la protection sociale assurantielle. Filet de sécurité indispensable, ils n’en contribuent pas à moins à entériner des situations où la précarité ou la modestie des ressources privent d’une jouissance complète de droits fondamentaux. C’est aussi la raison pour laquelle la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté lancée en 2018 a souhaité réorienter cet ensemble de dispositifs vers l’égalité des chances, par l’investissement dans la petite enfance, la mixité sociale dans les lieux d’accueil et l’accompagnement des personnes.
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