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Faire que chacun au sein de l’entreprise soit, en toute situation, en mesure de se mettre en mouvement, d’identifier ses besoins, de les gérer, en toute autonomie et responsabilité, tout en étant capable de s’appuyer sur les autres. Tel est l’art du triage.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, commençons par identifier ce qu’implique cet art du triage. Il s’exerce au départ dans le cadre protecteur de la réunion de triage, ce pilier de l’holacratie et du management constitutionnel. Cette réunion est un rituel vivant qui vise à ce que les équipes se synchronisent, partagent de l’information, s’entraident. C’est la réunion qui permet à tous de s’aligner et de se libérer des différents obstacles qui peuvent freiner le flux.
Cette réunion bénéficie d’un processus standard dans lequel on retrouve notamment un tour d’inclusion et un tour de clôture. Elle n’est pas un espace uniquement centré sur le travail, ni seulement sur le « faire », c’est avant tout un espace d’entraide, de codéveloppement. En outre, la réunion de triage est une école qui permet à chacun de gagner en autonomie, d’apprendre à se mettre seul en mouvement, quelle que soit la situation. Cette capacité, cet art du triage acquis, va pouvoir alors s’exprimer à tout moment, même hors du cadre de la réunion de triage. C’est le début du leadership et de l’autonomie.
Ainsi, dans cet espace de codéveloppement, chacun arrive avec son ordre du jour, ses sujets. Chacun y est alors le client et toutes les autres personnes présentes se mettent à son service, dans une posture de fournisseur potentiel ou de consultant. Au fil de la réunion, chacun est, alternativement, le client – celui qui amène, soumet son sujet en faisant une demande aux autres – et le fournisseur – celui qui, sans se substituer au demandeur, sans se présenter comme son sauveur se met pleinement au service de son collègue-client et l’aide à cheminer, tout en le laissant libre de ses choix.
Lorsque arrive le moment où une personne devient cliente, il lui est demandé d’expliciter son besoin, ce qu’elle attend précisément des autres, quelle est sa demande. Cette démarche permet à chacun, à force de répétition, d’apprendre à faire des demandes claires et concrètes à ses collègues. D’ailleurs, à y regarder de plus près, nous ne sommes finalement pas si loin de ce qui est pratiqué quotidiennement dans la vie quotidienne par tout un chacun. Lorsque je me rends chez le traiteur par exemple, je lui exprime une demande, banale soit, mais qui permet à mon interlocuteur de comprendre la nature de ma demande et d’y répondre. Pourtant, dans le monde de l’entreprise, cette capacité est bien souvent manquante, non acquise.
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Pour aider les personnes dans cet apprentissage, il ne s’agit pas de trouver la demande ou la question à leur place, d’endosser le rôle de sauveur mais plutôt de créer un contexte favorable à la découverte et à l’apprentissage par la personne concernée.
Pour ce faire, il existe cinq pistes pour aider le client à clarifier lui-même sa demande. Cinq pistes qui prennent la forme de cinq questions simples. La demande implique-t-elle une action de la part d’une des personnes présentes ? Est-ce plutôt un résultat qui est attendu, un projet ? Ou alors plutôt un simple besoin d’information ou d’aide ? Ou encore le besoin de partager une information ? Ou, enfin, le client cherche-t-il à définir une nouvelle attente ?
Par ce moyen, le client n’est pas aidé sur le fond mais on lui propose des pistes. Cela lui permet de cheminer et de clarifier sa demande. Il est celui qui va choisir et partir sur une piste. Une démarche qui présente un double intérêt puisque, au-delà d’aider chacun à progresser et à développer son leadership, elle invite parallèlement tous les autres à développer leur écoute et des capacités d’altéro-centrage.
Dans cet espace, le client est celui qui contrôle l’espace. Le facilitateur est là, à son service, le temps que celui-ci parfasse son apprentissage, ait la capacité de tenir lui-même l’espace et d’animer le point qu’il a mis à l’ordre du jour. Par le biais des cinq pistes, le facilitateur va apprendre à chacun à faire des demandes concrètes. Par sa facilitation, il vise à apprendre à chacun à animer son point. De telle sorte que, une fois ces apprentissages faits, le facilitateur disparaît et le client, parce qu’il maîtrise l’art du triage, est capable d’amener et d’animer lui-même ses points, de se mettre en mouvement ; lors des réunions de triage ou en dehors puisque celles-ci ne lui sont plus nécessaires.
Au-delà des points abordés plus haut, il y a un autre aspect essentiel à prendre en compte : le langage des rôles. Quel que soit le sujet apporté, par construction de l’holacratie, il y a forcément quelqu’un qui a l’autorité sur celui-ci. D’où la nécessité de se questionner : est-ce que le sujet apporté concerne bien l’un de mes rôles ?
Aussi simple que cela puisse sembler, ce questionnement est vraiment nouveau dans l’entreprise. Dans la plupart des organisations, il est vu d’un bon œil que chacun se sente concerné, impliqué dans tout même si on se situe loin de ses compétences et de son périmètre. Il s’agit donc de créer un nouveau réflexe chez chacun : « est-ce que l’un de mes rôles est concerné ? »
Comme lorsque, au quotidien, je vais chez le boulanger et lui demande du pain et des croissants. Sa réponse est positive car ma demande correspond bien à son rôle, i.e. ce qui est dans sa vitrine. En revanche, si je lui demande des saucisses, il n’aura d’autre choix que de refuser. Soit la comparaison peut paraître simpliste, mais il n’en demeure pas moins, qu’en entreprise, parce qu’il n’y a pas ce questionnement systématique sur le rôle de chacun – cette notion de vitrine qui donne à voir les rôles – la réponse reste positive et la confusion de mise au prétexte de privilégier la coopération dans l’organisation.
En réalité, dans l’entreprise comme dans une équipe de foot, le rôle implique une compétence spécifique à celui qui en a la charge. Le défenseur qui déborde et se retrouve à proximité du but adverse se questionne : où se trouve le buteur sur le terrain? Il est proche et bien placé ; il est le plus efficace face au but ; il lui passe le ballon. Au contraire, il n’est pas dans une bonne position? Le défenseur se saisit alors de la responsabilité et tente de marquer.
En s’appropriant ce nouveau réflexe, “est-ce que l’un de mes rôles est concerné?”, la situation s’éclaircit. Si la réponse est positive, je m’en charge. Si elle est négative, je laisse le rôle concerné s’en charger. Dans le premier cas, je fais preuve de leadership. Dans le second, de followership. Dans les deux cas, j’utilise le langage des rôles, les deux côtés d’une même pièce, essentiels l’un à l’autre.
Bien sûr, prendre cette nouvelle habitude n’est pas chose aisée. Elle n’en est pas moins essentielle. Et, c’est la réunion de triage qui permet cet apprentissage. Elle est un espace d’acquisition de cette nouvelle habitude. Elle est aussi une école de développement du leadership et du followership. Et l’un ne va pas sans l’autre.
La raison est relativement simple. L’art du triage représente en réalité un stade de maturité plus avancé. La première étape consiste, lorsqu’une personne perçoit un besoin, une difficulté, à l’apporter en réunion de triage parce qu’il s’agit du lieu et du moment qui doit lui permettre de trouver un prochain pas, de se mettre en mouvement. À la seconde étape, la réunion de triage n’est plus un passage obligé puisque chacun est capable d’identifier son besoin et de se mettre directement en mouvement pour faire des demandes. C’est à cet art du triage que la pratique et la maturité donnent accès.
Plus besoin de ce cadre protecteur de la réunion. Chacun gère son travail, son énergie, en s’appuyant sur les autres, en toute autonomie et responsabilité. Chacun est désormais en mesure de trier ; n’importe quand et n’importe où. C’est l’art du triage !.
Pour chacun, la réunion de triage est une école pour acquérir cet art du triage, source de leadership et d’autonomie. Au fond, l’art du triage c’est l’art du mouvement, l’art de savoir progresser dans le flux, de faire avancer son travail, l’art de gérer son énergie,… et l’art de profiter de tout ce que peuvent apporter les autres !
Cet art permet à chacun de développer davantage sa puissance, le potentiel de création de valeurs de ses rôles. Et par l’apprentissage du langage des rôles, chacun va développer son followership et, par là-même, son leadership, les deux allant de pair.
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