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D’après un sondage IFOP publié en septembre 2022, seulement 53% des femmes se sentent aussi bien armées que leurs collègues hommes pour demander une augmentation, négocier leur salaire pendant un entretien d’embauche (54%) ou obtenir une promotion (54%).
“Cela fait près de dix ans que j’accompagne les femmes afin qu’elles puissent être en mesure de déterminer le juste prix de leurs prestations sur le marché, pour pouvoir être payées à leur juste valeur. J’observe qu’elles ont du mal à assumer les chiffres qu’elles découvrent et à les vocaliser auprès de leur employeur ou des clients. Même si c’est un problème qui est au départ personnel, c’est avant tout un problème de société”, confirme d’entrée Insaff El Hassini, juriste financier, experte en négociation de rémunération et dirigeante de Ma juste valeur.
“Au fil du temps, je me suis rendu compte que beaucoup de personnes, majoritairement des femmes, voyaient les questions d’argent comme une espèce de monstre informe et incompréhensible. Or, ce n’est pas vrai, c’est même très malhonnête de contribuer à sous-entendre que ça l’est”, complète Héloïse Bolle, ancienne journaliste économique aujourd’hui à la tête de la société de conseil financier indépendant Oseille et Compagnie.
Fortes de leurs expériences de terrain, les deux expertes viennent de publier un manuel d’action destiné aux femmes, pour qu’elles puissent prendre le pouvoir sur leur argent au travail, mais aussi à la maison. Les auteures d’Aux thunes citoyennes (Ed. Alisio) nous livrent quelques clés pour s’enrichir durablement.
Pour Héloïse Bolle, les femmes souffrent d’une méconnaissance relative aux questions d’argent. Et s’il a fallu attendre la loi du 13 juillet 1965 pour qu’elles puissent ouvrir un compte en banque ou travailler sans le consentement d’un mari, aujourd’hui les droits financiers des femmes sont les mêmes que ceux des hommes.
“La société a une forme d’intérêt à ce que les femmes ne se saisissent pas trop du sujet de l’argent. Pourtant, nous avons les mêmes droits économiques que les hommes (on a le droit de disposer de notre argent, de contracter des crédits…). Le souci c’est qu’ils ne sont pas défendus et que les femmes qui tentent de les revendiquer ne sont pas toujours entendues”, explicite la dirigeante d’Oseille et Compagnie.
Pour Insaff El Hassini, il est aussi clair qu’un problème d’éducation enferme les femmes dans un carcan les empêchant d’embrasser leur puissance économique.
“Nous ne sommes pas éduquées pour apprendre à gagner notre vie. On apprend un métier, à être une technicienne, mais pas le juste prix de notre valeur et comment s’assurer qu’on est rémunérée justement quand on est en poste. Les femmes partent alors du postulat – diffusé dans l’inconscient collectif – que toutes les questions d’argent et de rémunération ne sont pas déterminées par elles-mêmes mais par l’employeur qui lui décide, de manière unilatérale, le juste prix de leurs compétences”, regrette-t-elle.
De fausses croyances nourries par la société et internalisées qui desservent les femmes une fois leur entrée sur le marché du travail amorcée.
“On va négocier en fonction de notre confiance en nous et pas en fonction des prix du marché, ce qui est une aberration parce que le marché du travail c’est la mise à disposition d’une personne vis-à-vis de son expertise pour une entreprise, dans le cadre du salariat ou du freelancing. Quand je vais acheter une baguette, je ne vais pas voir mon boulanger en lui disant ‘je vous donne 80 centimes au lieu d’un euro et si vous n’êtes pas d’accord avec ça, je vais voir un autre boulanger’. Le marché du travail est le seul endroit où les femmes qui monétisent leur expérience n’ont pas le pouvoir de déterminer leur juste rémunération. Et quand on demande aux femmes quelle est leur juste rémunération, 99,9% répondent ‘je ne sais pas’“.
Mais il n’y a pas qu’au travail que les femmes doivent reprendre le pouvoir sur leur argent. Dans leurs relations, il est aussi primordial de préserver leurs biens personnels.
“Certain.es tiennent l’argument du ‘je n’ai pas besoin de plus pour vivre’, souvent parce que le compagnon (ou la compagne) est aisé.e. Mais ça n’a aucun rapport, oui il y a le train de vie et les besoins financiers, mais il y a aussi la valeur de ce qu’on apporte, et les deux doivent être décorrélés. C’est un frein supplémentaire pour les femmes”, martèle Héloïse Bolle.
Et à Insaff El Hassini d’ajouter : “l’erreur faite c’est de comprendre l’intérêt financier du mari comme son propre intérêt. Ce n’est pas parce qu’on vit avec quelqu’un d’aisé qu’on l’est. D’une part parce que l’argent, c’est personnel, mais surtout parce qu’on n’est pas à l’abri d’une séparation. Le compagnon peut très bien partir avec une autre personne et parfois, avec la caisse et si nous ne nous intéressons pas à nos intérêts financiers avant, la situation peut être dramatique”.
“D’autant qu’il y a beaucoup de personnes qui ne connaissent pas les subtilités du contrat de mariage, pacs, de l’union libre… Et qui vivent dans l’illusion que la vie est confortable. Mais on n’a pas souvent conscience qu’à l’intérieur du couple une grande partie de l’argent est concentrée aux mains des hommes. Il faut le savoir pour ne pas diluer son argent dans une espèce de masse informe, dans laquelle on ne distingue pas ce qui est à soi de ce qui est à l’autre. C’est une forme de précarité qui n’est pas signalée et dont il faut se protéger”, poursuit la rédactrice de la newsletter Prends l’oseille.
Une autre dépense encore plus invisibilisée dont souffrent les femmes à la maison : celle de leur temps. Car comme le souligne Héloïse Bolle, un déséquilibre dans le partage des tâches domestiques crée “un manque à gagner économique pour les femmes”.
“Il y a beaucoup de couples dans lesquels la charge domestique est mal répartie. Mais il faut savoir mettre des barrières et dire stop. De la même manière qu’on quitterait un travail, on peut dire ‘je ne m’en occupe plus’. Par exemple, si on s’occupe déjà du repas tous les soirs, on dit qu’on arrête de s’occuper de ceux du lundi et du mardi. Il y a beaucoup de choses que font les femmes par défaut, alors que les compagnons et les enfants (selon les âges) peuvent très bien les prendre en charge. C’est d’ailleurs important d’y éduquer nos enfants dès le plus jeune âge, notamment nos fils”, précise l’experte.
Afin de comprendre les bénéfices perdus au profit des tâches domestiques largement prises en charge par les femmes, les deux spécialistes proposent, dans leur livre, d’utiliser une version de l’Enquête emploi du temps établie par l’INSEE et revisitée par les auteures.
“Cela va nous aider à objectiver les choses et le temps non rémunéré donné au foyer. Ce temps, on n’en a pas toujours conscience parce qu’il est dilué en une multitude de petites tâches qui s’accumulent dans la journée. Pourtant, il est primordial de convertir ce temps en argent. Ce temps,c’est un manque à gagner économique pour les femmes, car il ne sera pas utilisé pour le travail, pour notre croissance personnelle. Alors, il faut aborder les choses de manière très dépassionnée, se dire que ce temps nous appauvrit, nous fatigue et nous empêche de faire autre chose”, commente Héloïse Bolle.
“Pour moi, le vrai fond du problème, c’est la question de la culpabilité. Quand il s’agit du foyer, contrairement au travail, on pense qu’on ne peut pas être égoïste. C’est pour ça qu’il faut objectiver et factualiser les choses. Les femmes pensent que si elles défendent leurs intérêts dans le foyer, elles ne seront pas écoutées ou créeront du conflit. Mais il y a une voie de milieu, pour faire à hauteur de ce qu’on peut faire en nourrissant nos intérêts à côté”, complète Insaff El Hassini.
Et la juriste et créatrice de l’entreprise de coaching Ma juste valeur poursuit : s’il y a bien un message à souligner, c’est que “notre rémunération n’est pas un cadeau”.
“C’est le prix de la mise à disposition de notre force de travail, des qualifications, compétences, jus de cerveau… C’est important qu’on s’en saisisse et qu’on défende sa juste valeur pour envisager les compétences comme un produit sur le marché. Enfin, ce livre est construit pour suivre les femmes tout au long de la vie : sachez qu’il n’est jamais trop tard pour s’occuper de ses intérêts financiers et mieux vaut tard que jamais“, rappelle-t-elle.
Enfin, Héloïse Bolle tient à appuyer sur l’idée que pour avoir les pleins pouvoirs sur son argent, il convient de se tenir au courant.
“Suivez ce qui se passe, comprenez et agissez idéalement. Mettez-vous à l’abri de grosses surprises en sachant sous quel régime vous êtes mariés, en vérifiant vos comptes, pour savoir combien est investi, combien ne l’est pas. Et rappelez-vous que les personnes qui vous ont dit que la gestion de l’argent est une science de sorciers sont des personnes malhonnêtes. Il y a des ateliers et des livres pour apprendre et se former sur le sujet. Suivre ses finances c’est une demi-journée par an quand on fait sa déclaration d’impôts (qu’il ne faut surtout pas déléguer si on est deux), et c’est une minute par jour pour regarder ses comptes. Ce n’est pas avoir les yeux rivés sur la Bourse toute la journée ! Arrêtez de penser que ce n’est pas votre sujet, parce que c’est doublement le nôtre : on est dans une société qui rémunère moins bien les femmes et qui ne défend pas leurs intérêts, et donc nous devons être doublement plus vigilantes”.
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