Professeure travail social, Université du Québec à Rimouski (UQAR)
Agente de recherche, Université du Québec à Rimouski (UQAR)
Marie-Hélène Morin a reçu des financements de Fond institutionnel de recherche de l'Université du Québec (FIR-UQAR); Réseau intersectoriel de recherche en santé de l'Université du Québec (RISUQ); Ministère de l'économie et de l'innovation (MEI).
Anne-Sophie Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Université du Québec à Rimouski (UQAR) apporte des fonds en tant que membre fondateur de The Conversation CA-FR.
Université du Québec à Rimouski (UQAR) apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation CA.
Voir les partenaires de The Conversation France
Une personne proche aidante (PPA) se définit comme « toute personne qui apporte un soutien à un ou à plusieurs membres de son entourage qui présentent une incapacité temporaire ou permanente de nature physique, psychologique, psychosociale ou autre, peu importe leur âge ou leur milieu de vie, avec qui elle partage un lien affectif, familial ou non ».
À lire aussi : À l’aide! Les proches aidants sont épuisés et nous en payons tous le prix
La pandémie vécue depuis mars 2020 a mené les PPA à revoir leur rôle de soutien dans le respect des consignes sanitaires émises par la santé publique. Pour plusieurs, cette situation a eu pour effet d’augmenter leurs responsabilités, exacerbant de ce fait leur niveau de stress, d’anxiété, d’épuisement et de détresse.
Leurs expériences varient en fonction de la nature du diagnostic de la personne aidée, de l’accompagnement requis, de l’aide et du soutien disponibles, mais également selon leur milieu (urbain ou rural) de vie. À cet effet, des recherches suggèrent que l’accès aux services de soins est, de manière générale, moindre en région rurale qu’en région urbaine.
Membres de la Chaire interdisciplinaire sur la santé et les services sociaux pour les populations rurales à l’UQAR, nous nous sommes intéressées aux conséquences de la pandémie sur la santé physique et mentale des PPA demeurant en milieu rural et prenant soin d’une personne ayant un trouble de santé mentale, du spectre de l’autisme ou un problème lié au vieillissement. Une étude a été menée entre les mois de mars et août 2021, principalement dans quatre régions du Québec, auprès de 68 PPA et 14 acteurs communautaires (intervenants et directeurs d’organismes).
Les principales variables d’intérêt étaient la santé globale des PPA, les changements de responsabilités occasionnés par la pandémie et le statut rural-urbain. Il existe plusieurs définitions de la « ruralité » en recherche sur la santé. Deux principaux éléments de définition ont été retenus ici, soit la densité de la population (moins de 100 000 habitants) et le code postal.
Les PPA estiment, dans une proportion de 61,8 %, que la pandémie a affecté leur santé physique et psychologique. Depuis le début de la crise sanitaire, 35,5 % d’entre eux révèlent avoir vécu des symptômes s’apparentant à la dépression (tristesse, irritabilité, difficultés de concentration, découragement, sentiment d’inutilité) ou à l’anxiété (incertitude, peur de l’inconnu, sentiment de perte de contrôle).
Par ailleurs, 76,9 % des acteurs communautaires croient que la pandémie a engendré une grande détresse émotionnelle chez les PPA, particulièrement chez celles devant prodiguer des soins soutenus (en continu et sur du long terme), à un membre de leur entourage.
Les PPA qui rapportent avoir éprouvé une plus grande détresse psychologique indiquent aussi avoir ressenti davantage de symptômes physiques (courbatures, tensions musculaires, maux de tête, troubles digestifs). Celles qui prennent soin d’une personne présentant une autonomie fonctionnelle et un état de santé relativement stable ont été moins affectées par la crise.
Certaines ont pu conserver un soutien familial, social ou professionnel :
Je parle au téléphone avec ma mère à tous les jours. J’ai aussi 4 sœurs, dont une qui s’implique beaucoup. Je sais que je peux l’appeler jour et nuit si j’ai besoin de quelque chose. Elle est vraiment touchée par ma situation et je sais que si j’ai besoin de quelque chose, je peux compter sur elle.
D’autres ont pu maintenir ou adopter de saines habitudes de vie, leur permettant ainsi d’évacuer plus facilement leur stress et se changer les idées :
Depuis le mois de mars, je me suis mise à faire de l’exercice, 1h de marche dehors, puis du tapis roulant, à peu près 30 minutes par jour et c’est très sain pour mon psychologique.
L’étude révèle que la pandémie et les restrictions sanitaires ont suscité de nouvelles inquiétudes chez les PPA demeurant en milieu rural.
D’une part, celles dont la personne aidée demeure à l’extérieur (logement autonome, ressource de type familial (RTF), ressource intermédiaire (RI), centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD)) ont dû restreindre leurs contacts et n’ont pu assurer les mêmes soins et offrir le même soutien qu’avant la pandémie. Cette situation a généré de l’impuissance, de l’anxiété et des inquiétudes chez les PPA, concernant la situation de leur proche.
D’autre part, les PPA qui demeurent avec la personne aidée ont vu leur charge de travail et leurs responsabilités s’accroître, particulièrement lors de la période de confinement :
C’était d’organiser ses journées, de le surveiller pour ne pas qu’il passe 100 % de son temps sur l’ordi, de surveiller qu’il mange, qu’il prenne sa médic, qu’il se lave, qu’il s’habille, qu’il s’occupe de son chien, c’était tout ça. Donc c’était une surcharge de travail pour moi, vraiment une surcharge.
Leur quotidien étant centré sur leur rôle de soutien, les PPA ont été privées des moments de répit ou de détente et ont vécu beaucoup d’isolement et de solitude. Ainsi, 40 % des PPA de l’étude croient que les mesures sanitaires les ont beaucoup ou énormément contraintes dans leur rôle d’aidants et 50 % estiment que ce rôle a présenté davantage de défis au quotidien.
Dans les milieux ruraux, l’accessibilité réduite aux services de santé, en particulier aux services spécialisés, a été exacerbée par la pandémie. Les milieux ruraux sondés ont été touchés par les mesures gouvernementales visant à limiter la propagation du virus : fermeture des ressources d’aide et de soutien, délestage de certaines activités et transitions de divers soins et services en mode virtuel.
Des personnes vulnérables ont été privées d’accès à plusieurs ressources pourtant essentielles à leur bien-être physique et psychologique, alourdissant de ce fait les responsabilités des PPA déjà éprouvées. Le tiers révèle avoir dû s’impliquer davantage auprès de la personne aidée pour combler le manque de services sur leur territoire.
Mon fils s’est détérioré. Les difficultés qu’on a rencontrées à cause de la pandémie ont augmenté. Son anxiété, sa rigidité, son agressivité ont pris de l’ampleur. Il s’est mis à avoir des comportements inappropriés, des rituels, des obsessions, des choses comme ça. On n’avait plus les services pour l’aider. Tout reposait sur nous. On est exténués.
Plusieurs d’entre elles évoquent aussi leur difficulté à composer avec le surcroît de responsabilités occasionné par le manque de disponibilité et d’accessibilité des ressources. Le passage à des services en mode virtuel a représenté un défi supplémentaire pour ces milieux, où les problèmes de connectivité ont empêché une utilisation optimale des plates-formes de télécommunication. De plus, plusieurs PPA estiment que les rencontres virtuelles se sont avérées plus ou moins adaptées à leurs besoins et à ceux de leur proche, rendant davantage complexe une juste évaluation de la gravité des situations.
Son éducatrice voulait me donner un coup de main par Zoom, mais devant l’écran, souvent le comportement de l’enfant change. C’est attractif. Ma fille fait une fixation sur tout ce qui est électronique, donc aussitôt qu’on faisait une rencontre Zoom, elle se métamorphosait complètement, son caractère changeait, donc c’était pas du tout la même façon d’intervenir. Ça été problématique.
La première Politique nationale pour les personnes proches aidantes (2021) et les mesures du Plan d’action gouvernemental en découlant offrent déjà des pistes de réflexion intéressantes (reconnaissance des compétences et des connaissances des PPA, adoption d’une approche de partenariat, développement d’environnements conciliants, promotion des ressources).
Il convient toutefois d’examiner comment intervenir de façon plus ciblée en tenant compte de la diversité des contextes de proche aidance et des réalités spécifiques aux milieux ruraux.
Écrivez un article et rejoignez une communauté de plus de 158 000 universitaires et chercheurs de 4 538 institutions.
Enregistrez-vous maintenant
Droits d’auteur © 2010–2023, The Conversation France (assoc. 1901)