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Mort d'Elizabeth II : retour sur la légende d'une reine à la longévité exceptionnelle – Le Journal du dimanche

Au cours d’un règne d’une longévité exceptionnelle, Elizabeth II, qui est morte jeudi soir à l’âge de 96 ans, a tout connu : les soubresauts de l’histoire, les drames intimes, les fastes de l’empire et l’essoufflement de la monarchie britannique. Modèle de conformisme en apparence, la souveraine avait pourtant ses excentricités. Jusqu’au bout, même pour ses intimes, elle sera demeurée une énigme.
Aura-t‑elle, à l’aube du grand voyage, repensé à ses petits verres de Dubonnet-gin sirotés chaque midi, aux boîtes de maroquin rouge emplies de télégrammes diplomatiques et de lettres de chefs d’État parcourus chaque matin ? Aux 15 Premiers ministres qu’elle aura reçus tous les mardis à huis clos, du paternel Winston Churchill à l’âpre Margaret Thatcher, dont les conversations, consignées dans son journal, seront désormais versées dans les archives de Windsor ? Aux Beatles, sur la musique desquels elle a swingué, ou au provocant « God save the queen, she ain’t no human being » (« vive la reine, elle n’est pas humaine ») des Sex Pistols, auxquels elle aura survécu ? Aux bouleversements des dix décennies écoulées, de l’avènement du jazz à l’apparition de ­Twitter ? À l’icône gay qu’elle était, malgré elle, devenue ?
La reine Elizabeth II s’est éteinte jeudi soir à l’âge de 96 ans, laissant quelque 2 milliards de sujets britanniques et d’habitants des 53 États du Commonwealth désormais représentés par son fils, le prince Charles. Son règne, long de plus de six décennies, est à lui seul un immense livre d’histoire. « Elle est l’une des personnes les mieux informées au monde », répétait l’ancien Premier ministre Edward Heath.
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Une souveraine qui a su enjamber deux siècles, traverser tous les âges sans prendre une ride, symbole de sagesse dans un monde tumultueux. « Je suis toujours en vie ! », s’amusait-elle en juin 2016, quelques jours après le référendum sur le Brexit, avec un flegme tout britannique. Une personnalité insaisissable que nul, pas même ses proches, n’aura finalement percée. À la fois profondément corsetée par sa fonction et libre à sa manière.
Fille aînée du duc et de la duchesse d’York, Elizabeth Alexandra Mary Windsor naît le 21 avril 1926 dans le quartier londonien de Mayfair. Un bébé déjà facile, venu au monde dans un royaume tout juste sorti de la Grande Guerre (1914-1918), encore durement secoué par un conflit où 1 million de soldats britanniques ont péri. Une ­petite fille sans défauts qui grandit à l’abri du monde extérieur et des autres enfants. Proche de son grand-père, le roi George V, qui lui transmet dès l’enfance son amour immodéré pour les chevaux, la petite Elizabeth apprend à ne jamais pleurer et à contrôler ses émotions. « Never complain, never explain » : la devise de son aïeule la reine Victoria guide sa vie dès son plus jeune âge…
Nul, pas même ses proches, n’aura percé sa personnalité insaisissable, à la fois corsetée par sa fonction et libre à sa manière
Si elle n’est pas destinée officiellement à régner, tout le monde l’y prépare. Comme si, l’air de rien, un destin était déjà en marche. Sur toutes les images filmées de l’époque, la petite fille observe les us et coutumes de la Couronne, scrute son père occupé à sa tâche de monarque, s’initie à la politique et à la diplomatie par son biais. Sa mère organise déjà sa médiatisation et celle de sa sœur, Margaret, façonnant l’image de deux petites princesses simples et proches du peuple : ­Elizabeth pose pour le magazine Time à 3 ans à peine. « Jamais la politique, qui dans cette époque est si brutale et si laide, n’eut plus besoin d’être semée de quelques roses », s’enthousiasme l’écrivain français Paul Valéry à leur sujet.
D’autres engagements viendront marquer très tôt sa vie : des serments amoureux. « Lilibeth », comme ses proches la surnomment, est âgée d’à peine 13 ans lorsqu’elle tombe en émoi devant Philip de Grèce, un prince en exil de cinq ans son aîné. La rencontre avec ce neveu de lord Mountbatten (le futur premier gouverneur général de l’Inde indépendante) a lieu en 1939 lors d’une visite avec ses parents au collège naval de Dartmouth. Ce prince désargenté, d’origine allemande, suscite des réticences familiales, mais peu importe. Le « beau Viking », comme elle le surnomme, ravit son cœur. « Elle l’avait sans doute rencontré avant ses 13 ans, témoigne son biographe Robert Lacey dans le documentaire La Révolution d’une reine. Elle est tombée amoureuse, elle s’est accrochée à cet amour, quitte à s’opposer à la volonté de ses parents. »
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, son amour de militaire s’en va en mer sous les couleurs de la Royal Navy. La jeune Elizabeth, elle, traverse la guerre de 1939-1945 en Grande-­Bretagne. D’abord au manoir de Birkhall, en Écosse, puis au château de Windsor, non loin de Londres alors sous les bombardements, où elle résidera pendant cinq ans. Elizabeth est de la génération du Blitz, celle qui a connu les restrictions alimentaires à coups de ticket de rationnement.
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Équipée d’un casque et d’un masque à gaz, qu’elle porte scrupuleusement, la courageuse adolescente décide de donner l’exemple. Elle tricote pour les soldats, donne une première allocution très remarquée à la BBC, en octobre 1940, pour adresser sa « compassion » aux enfants réfugiés britanniques contraints de fuir l’Angleterre. « Des milliers d’entre vous ont dû quitter leur maison et être séparés de leur père et de leur mère, s’émeut la jeune fille de 14 ans. Nous ne vous oublions pas. » ­Elizabeth s’enrôle ensuite dans l’Auxiliary Territorial Service, la branche féminine de l’armée britannique, où elle apprend entre autres à démonter des moteurs de camion et à piloter des véhicules militaires ! De cette époque, la souveraine gardera le plaisir de conduire, qu’elle assouvira en parcourant à toute vitesse les petites routes lovées autour du château de Balmoral, en Écosse, un fichu noué sur la tête.
La guerre, qui révèle ou enterre les aptitudes, touche à sa fin. La jeune fille tient à participer à la liesse populaire dans les rues de Londres pour fêter la victoire, se glissant anonymement parmi les badauds. « Nous avons marché dans les rues pendant des heures, confiera-t‑elle par la suite. Je crois que c’est la soirée la plus mémorable de ma vie. » Pour Elizabeth, ce conflit est une révélation : la princesse, transformée, est prête à prendre de nouvelles responsabilités, qui seront tout d’abord maritales. Philip rentre en 1946 de Tokyo, où il a servi lors de la fin du conflit.
Si elle n’est pas destinée officiellement à régner, tout le monde l’y prépare
Le jeune couple brave alors les réserves de parents effrayés par cette union prématurée et célèbre son mariage en 1947. Une bouffée d’air frais bienvenue après des années de privations… Les Britanniques se pressent par centaines pour offrir à la belle princesse des bas Nylon, ce à quoi rêvaient les jeunes filles au sortir de la guerre. Naturalisé britannique, Philip devient duc d’Édimbourg par la grâce du roi George VI et revêt les habits de prince consort. La belle vie peut commencer.
Nommé commandant en second de la Royal Navy à Malte, le jeune duc embarque sa princesse sur l’île méditerranéenne. Philip et sa « sausage », ou « saucisse », le surnom qu’il lui donne affectueusement en privé, vivent alors les années les plus heureuses de leur vie. Elizabeth découvre les invitations aux cocktails, le bronzage sur la plage, des plaisirs qui collent à son caractère simple. Le prince Charles est déjà venu au monde, bientôt suivi par ses sœur et frères, Anne, Andrew et Edward. Des années au goût de liberté, loin de Londres et de cette famille couronnée dans laquelle le prince peinera toute sa vie à s’intégrer. Loin des obligations royales qui ne tarderont pas à les rattraper…
Elizabeth n’était pourtant pas destinée à devenir reine. À sa naissance, elle n’est que troisième dans l’ordre d’accession au trône, derrière le très jet-set prince Edward, puis derrière son père, le prince Albert, dit « Bertie », duc d’York. Une succession d’événements, de renoncements en disparitions prématurées, en décidera autrement. Lorsque son grand-père, le roi George V, meurt, en 1936, Edward lui succède sous le nom d’Edward VIII, avant d’abdiquer quelques mois plus tard pour épouser l’Américaine Wallis Simpson, divorcée deux fois.
Un statut incompatible avec celui de femme de monarque. Le prince Albert monte alors sur le trône sous le nom de George VI : ce roi bègue et tétanisé à l’idée de prendre la parole en public, comme l’a illustré le film Le Discours d’un roi, se sera appliqué jusqu’au bout à la tâche, malgré son cancer du poumon. Le souverain mourra dans son sommeil le 6 février 1952, à l’âge de 56 ans.
Sa fille, préparée à régner depuis l’âge de 10 ans, apprend la nouvelle alors qu’elle le remplace pour une visite officielle au Kenya. Elizabeth II accède brutalement au trône le jour même, le 6 février, au jeune âge de 25 ans. Calme et prête pour la mission qui l’attend, contrairement à son père, qui avait éclaté en sanglots le jour où il apprit la lourde charge qui pesait désormais sur ses épaules. « À la mort de mon père, j’ai dû devenir instantanément quelqu’un d’autre et accepter mon destin », expliquera-t‑elle bien des années plus tard.
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Respectant la période de deuil, comme le veut la tradition, la souveraine attendra plus d’un an avant d’être couronnée, le 2 juin 1953. La cérémonie religieuse, retransmise pour la première fois à la télévision depuis l’abbaye de ­Westminster, revêt immédiatement un statut d’événement mondial. Des milliers de familles britanniques s’équipent d’un téléviseur et s’habillent aux couleurs de l’Union Jack, manière d’oublier l’austérité et les restrictions d’après guerre, mais aussi de célébrer le glamour des fifties et cette reine jeune, si jeune et si moderne, ­synonyme d’espoir… Scintillant de mille feux, Elizabeth est bénie par l’huile sacrée. Littéralement habitée, diront ses proches, dans un moment intime très intense pour une âme si pieuse.
Elizabeth II et le prince Philip lors de son couronnement, en 1953.
Elizabeth II et le prince Philip lors de son couronnement, en 1953.
Proclamée reine du Royaume-Uni et des États du Commonwealth, Sa ­Majesté tient dans la main un globe terrestre, symbole de son nouveau terrain de jeu. Celle qui se fait appeler ­désormais Elizabeth II revêt aussi les habits de gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre et de commandant en chef des forces armées britanniques : c’est elle qui lancera des troupes en Irlande, aux Malouines, en ­Afghanistan, malgré une marge de ­manœuvre plus que réduite dans cette monarchie constitutionnelle. « La reine règne mais elle ne gouverne pas », selon la fameuse maxime du journaliste politique Walter Bagehot définissant à l’époque les prérogatives de la reine Victoria.
Fidèle en amour comme en « affaires », Elizabeth II garde les mêmes conseillers que son père – dont elle s’inspirera d’ailleurs toute sa vie, détestant les comparaisons avec son ancêtre du XVIe siècle Elizabeth Ire, « qui a régné en despote et n’a jamais quitté son royaume », selon ses mots. Le Premier ministre en poste, Winston Churchill, devient alors son père de substitution et son mentor. « Une enfant », dit-il d’elle en privé, non sans affection.
L’« enfant » a édicté dès le départ une règle d’or : le silence. Au cours de soixante-dix ans de règne, Elizabeth II n’a accordé aucune interview à la presse ! Tout juste quelques bonnes formules disséminées ici ou là, en plus des discours officiels… Dès le début de son règne, les tabloïds rompent pourtant avec la déférence des médias à l’égard de la famille royale, se déchaînant sur la liaison de sa sœur Margaret avec le déjà divorcé Peter Townsend, une tare pour l’époque. La reine, en porte‑à-faux, ne peut accepter ce mariage en tant que chef de l’Église : sa relation avec sa sœur en souffrira longtemps.
 
Le côté mystérieux et énigmatique est un élément très important de la magie
Quelques années plus tard, en 1969, ­Elizabeth consent pourtant à dévoiler son intimité familiale aux caméras « pour se vendre et se rapprocher de ses sujets », comme on le lui conseille déjà à ­Buckingham Palace : il faut alors ouvrir la très froide monarchie au public. Mélange de saucisses au barbecue, de blagues et de jeux au milieu des enfants, le documentaire Royal Family est vu comme un objet de curiosité par les deux tiers du pays – la reine parle ! – avant d’être retiré de la circulation six mois plus tard par crainte d’abîmer l’image royale. Too late…
Échaudée par cette expérience malheureuse, Lilibeth n’en va que davantage verrouiller sa sphère privée. Résultat : scruté toute une vie par la presse, le mystère Elizabeth II n’aura jamais été percé. « L’essence même de cette reine reste pour moi une énigme, avoue son biographe Robert Lacey dans le documentaire Le Jubilé de diamant, 60 ans de règne.C’est ce qui fait sa force. Le côté mystérieux et énigmatique est un élément très important de cette magie. »
Face A, la reine présente tous les attraits d’une femme routinière et conservatrice, soumise à une vie corsetée par le protocole. Les mêmes cérémonies se succèdent année après année. Les mêmes journées rythmées par sa correspondance, ses chiens, ses courses hippiques et son tea time. Les mêmes postures royales.
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« La reine était timide, introvertie, et ne se livrait jamais, même à ses plus proches, relève le journaliste Marc Roche, auteur de plusieurs biographies dont Elizabeth II, une vie, un règne [Tallandier]. Les Premiers ministres qui lui rendaient visite chaque semaine n’ont jamais révélé leurs conversations ni leurs impressions sur la souveraine. Je l’ai moi-même rencontrée à six ­reprises : quand elle vous parlait, on avait l’impression qu’elle ne vous voyait pas. C’était une personnalité neutre dont les opinions profondes n’étaient pas connues. Elle avait un pouvoir d’influence, mais qu’elle a peu utilisé. Elle a toujours gardé ses penchants pour elle, sauf sur la religion : on sait qu’elle était traditionaliste, hostile au mariage gay et à la nomination des femmes pasteurs. »
La souveraine, qui ne se plaint jamais, fait comprendre ses intentions sans paroles, d’un seul mouvement de sac. À la fois attentive aux autres, notamment à son personnel, mais aussi peu adepte des grandes manières, pragmatique et écoutant son bon sens. « Je suis conventionnelle », avait-elle coutume de répéter. Impassible et distante, aussi, dans l’exercice de son règne comme avec ses proches.
Son propre fils aîné, le prince Charles, a reconnu à plusieurs reprises avoir souffert d’un manque d’affection, de solitude, voire d’une éducation répressive. Les relations mère-fils, longtemps houleuses, s’étaient apaisées sur la fin. Mais tous deux ne se sont jamais vraiment compris, avec, d’un côté, une mère exaspérée par le côté extravagant et dépensier de sa progéniture, défaut hérité de « Queen Mum ». Et, de l’autre, un fils désarçonné par la froideur maternelle, par son désintérêt pour son association dédiée aux jeunes en rupture, son côté écolo et sa passion pour le dalaï-lama. Son envie de changer la société, tout simplement. Une mère qui ne lui a jamais vraiment pardonné d’avoir étalé sur la place publique ses déboires conjugaux avec la princesse Diana, véritable trou noir de la ­monarchie…
En 1978, elle se cache dans un buisson pour éviter de croiser Ceausescu
D’autant qu’elle-même a cadenassé à double tour sa vie amoureuse, se bornant à louer Philip, son fidèle allié et meilleur ami. « Il est ma force et ma stabilité depuis toutes ces années », confiera-t‑elle un jour au détour d’un discours. Le couple royal, comme tous les couples, a pourtant connu des anicroches. Après le couronnement de Sa Majesté, le prince Philip se doit de rester en retrait. Se taire, marcher plusieurs pas derrière elle, ce que l’époux, au caractère fier et sûr de lui, imprévisible et tumultueux, vit très mal.
Philip tente de reprendre le dessus en proposant de donner à la dynastie le nom de Mountbatten plutôt que celui de Windsor. Elizabeth refuse : le devoir royal avant l’harmonie conjugale. Le duc étouffe, devient cassant, décide de prendre le large plusieurs mois en mer. La reine souffre en silence, hermétique – au moins en apparence – aux ragots sur les flirts de son mari. Leur couple, comme son règne, aura malgré tout traversé les décennies et les épreuves. Très affaibli par des soucis de santé, Philip a tenu par-dessus tout à être là ce fameux jour de juin 2013 pour assister aux 60 ans du couronnement de sa Lilibeth. Une belle preuve d’amour…
Face B, la reine est capable d’excentricité. Tous ceux qui l’ont fréquentée l’assurent : Sa Majesté se plaît à raconter des anecdotes et, surtout, elle aime la dérision. Sous ses tailleurs color block, un poil guindés et désuets, naissent souvent des éclats de rire communicatifs. « C’est une excellente imitatrice qui sait reproduire tous les accents », assure sa cousine germaine Margaret Rhodes. Ses cibles fétiches ? Boris Eltsine, lady Margaret (Thatcher), Tony Blair. La reine sait être espiègle, comme lorsque, adolescente, elle joue à chat avec de jeunes officiers sur le pont du navire la conduisant en Afrique du Sud. Elle sait être mutine, comme lorsque, lors d’une visite d’État en 1978, elle se cache dans un buisson pour éviter de croiser, dans les jardins de Buckingham, le dictateur roumain Nicolae Ceausescu et son épouse Elena !
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Libre malgré tout ? « Les fenêtres de liberté ont existé dans son intimité, confirme Marc Roche. Elle s’est épanouie dans le mariage et dans la religion, où elle a trouvé un grand réconfort. Mais aussi à la campagne avec ses chevaux et ses chiens, qu’elle préférait, je crois, aux humains. Ce sont les seuls à qui elle pouvait se confier : ils ne parlaient pas à la presse ! »
Ces puissantes ressources intérieures se révéleront essentielles pour surmonter la terrible décennie 1990. Celle où le peuple gronde et où la monarchie tremble. Celle où la froide reine, avec ses lunettes fumées, sa mise en plis et ses immuables boucles en perles, a dû sortir de sa coquille pour devenir la grannie de toute une nation… Assise sur son trône depuis quarante ans, la souveraine n’a pas le cœur, en cette année 1992, à célébrer son anniversaire.
« Une annus horribilis, reconnaîtra-t‑elle lors d’un banquet. 1992 n’est pas une année dont je me souviendrai avec plaisir. » Et pour cause : le 20 novembre, un incendie accidentel détruit en partie le château de Windsor, joyau du XIe siècle. La reine aidera pendant des heures à évacuer les objets d’art des ailes encore intactes, refusant de déserter ce spectacle de cendres. Jamais ses enfants ne l’ont vue aussi triste. Un cliché la montrant ce jour-là devant le palais, bottes de pluie et ciré harnaché sur la tête, fera les choux gras de la presse. Un désastre, dans tous les sens du terme !
D’autant que le feu qui a embrasé la maison Windsor continue à se propager. Les frasques de sa progéniture s’étalent chaque jour ou presque dans les journaux à scandale : Sarah Ferguson, la femme de son fils Andrew, truste les premières pages des tabloïds en compagnie de ses amants. Le divorce de sa fille, la princesse Anne, prend le relais dans les gazettes. Celui de Charles et Diana, en 1996, puis la mort tragique de la princesse et de son compagnon Dodi Al-Fayed, le 31 août 1997 à Paris, viennent parachever cette décennie tragique…
Fin des années 1990, un Britannique sur quatre souhaite l’abolition de la monarchie
La reine apprend la mort de la princesse de Galles alors qu’elle séjourne au château de Balmoral. Elle y restera murée dans le silence, imperméable à l’émotion nationale, toute concentrée à protéger ses deux petits-fils, se justifiera-t‑elle ultérieurement. La population, désemparée, ne comprend pas le manque d’empathie de la souveraine face à la mort prématurée de cette Lady Di adorée. Le mutisme royal se transforme en symbole de la plus grave crise du règne d’Elizabeth II : massés devant Buckingham, les sujets de Sa Majesté ne cachent pas leur colère… « J’aurais vraiment aimé qu’il y ait un drapeau en berne ici aussi », harangue alors une passante. « Ils sont complètement insensibles », s’emporte une autre. « Tous ces gens ici montrent la force de la nation et la reine n’a même pas pris la parole », se désole une troisième.
Le Premier ministre travailliste Tony Blair l’exhorte alors à s’exprimer, lui qui trouva les mots justes en rendant hommage à « Diana princesse du peuple ». Elizabeth II mettra finalement fin à son mutisme six longs jours après l’accident fatal pour partager à contrecœur le chagrin d’un peuple. Elle parlera « en tant que reine et grand-mère », une formule habile et rassurante qui lui sauvera sans doute la mise.
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« Ce n’est pas facile d’exprimer la douleur d’une perte, dans la mesure où le choc initial est souvent suivi par un mélange de sentiments divers : refus d’y croire, incompréhension, colère et préoccupation pour ceux qui restent, déclare-t‑elle lors d’une allocution télévisée. Diana était une personne exceptionnelle et talentueuse. » En vain ? Fin des années 1990, un Britannique sur quatre souhaite l’abolition de la monarchie. Le mouvement républicain caracole à 15 % dans les sondages. « La souveraine invisible », continuent de titrer les tabloïds…
Une enquête inédite sur sa fortune, réalisée en 1991 par la chaîne ITV provoque un autre électrochoc. « L’exemption d’impôt obtenue par son grand-père le roi George V a transformé une monarchie ruinée en une dynastie incroyablement riche », résume le reportage. La reine possède la 250e plus grosse fortune du Royaume-Uni, avec un patrimoine estimé à 300 millions de livres sterling, comprenant notamment les châteaux de Balmoral et de Sandringham. Non pas que Sa Majesté soit dépensière : un sou est un sou et chaque tenue est savamment recyclée. Mais les temps sont durs pour de nombreux Britanniques, transformant les privilèges royaux en une insoutenable injustice.
Elizabeth II consent à s’adapter, elle qui n’aime rien tant que l’immobilité. Quelques mois après l’incendie du château de Windsor, elle accepte de s’acquitter d’un impôt volontaire pour désamorcer les critiques. La restauration du château – 60 millions de livres – sera financée à 75 % par l’ouverture de Buckingham Palace, chaque été, au public. La souveraine rogne sa liste civile, soit les dépenses liées à sa fonction. Elle accepte d’utiliser des avions charters pour certains déplacements et de désarmer le yacht Britannia, au service de Sa Majesté pendant quarante-trois ans – le seul endroit où elle peut vraiment se détendre, le seul lui octroyant un espace de liberté, ce qui lui vaudra de verser une larme… Le seul moment de sa vie, peut-être, où la reine aura fendu l’armure, au moins quelques secondes.
La mort en 2002 de sa mère, « Queen Mum », à l’âge de 101 ans, lui laissera les mains libres pour poursuivre cette révolution royale. Voilà Elizabeth privée à 76 ans de sa plus proche confidente, mais aussi libérée du carcan du passé. Elle qui a beaucoup appris en observant la princesse Diana, rompue aux bains de foule, s’ouvre petit à petit à ses sujets, va à la rencontre des vraies gens. Sur les conseils du Premier ­ministre Tony Blair, la souveraine adopte un petit côté middle class pour coller à l’air du temps. Les célébrations du jubilé d’or, cette même année, rassemblant la crème du rock british – Eric ­Clapton, Paul McCartney, le guitariste du groupe Queen… –, sont un succès. En visite à la London School of Economics, la reine se lâche. « Pourquoi personne ne s’est-il rendu compte de la gravité de la situation ? », tance-t‑elle en pleine crise économique de 2008, en direction des financiers.
Trois ans plus tard, elle approuve le projet du Premier ministre David ­Cameron de permettre à une fille aînée d’hériter de la Couronne, sans toutefois ouvrir le débat sur la séparation entre l’Église et l’État. Buckingham devient le premier palais européen à investir la Toile dans un exercice ultra-maîtrisé. Robe rose saumon et corgis à ses trousses, la reine mime un saut en parachute avec James Bond pour le clip de la cérémonie d’ouverture des JO de Londres. Sa Majesté va jusqu’à entrer dans un McDonald’s à l’heure du déjeuner. Vive la monarchie 2.0 !
Fin novembre 2017, Elizabeth II se retrouve citée dans les révélations des Paradise Papers : elle a détenu – et détient encore – des intérêts dans plusieurs fonds d’investissement ­nichés dans des paradis fiscaux. Sept millions et demi d’euros, notamment, ont été virés en 2005 dans une structure des îles Caïmans. Mais la presse mondiale préfère se consacrer à la nouvelle idylle du moment : celle du prince Harry et de Meghan Markle, une Américaine de 36 ans, catholique, actrice, divorcée, féministe et fille d’une professeure de yoga d’origine afro-américaine. Elizabeth avait déjà pris sous son aile Kate la roturière. Elle a également dit oui à Meghan, qui épousera son petit-fils le 19 mai 2018.
Un aboutissement pour l’héroïne de The Crown, la série produite par ­Netflix relatant sa vie, miroir fascinant de l’institution royale, qui a contribué à amplifier son aura un peu partout sur la planète. Au départ « séduite » par le programme, la monarque aurait finalement, au fil des saisons, peu goûté les épisodes évoquant les années Diana ou mettant en scène le prince Philip, peu à son avantage.
La nouvelle décennie qui s’ouvre réveille au contraire le cauchemar des années noires. Le déménagement au Canada puis aux États-Unis du duc et de la duchesse de Sussex, annoncé sur Instagram en janvier 2020 en même tant que le renoncement à leurs engagements royaux, le fameux « Megxit », s’apparente à un coup de poignard. L’interview choc donnée par les « Sussex Royal » un an plus tard, en mars 2021, à Oprah Winfrey, dans laquelle Meghan avoue avoir pensé au suicide lorsqu’elle vivait au sein de la famille royale et où l’institution est accusée de racisme à l’égard de leur fils, également.
La monarque aura continué son devoir royal jusqu’au bout
Ces révélations ne courrouceront pourtant pas la monarque. « Attristée mais pas en colère », celle-ci se montre surtout inquiète pour Harry : la souveraine aurait tendu la main à plusieurs reprises à son petit-fils et à son épouse, parents d’Archie et de Lilibet Diana, privilégiant ainsi l’unité à la division. Face aux accusations d’agressions sexuelles portées contre son fils, le prince Andrew, la reine gardera le silence. Mais elle offrira à son « fils préféré », comme on le qualifie souvent, les services d’un ténor du barreau. Family first… À la mort de son époux, le 9 avril 2021, à l’âge de 99 ans, beaucoup se sont demandé si elle lui survivrait longtemps.
Ébranlée par une « profonde tristesse », la monarque aura pourtant continué son devoir royal jusqu’au bout, n’hésitant pas à tancer les puissants de ce monde, avant la COP26 organisée en novembre 2021 à Glasgow (Écosse), sur leur inaction dans la lutte contre le dérèglement climatique. « C’est vraiment irritant quand ils parlent mais qu’ils n’agissent pas… »
Malgré son âge, Elizabeth II n’a jamais voulu abdiquer : elle considère que le serment prêté est sacré. « Cela lui était impossible car elle est arrivée au rang de princesse royale après une abdication, celle de son oncle, qui dans un sens a tué son père, relève Marc Roche. Elle se méfiait aussi de son fils Charles, trop libéral à ses yeux, trop ouvert aux malheurs du monde. Elle a tenu le plus longtemps possible pour qu’il devienne un vieux roi et pour céder la main à William, traditionnel et conservateur comme elle. Elle a longtemps reproché au prince Charles cette formule : “Je suis un dissident politique.” Elle avait peur qu’il ne dilapide le formidable capital de sympathie que possède la royauté. »
Toute ma vie, qu’elle soit longue ou brève, sera dévouée à votre service
La cogérance imaginée au sommet de la « Firme » – le surnom donné à la famille royale par son père, George VI – n’a de fait pas fonctionné : Lilibeth a continué jusqu’au bout à remettre des décorations, de garden-parties en commémorations, honorant chaque ­semaine plusieurs engagements officiels et ne dérogeant pas aux visites d’État, comme à Paris en juin 2014, pour le 70e anniversaire du Débarquement. Le prince Charles n’a pas mis en œuvre la quasi-régence qu’elle souhaitait, même s’il a pour la première fois présidé le sommet du Commonwealth en novembre 2013 et procédé à l’ouverture solennelle de la session du Parlement. Le prince William, lui, a tenté de prolonger le plus longtemps possible sa « vie normale » de pilote d’hélicoptère auprès de son épouse Kate et de leurs trois enfants, George, Charlotte et Louis…
La santé de fer d’Elizabeth II l’a aussi aidée à servir jusqu’au bout cette fonction qu’elle aimait « passionnément », selon son entourage. « Depuis l’âge de 10 ans, tout était fait pour elle, rappelle Marc Roche. À part l’épisode Diana, les situations stressantes furent rares. Les tabloïds n’ont jamais rien publié sur elle ou sur les prétendues aventures extraconjugales de Philip. Son mode de vie austère explique aussi sa longévité : la reine mangeait et buvait peu, elle aimait l’exercice et les courants d’air. » I’m Still Standing (« je suis toujours debout ») : la chanson entonnée par sir Elton John pour son jubilé de diamant, en juin 2012, n’a pas été choisie par hasard.
Le 2 juin 2013, lors de ­l’anniversaire de son couronnement à ­l’abbaye de Westminster, la reine retrouve une seconde jeunesse au son des « Vivat Regina Elizabetha ! », clamés comme soixante ans auparavant. Le 9 septembre 2015, son règne dépasse celui de la reine Victoria – soixante-trois ans, sept mois et deux jours –, jusqu’alors le plus long de l’histoire britannique… « Toute ma vie, qu’elle soit longue ou brève, sera dévouée à votre service », déclarait Elizabeth à 21 ans, lors d’un discours historique au Cap, en Afrique du Sud. Comme une promesse à ses futurs sujets, onze ans après le règne éclair et traumatisant d’Edward VIII. Non seulement la vie fut longue, mais la promesse fut tenue. « I serve » (« je sers… »). C’était le 21 avril 1947. C’était hier.
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