Dans un cadre de pierre et d’images imaginé par Célie Pauthe, Emmanuel Leroux signe une partition vouée à faire date. Epaulé par le livret, au plus près des lignes de l’auteur, de Raphaèle Fleury, grande spécialiste de Claudel ; par L’ensemble Cairn qui confirme ses hautes qualités d’interprétation du champ contemporain et par des chanteurs admirables d’adresse vocale, il accède au mystère sans en trahir le souffle.
Par Angelique Dascier
Avec « L’Annonce faite à Marie », Philippe Leroux signe une œuvre d’une finesse infinie, apprivoisant l’art de faire cohabiter sur une scène d’opéra musique électronique, chant grégorien, écriture contemporaine, prouesses de la synthèse neuronale….et renaissance de Claudel. Ainsi, par des choix techniques et de mise en scène judicieux, tout au long de l’opéra, le spectateur est enveloppé de la présence de l’auteur du « Soulier de satin ».
D’abord, raisonne la voix de Claudel, reconstituée par synthèse neuronale grâce aux travaux des laboratoires de l’Ircam. Elle nous arrive par les haut-parleurs avant même la musique et elle reviendra ainsi tout au long de l’intrigue orienter, guider ses personnages, sa « poignée de locataires peuplant le sous-sol de [sa] conscience ». Puis, la musique retentit, les voix se font entendre, l’électronique jaillit, tous pour soutenir l’élément que l’on a voulu au centre : le mystère, le verbe de Claudel.
Claudel est également présent dans les paysages du Tardenois, cette partie de Champagne où vécurent les Claudel, filmés par Célie Pauthe et projetés sur les murs de pierre figés sur la scène. Ces images vivantes de champs et de forêts nous jettent dans le corps de Paul Claudel en balade, nous font connaître les sensations de froid, d’humide, de sombre des forêts tardenoises et introduisent la sorcellerie, déjà. Car de sorcellerie, il sera bien question. Dans les voix de Mara (Sophia Burgos) particulièrement et de Violaine (Raphaèle Kennedy) qui se voileront par épisodes et sans préavis d’accents envoûtés saisissant l’auditeur entre surnaturel, étrangeté et effroi.
Sorcellerie dans l’humour aussi. Ainsi entend-on la voix de Claudel chantant un air au sujet d’un petit oiseau accompagné d’une plaisanterie du metteur en scène l’invitant à chanter cet air dans la pièce montée au théâtre à l’époque de la prise de son : magie de la mise en abyme qui réunit les temps de la création au théâtre dans les années 1950 et de la création à l’opéra aujourd’hui. Humour encore lorsqu’Elisabeth Vercors (Els Janssens Vanmuster) dans un dernier élan avant le départ de son mari, Anne Vercors (Marc Scoffoni ) pour Jérusalem lui adresse un dernier Dis, quand reviendras-tu ? sur les notes de la Dame en noir. Une scène à pleurer sur un air à pleurer qui mis ensemble là, dans ce décor, déclenchent le rire le temps d’un spasme…
Si la prouesse de l’Ircam de faire revivre la voix de Claudel est prodigieuse, il en est d’autres des prodiges vocaux sur cette scène. Les voix des chanteurs sont époustouflantes, dans une écriture contemporaine exigeante, presque surhumaine. D’abord, la voix de Raphaële Kennedy qui accompagne le personnage de Violaine Vercors ; celle qui, dans un élan énigmatique, se jette au cou de Pierre de Craon (Vincent Bouchot) bâtisseur de cathédrales et lépreux pour lui donner un baiser qui lui ôtera son mal. Armée d’une technique vocale impeccable, la soprano navigue des aigus les plus pointus de la jeune femme enjouée et amoureuse de Jacques Hury (Charles Rice) aux accents douloureux et dramatiques de la maladie et de l’agonie. Pour ce qui est de la partition, Mara Vercors n’a, cette fois, rien à envier à Violaine. Ensorcelée, proche de la folie, elle devient tranchante de vérité, éprouvée par la mort de son enfant, fervente dans la récitation des psaumes de Noël…
Avec « L’Annonce faite à Marie », Philippe Leroux poursuit son exploration d’une lecture contemporaine de la musique du Moyen- ge et fait la démonstration d’une maitrise désarmante de l’écriture pour voix, dans le prolongement d’œuvres précédentes comme la très remarquée « Voi(REX) » (2002). Il poursuit également son étude de la modélisation de la graphie d’un texte par la musique électro-acoustique, donnant vie musicale à la phrase telle qu’écrite de la main de Claudel : Moi je rentre dans la nuit par-dessus ma nuit, pour t’écouter.
Au-delà de ce qui précède, « L’Annonce faite à Marie » regorge d’idées, de facéties, de trouvailles qui procurent à cette œuvre toute la richesse d’une profonde et noble générosité.
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L’Annonce faite à Marie [Création mondiale] Philippe Leroux d’après Paul Claudel
Commande // Angers-Nantes Opéra ;
Coproduction // Angers-Nantes Opéra, Opéra de Rennes, Ircam-Centre Pompidou.
Avec le soutien du Fonds de création lyrique (SACD).
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Nantes – Théâtre Graslin // dimanche 9 octobre à 16h (garderie gratuite à partir de 3 ans), mardi 11, jeudi 13 et vendredi 14 octobre à 20h. https://www.angers-nantes-opera.com/l-annonce-faite-a-marie
Opéra de Rennes // dimanche 6 novembre à 16h, mardi 8 et mercredi 9 novembre à 20h. https://www.opera-rennes.fr/fr/evenement/lannonce-faite-marie
Angers – Grand Théâtre // samedi 19 novembre à 18h (garderie gratuite à partir de 3 ans). https://www.angers-nantes-opera.com/l-annonce-faite-a-marie
Durée : 2h30
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Musique – Philippe Leroux ; Direction musicale – Guillaume Bourgogne ; Mise en scène – Célie Pauthe ; Livret Raphaèle Fleury d’après l’œuvre de Paul Claudel
Distribution : Violaine Vercors – Raphaële Kennedy, soprano ; Mara Vercors – Sophia Burgos, soprano ; Elisabeth Vercors – Els Janssens Vanmunster, mezzo-soprano ; Anne Vercors – Marc Scoffoni, baryton ; Jacques Hury – Charles Rice, baryton ; Pierre de Craon – Vincent Bouchot, ténor
Ensemble Cairn
Visuel : ©D Perrin
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