Le projet de loi de finances pour 2023, qui a été dévoilé en conseil des ministres le 26 septembre 2022 et adopté en première lecture le 2 novembre par l’utilisation de l’article 49-3, vise à poursuivre l’allègement des impôts de production, amorcé en 2021, en supprimant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui est l’une des deux composantes de la contribution économique territoriale. Selon le législateur, cette nouvelle réforme de la fiscalité locale a pour objectif « le soutien de l’activité économique et la reconquête industrielle ».
Proj. L. n° 273, 26 sept. 2022, de finances pour 2023 : https://lext.so/eXh7dx
Conformément aux engagements pris par le président de la République Emmanuel Macron, le législateur a décidé de supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui est un impôt de production instauré au profit des collectivités territoriales. Cette cotisation concerne les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 152 500 € et est calculée sur la valeur ajoutée réalisée par l’entreprise. Elle n’est pas due l’année de la création de l’entreprise, sauf en cas de transmission d’activité.
La CVAE pénalise notamment les entreprises « qui ont besoin de procéder à un renouvellement régulier de leur outil de production et les secteurs les plus intensifs en capital »1. Il est à noter qu’environ 24 % de la CVAE sont acquittés par le secteur industriel.
La CVAE est par ailleurs une ressource essentielle pour les collectivités territoriales. Elle a représenté, en 2021, 5,7 milliards d’euros pour le bloc communal et 3,8 milliards d’euros pour les départements.
Cette réforme destinée à accroître la compétitivité des entreprises, qui était une promesse de campagne du président Macron, fait l’objet de nombreuses critiques. Selon certains parlementaires, la suppression de la CVAE viendra amoindrir « le lien entre collectivités locales et entreprises » et aura un coût important pour l’État2. On observe également que les élus d’intercommunalités de France ont regretté cette réforme qui constitue, selon eux, « après la suppression de la taxe d’habitation, une nouvelle remise en cause de la fiscalité locale et une nouvelle rupture entre la fiscalité et le territoire »3.
La CVAE est l’une des deux composantes de la contribution économique territoriale qui a été créée en 2010, en remplacement de la taxe professionnelle, laquelle était l’imposition économique des collectivités territoriales depuis 1975 (I). La CVAE fait partie des impôts dits de « production » qui sont souvent présentés comme étant les plus nocifs pour les entreprises (II). Le dispositif de suppression de la CVAE, qui sera progressif, cherche à sécuriser la compensation de la perte du produit de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les collectivités territoriales concernées (III).
Qualifiée d’impôt « imbécile » par François Mitterrand, la taxe professionnelle, instituée par la loi n° 75-678 du 29 juillet 1975 supprimant la patente, a été supprimée par la loi de finances pour 2010 du 30 décembre 2009. Cet impôt local était critiqué pour son coût pour le budget de l’État en raison des nombreuses exonérations prévues et était accusé de pénaliser l’investissement compte tenu de son assiette. Il a été la ressource fiscale la plus importante des collectivités locales de 1975 à 2010. Il devait être acquitté par toutes les personnes physiques ou morales qui exerçaient à titre habituel une activité professionnelle non salariée.
Depuis le 1er janvier 2010, la contribution économique territoriale (CET) a remplacé la taxe professionnelle. La CET est composée de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Ces deux cotisations constituent des impositions distinctes et autonomes. Si la CFE est un « impôt communal ou intercommunal » reposant sur une assiette foncière, la CVAE est un « impôt partagé » entre les collectivités territoriales (communes, départements, intercommunalités) prenant en compte les résultats de l’entreprise.
Les collectivités territoriales n’ont aucune compétence sur la détermination des taux de la CVAE et cela à la différence de la CFE qui est due par toute entreprise et personne exerçant une activité professionnelle non salariée, sauf exonération éventuelle.
La CVAE, qui est la composante la plus importante de la CET, est due par les contribuables qui sont soumis à la CFE et qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 152 500 €. Les activités qui sont exonérées de la CFE le sont également de la CVAE. L’assiette de la CVAE repose sur la valeur ajoutée dégagée au cours de la période de référence, laquelle correspond à l’année civile au cours de laquelle l’imposition est établie.
Les impôts de production correspondent à « l’ensemble des prélèvements pesant sur les facteurs de production utilisés par les entreprises pour créer des biens et proposer des services »4. Ces prélèvements, qui sont nombreux 5, sont plus élevés en France que chez la plupart de ses voisins européens, ce qui a pour effet de limiter « la compétitivité des entreprises françaises, notamment les entreprises industrielles, et l’attractivité du territoire »6.
Ces impôts sont accusés de pénaliser fortement les marges des entreprises françaises dans la mesure où ils représentaient en 2020, selon Eurostat, plus de 5 % du PIB en France, alors que la moyenne européenne est de 2,6 %7.
Dans une note de juin 2019, Philippe Martin et Alain Trannoy, deux économistes du conseil d’analyse économique (CAE), ont expliqué en quoi les impôts de production sont les plus nocifs pour les entreprises8.
Ils ont souligné que « l’analyse économique enseigne que les impôts sur la production sont les plus nocifs en raison des distorsions qu’ils engendrent tout au long de la chaîne de production. Contrairement à l’impôt sur les bénéfices ou la TVA, les impôts sur la production affectent directement les décisions des entreprises en termes de choix des modes de production et de prix et peuvent donc pénaliser leur productivité et leur compétitivité »9.
Philippe Martin et Alain Trannoy ont préconisé la suppression de la CVAE qui permettrait en particulier de simplifier la taxation des entreprises puisque « celles-ci n’auraient plus de déclaration spécifique pour s’acquitter de la CVAE. Cette déclaration est, en effet, loin d’être simple pour les entreprises (nombreuses exonérations, dégrèvements…). Un autre avantage important est que la suppression de la CVAE, plus qu’une nouvelle réduction du taux de l’impôt sur les sociétés (…), apporterait un soutien à une grande partie des entreprises, aussi bien celles dégageant des profits que celles en difficulté ou encore les entreprises en phase d’expansion qui, par exemple, investissent fortement mais font encore peu de profit »10.
La suppression de la CVAE à laquelle sont assujetties plus d’un demi-million d’entreprises en France, qui est prévue par l’article 5 du projet de loi de finances pour 2023, sera étalée sur 2023 et 2024 (A). Cette disposition, qui est l’une des plus importantes du texte budgétaire11, prévoit une compensation aux collectivités territoriales de la perte de recettes induite par cette réforme fiscale (B). À l’instar de toutes les réformes de la fiscalité locale intervenues depuis 2017, le mécanisme retenu par le législateur a vocation à permettre une compensation à « l’euro près ». Mais, selon ses détracteurs, cette logique de compensation contribue à limiter l’autonomie financière des collectivités territoriales12, laquelle est une composante du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
La loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, qui comportait plusieurs mesures permettant de diminuer le poids des principaux impôts de production, est venue abaisser à compter de 2021 le taux de la CVAE à hauteur de la part affectée à l’échelon régional, soit 50 %. Depuis le 1er janvier 2021, la CVAE régionale a été remplacée par une fraction de TVA affectée aux régions. Cette mesure de compensation avait été négociée dans le cadre d’un « accord de méthode » signé le 30 juillet 2020 entre l’État et les régions.
En dépit de cette baisse de moitié, qui a été applicable à toutes les entreprises, la CVAE a représenté un montant d’impôt de 7,61 millions d’euros en 2021 et représente toujours une part conséquente des impôts de production.
Le 6 juillet 2022, dans son discours de politique générale, la Première ministre Élisabeth Borne avait annoncé vouloir que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises soit supprimée dès la loi de finances 2023. Finalement, la suppression de la CVAE se fera en deux fois, sur 2023 et 2024, « par souci d’équilibre de nos finances publiques »13. En 2023, la cotisation due par les entreprises redevables sera réduite de moitié (le taux maximum actuel de 0,75 % passera à 0,375 %) et, en 2024, elle sera supprimée pour l’ensemble des redevables.
« Cette trajectoire en deux temps sera inscrite dans le budget 2023 pour que toutes les entreprises, notamment les industries auxquelles j’attache une importance vitale, aient l’assurance qu’effectivement cet impôt de production sera supprimé en 2024 », a déclaré le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, le 12 septembre 2022.
Notons que certains parlementaires auraient souhaité supprimer la CVAE en trois fois et non en deux fois « afin de donner plus de marges de manœuvre budgétaire pour atteindre les objectifs de maîtrise des finances publiques »14.
Par ailleurs, le plafonnement de la contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée, qui deviendra un plafonnement de la seule CFE, sera abaissé de 2 % de la valeur ajoutée à 1,625 % en 2023, puis 1,25 % en 2024. Cette baisse du plafonnement de la CET cherche à éviter « tout effet de report, en particulier en défaveur du secteur industriel »15.
Le projet de loi de finances pour 2023 a prévu de compenser aux collectivités territoriales (communes, intercommunalités et départements) la suppression de la CVAE à travers l’affectation à leur profit d’une fraction de TVA.
Il prévoit également d’affecter le dynamisme issu de cette fraction de TVA à un fonds national d’attractivité économique des territoires. « Ce mécanisme doit permettre de maintenir l’incitation pour les collectivités et groupements de communes à attirer de nouvelles activités économiques sur leur territoire »16.
Le montant de la compensation pour chaque collectivité territoriale sera déterminé sur la base d’une moyenne quadriennale de leurs recettes de CVAE (années 2020, 2021, 2022 et 2023).
Le gouvernement avait proposé initialement de compenser chaque collectivité territoriale sur la base de la moyenne de la CVAE perçue sur la période 2020 à 2022. Mais par le biais d’un amendement, il a souhaité ensuite élargir la période de référence, servant à la fixation de la fraction de TVA, à l’année 2023, en raison du dynamisme attendu des recettes de la CVAE pour cet exercice17. Il a effectivement voulu améliorer la compensation des collectivités territoriales face à la suppression de la CVAE. Il convient de souligner que compte tenu de la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, la prise en compte des recettes de la CVAE perçues en 2021 et 2022 vient pénaliser les collectivités locales car la CVAE a baissé de 1,1 % en 2021 et de 3,3 % en 2022.
Par ailleurs, le gouvernement a souhaité « différencier la répartition de la dynamique de la TVA en fonction des échelons de collectivités locales »18. L’affectation de celle-ci au fonds national d’attractivité économique des territoires ne concernera que les communes et groupements de communes, l’objectif étant de « maintenir l’incitation pour les communes et groupements de communes à attirer de nouvelles activités économiques sur leur territoire ». Les modalités de répartition de ce fonds national d’attractivité économique des territoires seront fixées par décret.
S’agissant des départements qui ont refusé d’intégrer ce dispositif, chacun d’entre eux « bénéficiera de la dynamique de TVA associée à la fraction dont il bénéficie, sur le modèle de la fraction affectée aux régions depuis 2021 en compensation de la suppression de la part régionale de la CVAE »19.
Le texte budgétaire précise les modalités de détermination de la compensation de la perte de la CVAE dans toutes les hypothèses de changement de périmètre. La compensation versée « devra prendre en considération les évolutions de périmètres liées notamment aux fusions de communes pour la création de communes nouvelles (…), aux fusions ou dissolutions d’EPCI à fiscalité propre, aux transformations d’EPCI à fiscalité additionnelle en EPCI à fiscalité propre unique ou aux fusions de départements »20.
Enfin, la perte de recettes qui découle de la suppression des frais de gestion de CVAE bénéficiant aux régions sera compensée à ces collectivités par l’institution d’une dotation budgétaire. Le montant de cette nouvelle dotation sera égal au montant des frais perçu par les régions en 2022.
Référence : AJU006s8