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Le triste sort des assistants d'artiste – Focus Vif

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Dans la foulée du retentissant procès intenté à Maurizio Cattelan par un sculpteur qui lui conteste la paternité de neuf œuvres, les assistants d’artiste – et leurs avatars contemporains, les sous-traitants – ont été propulsés sur le devant de la scène. écartelées entre une société en demande d’inclusion et une logique économique impitoyable, les petites mains de la création ont la vie dure.
Cocommissaire, en 2020, de l’exposition consacrée à John Armleder par Kanal-Centre Pompidou, Yann Chateigné nous avait prévenu. «C’est un sujet passionnant mais dont personne ne parle… Evoquer les assistants d’artiste, c’est tabou dans le milieu.» Pour preuve, le curateur n’a donné aucune suite à la conversation téléphonique, se gardant bien de transmettre les coordonnées promises de deux intervenants. Avertissement bien reçu: il ne sera pas facile de porter la lumière au sein de la zone grise, quelque part entre ombre, ombrage et lumière, dans laquelle évoluent les assistants d’artiste.
Pour une pièce, je voulais mentionner sur cartel l’intervention décisive d’un tiers, la galerie s’y est totalement opposée au motif que cela compliquerait la vente.
L’actualité récente a pourtant rappelé au bon souvenir de chacun ce gros dossier qui souligne les ambiguïtés de la création artistique. Comme le mentionnait Me Alexis Fournol dans un article de l’édition française de The Art Newspaper d’avril dernier (n°40) : «Le travail de création n’épouse presque jamais les contours d’une aventure solitaire.» Ce constat d’évidence va à l’encontre de la doxa qui repose sur une vision erronée de l’artiste, celle d’un talent isolé hissé au-dessus des contingences matérielles de la condition humaine. «Pour le commun des mortels, l’image d’Epinal, c’est le démiurge seul, torturé devant son chevalet. C’est très rare, en réalité. Le public se rebiffe quand quelqu’un ose ouvrir la porte de l’arrière-cuisine pour montrer qu’il y a souvent, si pas une armée de l’ombre, à tout le moins une bonne âme épaulant le « génie ». Il faudrait un jour examiner ce que ce modèle très vertical dit de notre rapport aux arts visuels. Ce qui est intéressant, c’est de constater que l’on ne demande jamais de comptes aux créateurs de mode, dont le vestiaire doit beaucoup à une armada de couturières dont personne ne parle, pas plus qu’aux architectes qui n’ont jamais tenu une truelle en main. On peut dire que c’est une spécificité des arts plastiques», constate Julie Bawin, professeure d’histoire de l’art contemporain à l’ULiège.
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Coup de marteau porté à la mythologie de l’artiste omnipotent, le 13 mai dernier, le sculpteur français Daniel Druet attaquait en justice Maurizio Cattelan, trublion de l’art contemporain dont certaines pièces se vendent plusieurs millions de dollars au second marché (celui où les œuvres sont vendues pour la deuxième fois). Le contentieux plonge ses racines dans une relation d’une trentaine d’années. A la fin des années 1990, celui dont on peut encore admirer la réplique de cire de Nicolas Sarkozy au musée Grévin, juste à côté de celle de Carla Bruni tenant une guitare, se voit commander une dizaine de personnages hyperréalistes par l’artiste italien. Nombreux sont ceux qui se souviennent de Him (2001), donnant à voir Adolf Hitler à la façon d’un petit enfant agenouillé, ou encore de La Nona Ora (1999), œuvre percutante figurant le pape Jean-Paul II, férule à la main, écrasé par une météorite.
Bien que dûment payé pour ses réalisations, au fil du temps, Druet nourrit de la rancœur pour son commanditaire. Il se met à ruminer son sort, un anonymat indigne de sa maîtrise que l’époque se refuse à applaudir, contrastant avec la consécration de Cattelan, en particulier lors de l’exposition de 2016 à la Monnaie de Paris. Le sculpteur, auréolé par deux fois du grand prix de Rome, se voit alors assigné à un «humiliant rôle de façonnier», selon ses mots repris dans un article du Monde paru le 1er mai dernier. Cette aigreur, née entre autres du refus de Cattelan de citer le nom de Druet autrement que dans la liste des matériaux, débouche logiquement sur une tonitruante action en justice portant sur neuf œuvres à laquelle le monde de l’art assiste nerveux, les enjeux financiers étant tout sauf anodins (l’atteinte à la qualité d’auteur ayant été évaluée à cinq millions d’euros). Son issue imminente pourrait entraîner des conséquences concrètes qui obligeraient à redéfinir le statut d’une œuvre d’art et les questions de propriété intellectuelle qu’elle charrie aussi sûrement que l’avait fait l’affaire Brancusi contre les Etats-Unis, en 1927, un démêlé notoire ayant contribué à confirmer dans la juridiction, et sans doute dans les mentalités, une conception non figurative de l’œuvre.
Pour bien comprendre ce qui se joue, Julie Bawin invite à replacer l’affaire dans une perspective historique. «On ne saisit pas les enjeux sans remonter à Marcel Duchamp, dont Cattelan est un héritier indirect. Avec sa célèbre Fontaine, un ready-made de 1917 en forme d’urinoir, Duchamp a définitivement élargi les horizons de la pratique artistique. Faire entrer un objet manufacturé dans le champ de l’art bouleverse tout. Cela décomplexe les créateurs en ce que cela dit que le savoir-faire n’est plus l’essentiel. Il introduit un socle de distinction entre le concepteur et l’exécutant, au détriment de ce dernier qui se voit devenir une figure accessoire, périphérique, voire remplaçable», analyse celle qui est également directrice du Musée en plein air du Sart-Tilman. Cette brèche sacrant le primat de l’idée sur la main a aspiré une grande partie de la création plastique des XXe et XXIe siècles. Toutefois, l’affaire Druet possède une particularité pointée par Julie Bawin: «Cattelan n’a pas fait appel à une usine manufacturant des objets en série mais à un artiste, ou à tout le moins à quelqu’un qui se vit comme tel. C’est le nœud du problème, car en refusant de lui reconnaître ce statut, Cattelan lui renvoie une image de mépris.»
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La question juridique est d’autant plus épineuse qu’en raison de commandes apparemment passées de manière vague, un des arguments cruciaux du plaignant, la requête du maestro de la cire est loin d’être sans fondement. Celle-ci pourrait déboucher sur une reconnaissance de copaternité. Or, un tel jugement ferait rouler la tête de l’art contemporain, lui qui a fait de la conceptualisation et de la recontextualisation les axes forts de son discours. «Cattelan propose autre chose que les sculptures du musée Grévin, argumente Bawin. Il nous parle du monde, le met en perspective, allant bien au-delà de ce que peut suggérer le mimétisme, aussi fidèle soit-il.» On n’insistera jamais assez sur le côté salutaire de cette démarche qui ouvre les yeux sur la violence du réel dans une société où les formes classiques de médiatisation n’ont désormais d’autre effet que l’anesthésier. «Si vous pensez que mon travail est provocateur, cela signifie que la réalité l’est encore plus et que nous décidons de ne pas y réagir», a coutume d’avancer le natif de Padoue.
Faut-il, dès lors, renvoyer le périphérique Druet aux oubliettes de l’histoire de l’art? La professeure de l’ULiège ne le pense pas. «Le mépris, au-delà de la question pécuniaire, est aujourd’hui l’objet d’un écho particulier dans une société avide d’inclusion où il est plus que jamais question de donner la parole aux invisibilisés. Si la paternité de Cattelan ne fait pas un pli, ce serait néanmoins une erreur de ne pas accorder un certain type de reconnaissance à Druet. Pour une frange importante de la population, il y a là une injustice flagrante, raison pour laquelle la Cour doit rendre une décision nuancée.»
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Si l’affaire Druet est aussi intéressante, c’est également parce qu’elle met en lumière un golem que l’art contemporain a, si pas créé, du moins radicalisé. Pierre-Olivier Rollin, directeur du BPS22, à Charleroi, esquisse les contours de cette figure: «On peut l’appeler sous-traitant, prestataire de service… il est sollicité pour des interventions ponctuelles. Si le service rendu est à la hauteur des attentes, l’opération peut être renouvelée.» Sorte d’ersatz de l’assistant au sens classique du terme, ce profil ambigu résulte des nouveaux besoins et contraintes des pratiques artistiques actuelles. Pour visualiser, il faut d’abord pointer ce que Julie Bawin désigne comme le «possibilisme» qui colle à la peau des artistes contemporains. Ceux-ci, afin de se singulariser, une injonction absolue du marché, se passionnent pour tous types de matériaux qu’ils soient sémiotiques, réels ou virtuels. Néon, taxidermie, tapisserie ou encore programmation – on pense à Ann Lee, personnage virtuel bon marché acheté à la firme japonaise Kworks dont les plasticiens Philippe Parreno et Pierre Huyghe se sont servis pour lui greffer un destin éphémère et collaboratif –, l’artiste contemporain fait feu de tout bois, s’aventurant forcément au-delà de son champ de compétences.
Mais il existe un autre élément qui intervient, plus souterrain celui-là. En prise directe avec les mécanismes sociaux néolibéraux qui sous-tendent l’époque, la création actuelle est désormais tentée d’externaliser sa production – elle ubérise –, refusant d’endosser une charge sociale périlleuse à l’heure d’une demande versatile. Cette décision entraîne dans son sillage la naissance d’un «lumpenprolétariat» artistique auquel quelqu’un comme Daniel Druet se sent, à tort ou à raison, relégué. «Le comportement du monde des galeries s’est modifié, confie l’artiste Johan Muyle. Si, dans les années 1990, une relation artiste-galerie tablait sur cinq années de collaboration en moyenne, voire au-delà, aujourd’hui la volonté d’installer une stratégie à long terme est beaucoup plus rare.»
Derrière ce phénomène, il ne faut pas gratter longtemps pour trouver la pression exercée sur les galeries tributaires d’un marché hyperkinétique, incapable de fixer son attention sur une œuvre plus de quelques minutes. Dans ce contexte, celui du scroll frénétique, on peut comprendre qu’un plasticien décide de s’alléger. «Chaque période de travail dans le parcours d’un artiste demande un modus operandi adapté aux exigences extérieures mais aussi, en ce qui me concerne, à mes propres désirs ; si, à certains moments, le travail avec des collaborateurs « à demeure » offre un « confort » de travail, à d’autres un « recentrement » m’est nécessaire, commente Johan Muyle. Ces dernières années, j’ai choisi d’externaliser les collaborations pour différentes raisons dont celle de retrouver le plaisir de « faire » sur un mode plus artisanal et m’offrir une liberté d’action de tous les instants.»
Au milieu des années 1990, à l’époque des peintures monumentales qu’il faisait réaliser en Inde, Muyle accueillait pas moins de trente assistants dans son studio. Une expérience qui lui laisse le souvenir d’une aliénation, d’une machine infernale. «Il m’arrivait de devoir prendre des décisions dans les quinze secondes afin de ne pas paralyser toute l’équipe, se remémore-t-il. Si j’ai pris un certain plaisir à expérimenter la « frénésie », à savourer l’adrénaline que cela procure, aujourd’hui j’expérimente la « décélération » ; dans un monde complexe qui privilégie l’urgence d’émettre un avis, je sollicite le droit à la nécessaire lenteur que demande la construction d’une opinion.» Un autre artiste, soucieux d’anonymat, pointe les limites de la pression économique. «Pour une pièce, je voulais mentionner sur cartel l’intervention décisive d’un tiers, la galerie s’y est totalement opposée au motif que cela compliquerait la vente. J’ai laissé tomber, il fallait faire tourner l’atelier.»
Tout cela n’est évidemment pas sans conséquence. Avocat bruxellois spécialisé dans la protection des créations, Alexis Ewbank mesure concrètement les effets de cette nouvelle configuration. «Dans mon cabinet, j’assiste à la multiplication des revendications de copaternité, c’est un signe des temps. Beaucoup d’artistes contemporains sont installés sur un nid de problèmes juridiques.» Cette situation est devenue courante en raison de la circulation accélérée des informations sur Internet et les réseaux sociaux. «Nous voyons énormément de personnes, nous les praticiens, qui frappent à nos portes rongées par ces questions. Certains tentent leur chance, le plus souvent quand il y a un conflit interpersonnel.» Est-il vrai, comme on le sous-entend souvent, que ce genre de requête a peu de chance d’aboutir? Maître Ewbank ne voit pas les choses de cette façon. «De nombreux litiges ne passent pas devant le tribunal et se soldent par un arrangement financier conclu dans le secret.» Un point sur lequel l’avocat est formel, c’est la question du rétrécissement de l’horizon créatif. «De nombreuses interventions artistiques ne seraient plus possible actuellement. L’appropriationnisme d’un Andy Warhol est aujourd’hui inimaginable, le pape du pop art aurait une autre pratique. Il faut bien comprendre que l’état actuel du droit n’est pas favorable aux artistes.»
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On comprend que, pour un artiste ayant le modèle académique en ligne de mire, cette donne inédite soit perçue comme délicate. Le devenir marchandise, doublé de la déconsidération qui l’accompagne, du savoir-faire, est non seulement hyperviolent mais, en plus, il rompt avec une tradition artistique séculaire remontant au Moyen Age dont le deuil n’a pas encore été fait. Grâce à la réflectographie infrarouge qui a identifié la présence de repentirs mettant en évidence l’intervention de plusieurs collaborateurs sur un même projet, on sait avec certitude que la période médiévale a consacré l’œuvre collective. Elle l’a même érigée en un modèle économique rarement contesté (si ce n’est par les impressionnistes et autres peintres fauves). Cette validation scientifique atteste que longtemps la connexion a prévalu, celle qui noue l’apprenti à un maître tenant son autorité de sa maestria. Ce type d’atelier très hiérarchisé – il connaît son acmé avec Rubens – respectait une logique millénaire constitutive des rapports humains, celle du don et du contre-don: en échange du travail fourni, il est question d’apprendre la technique nécessaire à l’exercice d’un métier. La transmission dans toute sa splendeur.
Certains types de sous-traitance peuvent asséner un coup rude à cette proximité féconde et, en certain cas, déclasser le détenteur d’un savoir-faire précieux au profit de quelqu’un qui ne considère pas cette aptitude comme le dernier mot de la légitimité artistique. En raison des coups de boutoir portés par les eaux glacées de la rentabilité et ceux inhérents à la nature iconoclaste de l’art contemporain, faut-il considérer que la relation artiste-assistant a son avenir derrière elle? Pas si sûr. Christophe Veys, professeur à l’école Arts au carré de Mons et délicat collectionneur, ne tarit pas d’éloges à son sujet. «Je dis souvent à mes étudiants qu’un des moyens efficaces pour apprendre beaucoup sur le monde de l’art, et peut être basculer du statut d’aspirant artiste à celui d’artiste, est de devenir assistant. Ce fut la trajectoire de nombre de stars de l’art contemporain ; je pense à Jeppe Hein qui a été l’assistant d’Olafur Eliasson ou d’artistes de qualité comme, en Belgique, un Benoît Platéus qui a cheminé un temps avec Ann Veronica Janssens. Cela dit, il y a une condition: il faut tomber sur un artiste généreux qui, entre autres choses, vous fait rencontrer des gens.»
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Même s’ils sont une poignée à le valoriser, il existe encore, en Belgique francophone, des plasticiens et des assistants convaincus de la nécessité de ce lien basé sur l’échange, le dialogue. Un détour par l’atelier de Michel François, personnalité de premier plan, le confirme. On y retrouve deux assistantes employées à mi-temps, Carlotta Bailly-Borg et Lisa Dellugat, qui ont toutes deux une pratique personnelle, ainsi que Sylvain Courbois, ancien collaborateur proche devenu éditeur d’art. Qu’un plasticien aussi réputé accepte de s’ouvrir sur le sujet étonne. «J’ai longtemps hésité, avoue-t-il, ce qui m’a décidé c’est de montrer qu’une autre relation que celle de Druet-Cattelan existe.»
L’assistant arrive dans une position de fragilité, s’il tombe sur quelqu’un de bien, c’est super, mais la tentation la plus courante est de rejouer la dialectique du maître et de l’esclave.
Langue de bois, angélisme? Pas vraiment. De manière surprenante, Michel François joue la transparence: «Sylvain est un fin connaisseur de mon travail, il m’a accompagné pendant douze ans. En mon absence, il pouvait imaginer les bases d’une proposition que nous développions ensemble par la suite. Des pièces ont été initiées par lui. Cela a pu me gêner à un moment.» Invité à s’exprimer sur son apport, Sylvain Courbois ne laisse planer aucun doute sur la complicité qui l’unit à celui qui fut professeur à l’ERG, l’école de recherche graphique: «Il ne me viendrait jamais à l’esprit de prétendre à une quelconque paternité. Michel François a créé un langage que j’ai appris. Je me suis servi de son vocabulaire pour faire des phrases qu’il aurait pu dire. Comme un musicien de jazz, j’estime n’avoir fait qu’une variation sur un thème. Aussi, en aucun cas, je ne voudrais devenir artiste. Je ne me sens pas l’énergie de proposer quelque chose de mon côté en développant un ego par rapport à cela. Il ne faut jamais oublier qu’en créant, les créateurs laissent quelque chose. Etre artiste, c’est un investissement qui a un coût psychologique et physique.»
Et l’éditeur d’art d’insister également sur le côté bilatéral de la relation: «Michel renvoie toujours l’ascenseur d’une façon ou d’une autre, qu’il s’agisse de faire rencontrer des galeristes ou d’acheter une première pièce pour lancer une carrière.» Carlotta Bailly-Borg, dont on a pu récemment admirer les toiles chez Ballon Rouge Collective, souligne la prévenance de Michel François: «Quand il me présente à quelqu’un, il me définit comme une bonne artiste plutôt que comme une assistante.» Lisa Dellugat, elle, évoque la difficulté de trouver un équilibre entre assistanat et pratique personnelle. «Ce n’est pas facile d’exister à côté d’un grand maître, confie-t-elle. Je me rends compte que, pour le moment, j’ai des difficultés à travailler pour moi. Cela même si mes apports sont plus techniques que créatifs.»
Française débarquée à Bruxelles il y a treize ans, Maëlle Delaplanche a vu sa carrière infléchie par l’assistanat. Aujourd’hui, elle est devenue curatrice, mettant sa pratique personnelle entre parenthèses pour se mettre au service d’artistes. «Je recommande vivement cette expérience aux jeunes artistes, c’est très formateur, affirme- t-elle. Le compagnonnage le plus long s’est fait avec Fabrice Samyn. Un véritable échange a eu lieu. J’ai eu le sentiment que cet artiste s’est intéressé à moi, il a voulu apprendre à me connaître. De mon côté, je l’ai accompagné pleinement. J’ai été à ses côtés à un moment où je l’ai senti en danger car pressé par des impératifs de production. Il me semble que je l’ai aidé à se concentrer sur lui-même. Tout cela m’a permis de comprendre que j’avais un autre avenir, je ne voulais pas avoir à affronter la pression de la création.» Maëlle Delaplanche ne cache pas qu’elle a également été confrontée à une collaboration d’un autre genre. Sans nommer l’artiste incriminé, elle en évoque la brutalité: «Lors de l’entretien, il m’a posé trois questions frontales dont je n’ai pris la mesure de la violence qu’après-coup: « est-ce que tu sais faire quelque chose de tes mains? », « sais-tu conduire? » et, surtout, « souhaites-tu avoir un enfant prochainement? ». A un moment, j’ai été malade, j’ai bien senti que cela ne lui a pas plu du tout. Par la suite, il m’a licenciée sans ménagement, vingt jours avant d’avoir droit à des allocations de chômage, cela a été très difficile pour moi.»
Peut-être le soubassement sociétal sur lequel se greffe la relation artiste-assistant est-elle à revoir? Louise J., qui témoigne sous une identité d’emprunt, entend souligner une asymétrie fondatrice. «Je ne suis pas sûre qu’au sortir des études, être obligé de travailler en plus de sa pratique soit très juste. Il y a là une certaine précarité institutionnalisée qui peut déboucher sur des rapports de force délicats. Je constate autour de moi des conditions d’embauche pas claires, des non-dits, voire carrément l’absence de contrat. Sans compter que la mise en contact de deux artistes qui ne sont pas au même stade de leur carrière est susceptible d’engendrer des abus. L’assistant arrive dans une position de fragilité, s’il tombe sur quelqu’un de bien, c’est super, mais la tentation la plus courante est de rejouer la dialectique du maître et de l’esclave
Béatrice Balcou déploie depuis plusieurs années un travail qui montre l’écosystème derrière une œuvre d’art, à savoir tous ces intervenants, notamment les assistants et les équipes de nettoyage, qui font en sorte qu’une œuvre existe. La plasticienne travaille à rendre visible ces «existences moindres». Le tout prouve que l’artiste ne doit pas être au centre pour exister mais qu’il peut être visible sans opérer de prédation. En revanche, il semble incontournable à Balcou d’identifier un auteur derrière toute pièce d’art. «In fine, l’artiste est celui qui assume une œuvre, il en répond et est là pour essuyer les éventuelles critiques.» Jean-Luc Moerman, lui, va plus loin. Il prévient: «Je pense que l’avenir de l’art ira vers un anonymat coopératif avec du sens, de la vie.» Il est vrai qu’à l’occasion de sa dernière exposition bruxelloise à la Centrale, la plasticienne Els Dietvorst a fait un pas en ce sens. La Campinoise a choisi de mettre le collectif qui l’a accompagnée, The Barra Movement, au fil de la proposition plutôt que son nom en guise d’accroche à l’événement. Serait-ce là le signe précurseur d’une nouvelle aurore plastique?
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