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À l’occasion du Festival d’Avignon, rencontre entre deux enfants terribles de la nouvelle génération de chorégraphes que le risque de la nouveauté n’effraie pas. L’éclectique Maud Le Pladec questionne l’héritage dans “Silent Legacy” et Jan Martens se confronte à notre sombre “Futur Proche”.
Maud Le Pladec (danseuse, chorégraphe).
Au programme de la Grande Table d’été aujourd’hui : danser sa vie. Celle d’hier, celle de demain, en duo, en trio, en groupe ou en solo… chacun dans son coin ou à l’unisson sur ses demies-pointes ou le pied bien ancré dans la terre, comme un combat, une battle ou un pas de deux. Nous accueillons deux chorégraphes qui enflamment le Festival d’Avignon avec deux spectacles dansés pour raconter la filiation, la peur du lendemain, nos héritages communs, l’effondrement en ligne de mire… tantôt comme une chute, tantôt comme un saut. Jan Martens présentait “Futur Proche” dans la Cour d’honneur du Festival le 19 juillet et Maud Le Pladec lui succédait le lendemain pour présenter “Silent Legacy” le 20 juillet 2022.
Maud Le Pladec, ancienne danseuse de Boris Charmatz et chorégraphe à la tête du centre chorégraphique national d’Orléans depuis 2017, se tourne vers l’histoire identitaire. Il ne s’agit pas d’histoire sociétale, mais d’histoire intime et identitaire. Comme l’annonce la chorégraphe, “C’est un projet qui parle d’héritage donc j’y ai mis mon propre héritage de danse.” Mais pas que. Sur sa scène, la jeune Adeline Kerry Cruz, huit ans, enchaîne les chest pops au rythme des compositions de la talentueuse DJ Chloé Thévenin. Lorsqu’elle découvre Adeline dans le court métrage Sit Still, Maud Le Pladec dit avoir été “tout de suite subjuguée par sa danse et sa maturité de danse. Comment est-ce possible qu’autant d’expérience de danse, d’expérience du monde, de connexion à l’au-delà puisse s’incarner dans un si petit corps ?“
Dès ses quatre ans, Adeline Kerry Cruz maîtrisait l’art chorégraphique du krump, une danse née dans les années 2000 dans les quartiers pauvres de Los Angeles marqués par les guerres de gangs, le trafic de drogue, les interpellations policières violentes et les émeutes raciales de 1992. Comme le rappelle Maud Le Pladec, il s’agissait de “se servir de ses émotions de haine, de douleur originelle, de souffrance et d’en faire quelque chose. C’est une danse organique, viscérale, très libre car il n’y a pas un geste qui définit le krump.” Avec Adeline Kerry Cruz, Maud Le Pladec s’interroge : comment a-t-elle hérité de ces mouvements ? De quoi hérite-on ? Comment ?
Adeline Kerry Cruz ne laisse bientôt qu’une ombre, tandis que la danseuse contemporaine Audrey Merilus, issue d’une formation contemporaine exemplaire, prend le relais. Silhouette et ombre communiquent et se questionnent sur la transmission culturelle et sur la sororité qu’elle soit intergénérationnelle ou interraciale. “J’ai commencé à travailler sur ce projet pour parler de sororité (…). La transmission entre Adeline et Audrey se fait d’un autre endroit, car elle est fantasmée. Sur le plateau elle se matérialise de manière très poétique car elles ne dansent jamais ensembles. Il y a ce moment onirique où par la lumière, le jeu de contre jour, on pense qu’elles se rencontrent dans une réalité qui n’est pas celle de la vie,” développe la chorégraphe.
Acclamé l’an passé pour son puissant Any Attempt Will End in Crushed Bodies and Shattered Bones où il se frottait à la thématique protestataire – inspiré par le mouvement des Gilets Jaunes, Black Lives Matter et Youth For Climate – Jan Martens se confronte maintenant aux angoisses qui définissent notre rapport avec notre Futur Proche (2022). Comme il le rappelle : “Est-ce qu’on agit assez ou est-ce que nos tentatives sont à la fin… pas assez ? Je pense qu’il y a beaucoup de volonté de changer, d’agir mais quand on regarde les politiciens qui se battent pour 1 ou 2 degrés de moins pour le réchauffement climatique alors que les scientifiques disent clairement que ce n’est pas assez… Le spectacle parle de notre incapacité d’agir en profondeur. (…) Ce n’est pas une question de peur, c’est une question d’incapacité. On est tellement habitué à notre richesse, qu’on se sent invincible alors qu’on aperçoit des failles dans notre invincibilité ces dernières années.”
Après une première partie rétro-futuriste où les membres du Ballet royal de Flandres nous dépeignent l’avenir idyllique que l’on envisageait encore pour notre planète en 1900, Jan Martens s’attaque aux promesses non tenues constatées de nos jours. Narcissisme hérité des réseaux sociaux, épisodes caniculaires apocalyptiques et corps titubant : l’utopie bascule dans la dystopie. Grâce au son métallique du clavecin, le fan d’Anne Teresa de Keersmaeker se confronte aux enjeux de l’extrême avec une chorégraphie millimétrée et mathématique, fidèle à son style.
Pourtant, ce chorégraphe de la jeune génération n’est pas du genre à craindre de briser les règles. Rythmés par le clavecin, les danseurs de Jan Martens s’approprient avec talent l’univers du chorégraphe : “C’était difficile pour les danseurs au début. On connait la musique, on danse sur des comptes de huit. Plonger dans cet univers d’écriture très contemporaine et rythmique était d’une rigueur difficile, mais c’est central à mon travail, le contraste entre rigueur et liberté, trouver une façon de s’exprimer dans des structures très rigides.” Après un duo sur l’affaire Dutroux, Victor (2013), le trio The Rule of Three (2017) sur notre rapport aux réseaux sociaux, la composition sous pression The Dog Days Are Over (2014) où huit danseurs s’épuisaient à sauter sur scène, Jan Martens nous surprend avec une conférence dansée, Ode to the Attempt (2018), qui décline, devant un ordinateur, mille et une façons de chorégraphier. Rapidement, les créations du chorégraphe ont pris de l’ampleur, comme en témoigne Any Attempt (2021) qui articulait dix-sept danseurs de tous âges confondus, et surtout sa consécration cette année dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, à Avignon, réputée comme lieu de sanctification… comme de désintégration des metteurs en scène et chorégraphes.
Futur Proche de Jan Martens jusqu’au 24 juillet au Festival d’Avignon, et en avril au théâtre de la Ville à Paris. Any attempt… en octobre à Clermont-Ferrand, Lyon et Bordeaux, puis au printemps dans le reste de la France.
Silent Legacy de Maud Le Pladec jusqu’au 26 juillet au Festival d’Avignon.
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