Flotte de vélos, remboursement des transports en commun, offre ferroviaire dédiée… De plus en plus d’entreprises cherchent à réduire l’empreinte carbone des déplacements professionnels. Un chantier immense, mais encore balbutiant.
Ce fut longtemps un « avantage d’entreprise » et un atout pour convaincre les salariés de venir dans l’entreprise : la promesse de disposer d’un véhicule de fonction. Les entreprises françaises. mettent ainsi à disposition de leurs salariés 2,8 millions de voitures de fonction. Mais à l’heure de la crise climatique, le modèle de la voiture de fonction est remis en cause en même temps que l’enjeu de l’écomobilité dans le cadre professionnel devient crucial.
Ce fut longtemps un « avantage d’entreprise » et un atout pour convaincre les salariés de venir dans l’entreprise : la promesse de disposer d’un véhicule de fonction. Les entreprises françaises. mettent ainsi à disposition de leurs salariés 2,8 millions de voitures de fonction. Mais à l’heure de la crise climatique, le modèle de la voiture de fonction est remis en cause en même temps que l’enjeu de l’écomobilité dans le cadre professionnel devient crucial.
« La prise de conscience se fait très lentement, regrette Laura Foglia, responsable du secteur mobilités au sein du think tank « Shift Project ». On constate de grandes disparités d’une entreprise à l’autre. Celles qui mènent une politique ambitieuse compte généralement en leur sein des employés sensibles à cette question, ce sont eux qui font bouger les choses. ».
L’un des pionniers en la matière est le CEA de Grenoble. Dès le début des années 2000, le Centre de recherches du Commissariat à l’énergie atomique met en place l’un des premiers plans de déplacement d’entreprise. Parmi ses mesures figure le lancement d’une flotte de vélos de service, puis le remboursement à 85 % du coût de l’abonnement de transports en commun.
« Un plan de mobilités repose sur deux actions essentielles, explique Bruno Renard, responsable RSE au CEA de Grenoble. Il faut tout d’abord réaliser une étude d’accessibilité pour savoir précisément où habitent les salariés et de quels moyens de transports ils disposent. Par la suite, il est nécessaire de mener une enquête usagers, pour comprendre les réticences qui perdurent. »
L’un des principaux freins aux mobilités douces reste la question de la sécurité. Le vélo est encore perçu comme accidentogène. « Des entreprises vont même jusqu’à le déconseiller par crainte d’avoir trop d’arrêts de travail », dénonce Bruno Renard, qui est également président de la Fédération des acteurs des plans de mobilité.
A l’inverse, d’autres entreprises favorisent sa pratique, en adaptant leurs locaux. La Caisse des dépôts a par exemple installé dans ses locaux parisiens près de 40 douches et 150 casiers destinés aux cyclistes, ainsi qu’une offre de prêt avantageux pour l’achat de vélos électriques.
Entre volontarisme et obligations légales
Côté politique, le gouvernement encourage ces pratiques, notamment via le forfait mobilités durables. Lancé en 2020, il permet aux employeurs de verser une somme (exonérée de cotisations sociales) à leurs salariés pour les encourager à utiliser un mode de transport alternatif à la voiture individuelle thermique.
Comme le regrettent nombre d’acteurs du monde du transport, le forfait mobilités durables est facultatif, et reste donc trop souvent l’apanage des grandes entreprises
Également exonérée d’impôt sur le revenu côté salariés, elle peut aller jusqu’à 800 euros par an par salarié, même si ce plafond est rarement atteint (434 euros en moyenne en France en 2021). Comme le regrettent nombre d’acteurs du monde du transport, ce dispositif est facultatif, et reste donc trop souvent l’apanage des grandes entreprises.
Contrairement au forfait mobilités durables – facultatif –, les employeurs sont tenus de rembourser à leurs salariés 50 % de leur abonnement aux transports en commun s’ils les empruntent pour se rendre au travail. De plus en plus d’entreprises décident cependant d’aller plus loin, certaines allant même jusqu’à en rembourser l’intégralité.
Pour l’ouverture de son nouveau siège à Bordeaux, situé dans un quartier quelque peu excentré, la Caisse des dépôts a par exemple décidé de rembourser aux employés de ce site la totalité du montant de leurs abonnements de transports en commun.
« Mais la gratuité ne sera jamais la motivation principale. Le salarié opte pour ce mode de transport lorsqu’il est performant et fiable, en termes d’horaires, de régularité », souligne Laura Foglia.
D’où le nécessaire dialogue entre les entreprises et les collectivités territoriales. Au Port de Strasbourg, les 400 entreprises présentes sur cette zone ont élaboré ensemble un même plan de déplacement.
« Nous devons composer avec la particularité géographique du site, qui consiste en une bande de dix kilomètres de long sur un kilomètre de large. Il nous faut imaginer ensemble les cheminements piétons, les itinéraires cyclables, les horaires des transports en commun, détaille Emilie Gravier, directrice adjointe du Port de Strasbourg. Nous avons ainsi signé une convention pour partager les coûts des aménagements entre l’autorité portuaire et l’Eurométropole de Strasbourg. »
Verdir les flottes d’entreprise
L’évolution des comportements passe par la pédagogie. Somfy, une entreprise spécialisée dans la robotique, propose à ses collaborateurs des « challenges mobilité » :
« Une fois par an, nous consacrons une journée à l’écomobilité, explique Philippe Geoffroy, directeur performance environnementale de Somfy. Nous ne voulons pas culpabiliser nos salariés mais leur montrer que d’autres solutions sont possibles. Par exemple, nous organisons des « vélos-bus », c’est-à-dire des convois de cyclistes où des collègues montrent le chemin à d’autres. Nous proposons aussi une formation à l’éco-conduite. Et on a même vu des salariés venir en kayak ! ».
Le CEA a lui mis en place des méthodes de remise en forme pour ses employés, afin de les inciter aux mobilités actives comme la marche à pied.
Alors que 76 % des actifs français préfèrent toujours la voiture dans le cadre de leurs trajets professionnels1 comment repenser son utilisation ? Premier moyen possible : renouveler les flottes d’entreprise.
Au groupe TF1 par exemple, l’intégralité du parc automobile sera, dans quelques mois, hybride ou électrique. L’enjeu n’est pas mince : les flottes d’entreprises (2,8 millions de véhicules au total) représentent un peu plus de 7 % du parc automobile total.
Au-delà du type de motorisation, l’enjeu réside dans le covoiturage. Des plateformes dédiées permettent aux collaborateurs de s’enregistrer et d’organiser leur déplacement domicile-travail
Verdir le parc français nécessite donc de s’attaquer à ce marché. L’injonction n’est pas que morale, elle est désormais entrée dans la loi : depuis le 1er janvier 2022, conformément à la Loi d’orientation des mobilités (LOM), les entreprises équipées de plus de 100 véhicules sont tenues d’acquérir ou d’utiliser une part minimale de 10 % de véhicules à faible émission de CO2 lors du renouvellement de leur parc. Ce seuil minimum augmentera progressivement jusqu’à atteindre 70 % en 2030.
Mais surtout, au-delà du type de motorisation, l’enjeu réside dans le covoiturage. Des plateformes dédiées permettent aux collaborateurs de s’enregistrer et d’organiser leur déplacement domicile-travail.
« La logique inter-entreprise est essentielle pour développer le covoiturage, créer un effet d’entrainement », note Philippe Geoffroy.
Bruno Renard déplore, lui, que « la crise sanitaire a freiné l’essor du covoiturage. Les salariés se sont mis à avoir peur de partager leur voiture. »
Le modèle des voyages d’affaire à revoir
Autre conséquence de la pandémie : le développement du télétravail. Un changement bénéfique pour l’écomobilité ? Laura Foglia en doute : « Il y a déjà l’impact écologique des plateformes numériques. En outre, des salariés sont allés habiter bien plus loin, et même s’ils se rendent moins régulièrement à leur travail, la distance qu’ils parcourent est bien plus importante qu’auparavant ». Une analysée confirmée par les études sur le sujet.
Les voyages longue distance, eux, se sont nettement réduits, et pas uniquement en raison de la crise sanitaire.
« Le climat géopolitique joue aussi considérablement, avec l’interruption des déplacements en Russie. De manière globale, les voyages en Asie subissent un net ralentissement », observe Laurent Bensaid, directeur du programme management France de BCD Travel, l’une des principales agences de voyage d’affaires.
Mais au-delà de ce contexte, Laurent Bensaid insiste : « pour des raisons écologiques, nous incitons nos clients à voyager moins ou à voyager mieux ». Pour une entreprise spécialisée dans le voyage, n’est-ce pas une façon de se tirer une balle dans le pied ?
« Nous avons une responsabilité sociétale. C’est aussi un gage de sérieux que nous donnons à nos clients », poursuit Laurent Bensaid.
Alors que la loi votée en 2021 pour interdire des liaisons aériennes domestiques lorsqu’une alternative en train de moins de 2h30 est possible reste toujours bloquée au niveau européen, des entreprises s’engagent. La Caisse des dépôts interdit à ses collaborateurs de prendre l’avion pour tout déplacement réalisable en moins de trois heures en train.
Enjeu d’image
Mais comment faire pour un voyage long-courrier ? « D’une compagnie aérienne à l’autre, suivant le modèle d’avion utilisé, il peut y avoir jusqu’à 30 % de différence d’émissions de gaz à effet de serre. Le choix de la compagnie n’est pas anodin », souligne Julien Etchanchu, spécialiste des questions environnementales au cabinet de conseil Advito, filiale de BCD.
Cette dernière indique à chaque fois à ses clients la meilleure solution en termes de bilan carbone. C’est enfin le modèle même des agences de voyages d’affaires qui doit aujourd’hui être revu, selon Laurent Bensaid :
« Il faut sortir de la logique de volume, qui consiste à faire le maximum de réservations, et penser en part de marché. », poursuit-il, en cherchant à tirer profit de ces nouvelles aspirations écologiques qui entraînent moins de voyages, mais des coûts de déplacements plus élevés et plus longs.
La SNCF annonce réfléchir à la mise en place de trains de fonction à partir de 2024
Si les entreprises s’engagent sur le terrain des mobilités durables, c’est également pour des raisons d’image et de ressources humaines. « Les collaborateurs qui viennent travailler avec nous sont très attentifs à notre politique environnementale. C’est l’une de leurs principales motivations », assure Philippe Geoffroy.
Favoriser les mobilités douces peut aussi être bénéfique sur le plan économique : « Une place de parking coûte entre 500 et 1 500 euros par an, notamment en frais de gestion », rappelle Bruno Renard. Leur suppression permet en outre de récupérer de l’espace pour agrandir les locaux. Un aspect loin d’être anodin à l’heure où l’objectif du Zéro artificialisation nette (ZAN) se précise, rendant les extensions plus difficiles et plus coûteuses.
L’avenir des déplacements d’entreprise sera-t-il ferroviaire ? La SNCF annonce réfléchir à la mise en place de trains de fonction à partir de 2024. « Une alternative que les entreprises pourraient proposer à leurs cadres supérieurs », annonce Alain Krakovitch, directeur de TGV-Intercités, lors de la remise mi-septembre des Prix de l’écomobilité de la SNCF.
Les premiers clients seront-ils les joueurs du PSG, taclés par le même Alain Krakovitch pour leur déplacement par avion entre Paris et Nantes ? La polémique rappelle que l’empreinte carbone des entreprises est désormais au centre des attentions.
Une empreinte largement liée aux déplacements. Au global, comme le rappelle l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), les transports sont le principal émetteur de CO2, responsables de 31 % des émissions françaises de gaz à effet de serre.
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