Depuis la première intervention de l’ONU en Haïti en 2004, Haïti est constamment dans les débats au Conseil de sécurité des Nations Unies, qui regroupe 15 pays, dont cinq permanents. Mais depuis deux ans, la Chine monte régulièrement au créneau, suivie par la Russie, soit pour poser son veto ou proposer des amendements aux résolutions du Conseil de Sécurité concernant Haïti. Elle fait de la crise haïtienne une problématique géopolitique centrale dans les affaires politiques des États où le principe de non-ingérence en est le fer de lance. Globalement, les Chinois exigent de l’Occident des rapports équitables dans le domaine de développement avec les pays en développement et critiquent sévèrement Washington qu’ils rendent responsable des échecs de l’ONU en Haïti. « Mais jusqu’à quel point la diplomatie chinoise offre-t-elle une alternative ? », s’interroge Frédéric Thomas du Centre tricontinental (CETRI). (1)
Depuis 2019, les officiels chinois se focalisent sur la crise haïtienne et profitent des actions infructueuses du BINUH (Bureau intégré des Nations Unies en Haïti) pour créer des tensions au sein du Conseil de sécurité lors des résolutions sur Haïti. Ils accusent Mme Helen La Lime, représentante de l’ONU en Haïti, d’imposer la politique de la Maison Blanche et de ses alliés, qui ne connaissent que des revers en Haïti depuis une trentaine d’années.
De son côté, la Russie, très critiquée en Occident à cause de la guerre en Ukraine, exploite ces crises haïtiennes pour régler ses comptes avec les États-Unis. Elle s’unit à la Chine pour soulever la question des droits de l’Homme liés aux gangs et émet des doutes sur la légitimité d’une intervention militaire internationale en Haïti. Pour elle, la politique des États-Unis et de leurs alliés de l’Occident est de deux poids deux mesures ; tenant compte dans l’état de misère et de violence se trouve Haïti malgré les missions onusiennes depuis après le coup d’État de la communauté internationale contre le président Aristide en 2004.
Historique des affrontements sino-américains
En octobre 2021, la Chine et la Russie sont rejointes par le Kenya, le Niger, la Tunisie et Saint-Vincent et Grenade pour exiger une autre politique internationale pour Haïti. Après amples discussions, le Conseil de sécurité renouvelle un mandat de neuf mois au BINUH avec obligation de résultat. Mais Pékin est fidèle à sa politique de non-intervention étrangère dans ses affaires intérieures, ne tolère pas non plus l’ingérence de l’Occident dans les États du monde.
Théoriquement, Ariel Henry peut dormir sur ses lauriers. Il pourrait même, s’il le voulait, bénéficier de cet affrontement sino-américain, pour entamer des réformes du système d’État paternaliste haïtien, gangrené par la corruption et la peur de ne pas fâcher l’Oncle Sam. Cela passerait par la mise sur pied d’un Conseil électoral consensuel et l’organisation d’élections équitables. D’autant plus, en ce qui concerne la présence de M. Henry à la tête du pays, la Chine et les États-Unis ont le même son de cloche au Conseil permanent de sécurité : le maintenir jusqu’aux élections. En revanche, des mouvements comme Montana et autres organisations politiques auraient, eux, davantage de souci à se faire dans la mesure où ni la Chine ni la Russie n’ont l’intention de soutenir des mouvements populaires pour renverser l’establishment, même de facto en Haïti. Pour Pékin et Moscou, il y va de la responsabilité du gouvernement haïtien de trouver des solutions aux problèmes. Ils estiment toutefois que l’ingérence de Washington doit faire place à une voie distincte respectant la souveraineté haïtienne.
C’est pourquoi lorsqu’en juillet 2022, le Conseil de sécurité a entrepris de renouveler le mandat du BINUH, la Chine s’y est opposée. Elle estimait que malgré les $15 milliards de la communauté internationale investis en Haïti depuis trente ans, les résultats attendus n’étaient pas au rendez-vous : la situation s’est même détériorée. Les États-Unis ont imposé un embargo sur les armes (alors que la majeure partie des armes vient des ports de Miami). Mais la Chine a proposé le déploiement d’une force de police internationale sous son leadership et demandé au Premier ministre haïtien de trouver la voie du dialogue. La requête chinoise a été refusée, mais Pékin continue de mener de fortes pressions sur le gouvernement haïtien acculé au dialogue national.
Effets de la pression chinoise
Moins d’un mois plus tard, le 8 août 2022, l’Organisation des États américains (OEA) a publié un communiqué qui a surpris le peuple haïtien dans son ensemble. Le Secrétariat général de l’organisation hémisphérique a exprimé le mea-culpa de la communauté internationale avant de proposer toute une panoplie de solutions jamais entendues dans la bouche des soi-disant directeurs d’opinions en Haïti. Indirectement, cette institution répondait aux critiques et revendications chinoises et russes. Malgré les fiascos de la MINUSTAH, l’OEA avait réaffirmé la nécessité d’une nouvelle intervention de l’ONU. Étant donné que, selon elle, Haïti n’a pas de richesses naturelles, il faudrait à son avis presque un plan Marshall (Ndlr) de la communauté internationale pour l’aider à se développer.
Les Haïtiens ont préféré blablater sur une « intervention militaire imminente de l’Oncle Sam sur la terre de Dessalines » qui n’existe pas au lieu d’essayer de tirer profit de cette nouvelle donne. Le poids politique de ces deux autres superpuissances est incontournable dans le nouveau mode de production capitaliste mondial qui se structure. Pour la première fois, ce n’est pas l’Occident, mais elles, les initiatrices du nouvel ordre capitaliste. Haïti y est utilisé comme terrain d’expérimentation géopolitique qui pourrait lui être bénéfique si les dirigeants trouvaient l’intelligence pour résoudre les crises à l’intérieur même du système capitaliste. D’ailleurs, les débats au sein de l’Assemblée générale de l’ONU ne se font plus sur l’idéologie communiste contre le capitalisme. Aujourd’hui tout le monde est capitaliste dans les échanges commerciaux mondiaux.
N'ayant pas pu répondre aux obligations chinoises, en octobre 2022, Ariel Henry, dans la tourmente des mobilisations populaires et de la prolifération des actions criminelles, sollicite l’intervention militaire de l’ONU, évoquée jadis comme possibilité dans le communiqué de l’OEA. Cependant, se basant sur les échecs constants, la Chine continue de s’opposer à l’envoi d’une force armée internationale sous obédience américaine en Haïti. Washington accepte de couper la poire en deux, passe le leadership des affaires haïtiennes à son fidèle ami et voisin, le Canada. Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, continue encore de demander aux Haïtiens de trouver un consensus sur la question inéluctable d’une intervention armée, mais également sur la question de politique nationale. La Chine et la Russie ne s’y opposent pas à condition que des États et organisations régionales et des Caraïbes soient choisis, car ceux-ci seraient les mieux placés pour obtenir des résultats positifs. Dans ce même ordre d’idées, la Barbade vient de s’exprimer. Elle estime que les intérêts des citoyens haïtiens ne sont pas pris en compte dans les décisions des Assemblées internationales. En conséquence, elle exhorte le CARICOM de mettre en marche un plan Marshall sous son leadership pour développer Haïti et l’aider à faire ses réformes institutionnelles.
Mais en Haïti, ni le pouvoir ni l’opposition ne se sont prononcés sur la possibilité de cette proposition sino-russe et encore moins sur celle de la Barbade. En revanche, pour donner suite aux pressions chinoises et canadiennes au dialogue et au consensus national, Ariel Henry aura attendu le 21 décembre 2022 pour accoucher d’un accord de pacotille qu’il intitule « Consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes » dont on sait que le mot consensus est mentionné pour amuser la galerie. Si l’opposition a déjà rejeté cet accord, ni les Etats du Core Group ni le bloc sino-russe ne se sont encore énoncés officiellement sur cet énième accord haïtien.
Le 21 octobre dernier, le Conseil de sécurité a voté à l’unanimité la résolution 2653, introduisant le régime des sanctions contre les nantis. Un effet des critiques anti-occidentales. La Chine et la Russie, conscients de l’impact de cette résolution contre la corruption dans la société haïtienne ont passé outre de leur principe du refus des sanctions dans les relations commerciales internationales. Et pour cause, eux-mêmes et leurs alliés en sont souvent les victimes aux Nations Unies. Les sanctions financières et politiques continuent de pleuvoir de partout : du Canada, des États-Unis et de l’ONU. Personne n’y est à l’abri, même pas la haute bourgeoisie haïtienne et le maître-chanteur des politiciens haïtiens.
Le peuple haïtien attend que les « censeurs » passent de la parole aux actes ; c’est-à-dire qu’ils apportent une aide concrète au dysfonctionnement de la justice haïtienne et faire appliquer la juridiction internationale quand c’est nécessaire. La question des procès et des réformes de la justice haïtienne vient à peine d’être évoquée au Conseil de sécurité. Et ce n’est pas une mince affaire, tellement la corruption dans les appareils de l’État est devenue un fait social total en Haïti. Comment pourrait-on réformer la justice haïtienne sans une participation internationale, les corrupteurs et corrompus ne pouvant pas être à la fois juges et parties ? En même temps, comment faire confiance à l’ONU qui n’a connu que de échecs avec la MINUSTAH (contenant entre autres un contingent de policiers chinois) et les missions suivantes ? Et si la diplomatie haïtienne est, elle-même, à l’image de l’État failli et défend maladroitement l’intérêt du pays aux Assemblées de l’OEA et des Nations Unies ?
Le revers de la médaille chinoise
Beaucoup d’Haïtiens pensent qu’en votant pour l’indépendance du Taïwan, Haïti perd l’occasion d’avoir l’appui de la Chine pour pouvoir se développer, notamment en matière d’infrastructures. Or dans l’immédiat, cette décision haïtienne est le cadet des soucis des Chinois, qui fondent d’abord leur politique sur le commerce et les services pour construire leur hégémonie sur l’économie mondiale et d’avancer lentement mais sûrement sur le plan géopolitique. Car malgré son appel aux États d’Amérique latine et des Caraïbes à trouver une solution pour Haïti, les échanges économiques entre Haïti et la Chine sont très asymétriques. Mais, beaucoup de compatriotes ignorent qu’Haïti entretient d’énormes échanges commerciaux avec la Chine et que nos vaillants ouvriers, exploités dans les usines textiles des factory, travaillent aussi à enrichir l’économie capitaliste chinoise au même titre que les autres investisseurs de tous bords en Haïti.
Avec 16% d’importation de ses besoins domestiques et semi-finis, fabriqués dans des zones franches chinoises, pour les usines textiles établies en Haïti, la Chine représente le troisième pays d’importation haïtienne après les États-Unis et la République dominicaine. Quant à Haïti, elle exporte des produits textiles finis fabriqués aussi dans les zones franches avec des matières premières en grande partie en provenance de la Chine. Le reste de l’exportation se compose de peaux de cuir tanné, d’huiles essentielles et de cuivre. La balance commerciale entre les deux pays démontre assez clairement un énorme déséquilibre commercial et les investisseurs chinois n’entendent offrir aucun cadeau à Haïti ni à aucun autre pays d’Amérique latine, surtout si celui-ci, comme Haïti, approuve la position américaine sur Taïwan.
C’est China first contre America first, comme dit Frédéric Thomas. En 2020, selon la Banque mondiale, Haïti a exporté vers la Chine pour une valeur de moins trois millions de dollars, alors que ses importations en provenance de l’empire du milieu sont de trente-six fois supérieures et s’élevaient à plus de $700 millions. Nous ne parlons pas des échanges avec les États-Unis et la République Dominicaine. Pour la petite histoire, sachons qu’Haïti ne consomme pas moins de 500.000 tonnes de riz par an et que 83% de sa consommation viennent des États-Unis, qui grâce aux subventions dont bénéficient leurs producteurs, ont exporté en même temps leur chômage dans la vallée de l’Artibonite qui ne produit que 17% de la consommation locale. Cela s’appelle du dumping économique, théoriquement interdit par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Dans ce cas, pourquoi se focalise-t-on uniquement sur les questions politiques et aides internationales des Nations Unies, sans évoquer un nouvel ordre économique mondial autre que la mondialisation ultralibérale, tolérée par les grandes puissances impérialistes en Haïti ? Comment peut-on évoquer la souveraineté politique haïtienne si la production locale est foulée aux pieds et les petits producteurs haïtiens oubliés dans les débats au Conseil de sécurité ? Si l’État haïtien ne se démarque pas des desiderata des institutions financières et politiques internationales pour au moins construire une autosuffisance alimentaire, il aura du mal à devenir un jour souverain. Les opulents qui sont dans les escarcelles des sanctions internationales pour corruption et malversations paramilitaires sont parmi ceux qui font les transactions commerciales juteuses avec la « Chine communiste » et qui s’enrichissent sur le dos des producteurs de riz de l’Artibonite en important à grande échelle le « riz bouilli » américain, sans parler du contrôle des consommations locales d’énergies et des douanes qu’ils monopolisent !
Espoir permis ?
Il n’est toutefois pas à exclure une évolution de la politique chinoise envers Haïti, mais il y a des conditions. Si Haïti revoie sa position envers Taïwan tout en restant un partenaire privilégié des États-Unis. Ou encore, si notre pays possède des richesses nationales lui permettant d’investir dans la construction des infrastructures, il pourrait permettre à la Chine de profiter de sa part du marché dans les gros travaux, comme le font certains pays africains et latino-américains en partenariat bilatéral elle. Et quoiqu’il arrive par sa puissance économique et sa politique sociale nationale à produire à bas coût, l’industrie chinoise est incontournable dans l’économie occidentale même quand Pékin ne signe pas des accords bilatéraux.
C’est peut-être aussi en ce sens que la Chine et la Russie ont permis un vote à l’unanimité au Conseil de sécurité contre corrupteurs et corrompus en Haïti, en espérant démarrer sur des nouvelles bases, si les Nations Unies et l’Oncle Sam nous laissent vraiment nous en sortir. Le premier principe du système politique capitaliste c’est « un homme une voix » et non la décision d’un ancien président américain et de son épouse, secrétaire d’État, approuvée par le Core Groupe, de porter un « ami » au pouvoir comme en 2011.
Il est à espérer que ces institutions, après leur mea-culpa, respectent leurs engagements. Néanmoins, le combat du social contre le tout ultralibéral de la mondialisation en Haïti, et de surcroit violant, devrait être constant. Cela ne peut se faire qu’en construisant un rapport de force autour de l’unité haïtienne et engager des hommes et des femmes intègres et formés dans la diplomatie haïtienne, capables de discuter les yeux dans les yeux avec les dirigeants des différents Etats du monde. C’est aussi simple que cela !
Haïti a besoin de renforcer ses relations diplomatiques et commerciales avec des pays latino-américains et caribéens. Ceux notamment qui ont déjà pris des décisions internationales aux Assemblées de l’ONU et à l’OEA, à l’encontre du tout puissant voisin et qui se transforme en bête féroce quand ses intérêts sont menacés. Il faut la voix du dialogue diplomatique et non l’affrontement stérile : kiyèbwa paka konbat ak kiyè fè ! Lancer des slogans démagogiques comme kapitalis se peche môtèl est très dangereux pour la stabilité politique d’Haïti. Pour cela, la République a besoin des hommes d’État formés, maîtrisant les problématiques géopolitiques et économiques mondiales, pouvant aiguiller une diplomatie positive que de toujours se comporter en esclaves mentaux sans que M Leblan ne vous l’ordonne !
On constate que les États latino-américains sont absents des débats aux Nations Unies sur la question haïtienne, et ceci malgré une percée électorale de gauche dans ce sous-continent. Peut-être pensent-ils qu’Haïti en un pays tèt anba et que le seul leader politique haïtien qui s’intéresse à eux est celui qui se balade chez eux avec un drapeau bicolore noir et rouge. Une ineptie historique dont fait preuve cet homme politique populiste quand on pense que la plupart de ces États, par reconnaissance envers Haïti, intègrent le bleu et le rouge dans leur tricolore comme symbole de l’unité bolivarienne.
Sergo Alexis
- Nous nous sommes inspirés du texte de Frédéric Thomas, publié dans les colonnes du CETRI, Belgique, le 28 décembre 2022, pour écrire cet article, complété par des sujets non traités par l’auteur. Nous conseillons aux lecteurs de lire cet article et les autres textes de Frédéric Thomas sur Haïti dans les connes du Centre tricontinental, ONG située en Belgique.
Depuis la première intervention de l’ONU en Haïti en 2004, Haïti est constamment dans les débats au Conseil de sécurité des Nations Unies, qui regroupe 15 pays, dont cinq permanents. Mais depuis deux ans, la Chine monte régulièrement au créneau, suivie par la Russie, soit pour poser son veto ou proposer des amendements aux résolutions du Conseil de Sécurité concernant Haïti. Elle fait de la crise haïtienne une problématique géopolitique centrale dans les affaires politiques des États où le principe de non-ingérence en est le fer de lance. Globalement, les Chinois exigent de l’Occident des rapports équitables dans le domaine de développement avec les pays en développement et critiquent sévèrement Washington qu’ils rendent responsable des échecs de l’ONU en Haïti. « Mais jusqu’à quel point la diplomatie chinoise offre-t-elle une alternative ? », s’interroge Frédéric Thomas du Centre tricontinental (CETRI). (1)
Depuis 2019, les officiels chinois se focalisent sur la crise haïtienne et profitent des actions infructueuses du BINUH (Bureau intégré des Nations Unies en Haïti) pour créer des tensions au sein du Conseil de sécurité lors des résolutions sur Haïti. Ils accusent Mme Helen La Lime, représentante de l’ONU en Haïti, d’imposer la politique de la Maison Blanche et de ses alliés, qui ne connaissent que des revers en Haïti depuis une trentaine d’années.
De son côté, la Russie, très critiquée en Occident à cause de la guerre en Ukraine, exploite ces crises haïtiennes pour régler ses comptes avec les États-Unis. Elle s’unit à la Chine pour soulever la question des droits de l’Homme liés aux gangs et émet des doutes sur la légitimité d’une intervention militaire internationale en Haïti. Pour elle, la politique des États-Unis et de leurs alliés de l’Occident est de deux poids deux mesures ; tenant compte dans l’état de misère et de violence se trouve Haïti malgré les missions onusiennes depuis après le coup d’État de la communauté internationale contre le président Aristide en 2004.
Historique des affrontements sino-américains
En octobre 2021, la Chine et la Russie sont rejointes par le Kenya, le Niger, la Tunisie et Saint-Vincent et Grenade pour exiger une autre politique internationale pour Haïti. Après amples discussions, le Conseil de sécurité renouvelle un mandat de neuf mois au BINUH avec obligation de résultat. Mais Pékin est fidèle à sa politique de non-intervention étrangère dans ses affaires intérieures, ne tolère pas non plus l’ingérence de l’Occident dans les États du monde.
Théoriquement, Ariel Henry peut dormir sur ses lauriers. Il pourrait même, s’il le voulait, bénéficier de cet affrontement sino-américain, pour entamer des réformes du système d’État paternaliste haïtien, gangrené par la corruption et la peur de ne pas fâcher l’Oncle Sam. Cela passerait par la mise sur pied d’un Conseil électoral consensuel et l’organisation d’élections équitables. D’autant plus, en ce qui concerne la présence de M. Henry à la tête du pays, la Chine et les États-Unis ont le même son de cloche au Conseil permanent de sécurité : le maintenir jusqu’aux élections. En revanche, des mouvements comme Montana et autres organisations politiques auraient, eux, davantage de souci à se faire dans la mesure où ni la Chine ni la Russie n’ont l’intention de soutenir des mouvements populaires pour renverser l’establishment, même de facto en Haïti. Pour Pékin et Moscou, il y va de la responsabilité du gouvernement haïtien de trouver des solutions aux problèmes. Ils estiment toutefois que l’ingérence de Washington doit faire place à une voie distincte respectant la souveraineté haïtienne.
C’est pourquoi lorsqu’en juillet 2022, le Conseil de sécurité a entrepris de renouveler le mandat du BINUH, la Chine s’y est opposée. Elle estimait que malgré les $15 milliards de la communauté internationale investis en Haïti depuis trente ans, les résultats attendus n’étaient pas au rendez-vous : la situation s’est même détériorée. Les États-Unis ont imposé un embargo sur les armes (alors que la majeure partie des armes vient des ports de Miami). Mais la Chine a proposé le déploiement d’une force de police internationale sous son leadership et demandé au Premier ministre haïtien de trouver la voie du dialogue. La requête chinoise a été refusée, mais Pékin continue de mener de fortes pressions sur le gouvernement haïtien acculé au dialogue national.
Effets de la pression chinoise
Moins d’un mois plus tard, le 8 août 2022, l’Organisation des États américains (OEA) a publié un communiqué qui a surpris le peuple haïtien dans son ensemble. Le Secrétariat général de l’organisation hémisphérique a exprimé le mea-culpa de la communauté internationale avant de proposer toute une panoplie de solutions jamais entendues dans la bouche des soi-disant directeurs d’opinions en Haïti. Indirectement, cette institution répondait aux critiques et revendications chinoises et russes. Malgré les fiascos de la MINUSTAH, l’OEA avait réaffirmé la nécessité d’une nouvelle intervention de l’ONU. Étant donné que, selon elle, Haïti n’a pas de richesses naturelles, il faudrait à son avis presque un plan Marshall (Ndlr) de la communauté internationale pour l’aider à se développer.
Les Haïtiens ont préféré blablater sur une « intervention militaire imminente de l’Oncle Sam sur la terre de Dessalines » qui n’existe pas au lieu d’essayer de tirer profit de cette nouvelle donne. Le poids politique de ces deux autres superpuissances est incontournable dans le nouveau mode de production capitaliste mondial qui se structure. Pour la première fois, ce n’est pas l’Occident, mais elles, les initiatrices du nouvel ordre capitaliste. Haïti y est utilisé comme terrain d’expérimentation géopolitique qui pourrait lui être bénéfique si les dirigeants trouvaient l’intelligence pour résoudre les crises à l’intérieur même du système capitaliste. D’ailleurs, les débats au sein de l’Assemblée générale de l’ONU ne se font plus sur l’idéologie communiste contre le capitalisme. Aujourd’hui tout le monde est capitaliste dans les échanges commerciaux mondiaux.
N'ayant pas pu répondre aux obligations chinoises, en octobre 2022, Ariel Henry, dans la tourmente des mobilisations populaires et de la prolifération des actions criminelles, sollicite l’intervention militaire de l’ONU, évoquée jadis comme possibilité dans le communiqué de l’OEA. Cependant, se basant sur les échecs constants, la Chine continue de s’opposer à l’envoi d’une force armée internationale sous obédience américaine en Haïti. Washington accepte de couper la poire en deux, passe le leadership des affaires haïtiennes à son fidèle ami et voisin, le Canada. Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, continue encore de demander aux Haïtiens de trouver un consensus sur la question inéluctable d’une intervention armée, mais également sur la question de politique nationale. La Chine et la Russie ne s’y opposent pas à condition que des États et organisations régionales et des Caraïbes soient choisis, car ceux-ci seraient les mieux placés pour obtenir des résultats positifs. Dans ce même ordre d’idées, la Barbade vient de s’exprimer. Elle estime que les intérêts des citoyens haïtiens ne sont pas pris en compte dans les décisions des Assemblées internationales. En conséquence, elle exhorte le CARICOM de mettre en marche un plan Marshall sous son leadership pour développer Haïti et l’aider à faire ses réformes institutionnelles.
Mais en Haïti, ni le pouvoir ni l’opposition ne se sont prononcés sur la possibilité de cette proposition sino-russe et encore moins sur celle de la Barbade. En revanche, pour donner suite aux pressions chinoises et canadiennes au dialogue et au consensus national, Ariel Henry aura attendu le 21 décembre 2022 pour accoucher d’un accord de pacotille qu’il intitule « Consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes » dont on sait que le mot consensus est mentionné pour amuser la galerie. Si l’opposition a déjà rejeté cet accord, ni les Etats du Core Group ni le bloc sino-russe ne se sont encore énoncés officiellement sur cet énième accord haïtien.
Le 21 octobre dernier, le Conseil de sécurité a voté à l’unanimité la résolution 2653, introduisant le régime des sanctions contre les nantis. Un effet des critiques anti-occidentales. La Chine et la Russie, conscients de l’impact de cette résolution contre la corruption dans la société haïtienne ont passé outre de leur principe du refus des sanctions dans les relations commerciales internationales. Et pour cause, eux-mêmes et leurs alliés en sont souvent les victimes aux Nations Unies. Les sanctions financières et politiques continuent de pleuvoir de partout : du Canada, des États-Unis et de l’ONU. Personne n’y est à l’abri, même pas la haute bourgeoisie haïtienne et le maître-chanteur des politiciens haïtiens.
Le peuple haïtien attend que les « censeurs » passent de la parole aux actes ; c’est-à-dire qu’ils apportent une aide concrète au dysfonctionnement de la justice haïtienne et faire appliquer la juridiction internationale quand c’est nécessaire. La question des procès et des réformes de la justice haïtienne vient à peine d’être évoquée au Conseil de sécurité. Et ce n’est pas une mince affaire, tellement la corruption dans les appareils de l’État est devenue un fait social total en Haïti. Comment pourrait-on réformer la justice haïtienne sans une participation internationale, les corrupteurs et corrompus ne pouvant pas être à la fois juges et parties ? En même temps, comment faire confiance à l’ONU qui n’a connu que de échecs avec la MINUSTAH (contenant entre autres un contingent de policiers chinois) et les missions suivantes ? Et si la diplomatie haïtienne est, elle-même, à l’image de l’État failli et défend maladroitement l’intérêt du pays aux Assemblées de l’OEA et des Nations Unies ?
Le revers de la médaille chinoise
Beaucoup d’Haïtiens pensent qu’en votant pour l’indépendance du Taïwan, Haïti perd l’occasion d’avoir l’appui de la Chine pour pouvoir se développer, notamment en matière d’infrastructures. Or dans l’immédiat, cette décision haïtienne est le cadet des soucis des Chinois, qui fondent d’abord leur politique sur le commerce et les services pour construire leur hégémonie sur l’économie mondiale et d’avancer lentement mais sûrement sur le plan géopolitique. Car malgré son appel aux États d’Amérique latine et des Caraïbes à trouver une solution pour Haïti, les échanges économiques entre Haïti et la Chine sont très asymétriques. Mais, beaucoup de compatriotes ignorent qu’Haïti entretient d’énormes échanges commerciaux avec la Chine et que nos vaillants ouvriers, exploités dans les usines textiles des factory, travaillent aussi à enrichir l’économie capitaliste chinoise au même titre que les autres investisseurs de tous bords en Haïti.
Avec 16% d’importation de ses besoins domestiques et semi-finis, fabriqués dans des zones franches chinoises, pour les usines textiles établies en Haïti, la Chine représente le troisième pays d’importation haïtienne après les États-Unis et la République dominicaine. Quant à Haïti, elle exporte des produits textiles finis fabriqués aussi dans les zones franches avec des matières premières en grande partie en provenance de la Chine. Le reste de l’exportation se compose de peaux de cuir tanné, d’huiles essentielles et de cuivre. La balance commerciale entre les deux pays démontre assez clairement un énorme déséquilibre commercial et les investisseurs chinois n’entendent offrir aucun cadeau à Haïti ni à aucun autre pays d’Amérique latine, surtout si celui-ci, comme Haïti, approuve la position américaine sur Taïwan.
C’est China first contre America first, comme dit Frédéric Thomas. En 2020, selon la Banque mondiale, Haïti a exporté vers la Chine pour une valeur de moins trois millions de dollars, alors que ses importations en provenance de l’empire du milieu sont de trente-six fois supérieures et s’élevaient à plus de $700 millions. Nous ne parlons pas des échanges avec les États-Unis et la République Dominicaine. Pour la petite histoire, sachons qu’Haïti ne consomme pas moins de 500.000 tonnes de riz par an et que 83% de sa consommation viennent des États-Unis, qui grâce aux subventions dont bénéficient leurs producteurs, ont exporté en même temps leur chômage dans la vallée de l’Artibonite qui ne produit que 17% de la consommation locale. Cela s’appelle du dumping économique, théoriquement interdit par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Dans ce cas, pourquoi se focalise-t-on uniquement sur les questions politiques et aides internationales des Nations Unies, sans évoquer un nouvel ordre économique mondial autre que la mondialisation ultralibérale, tolérée par les grandes puissances impérialistes en Haïti ? Comment peut-on évoquer la souveraineté politique haïtienne si la production locale est foulée aux pieds et les petits producteurs haïtiens oubliés dans les débats au Conseil de sécurité ? Si l’État haïtien ne se démarque pas des desiderata des institutions financières et politiques internationales pour au moins construire une autosuffisance alimentaire, il aura du mal à devenir un jour souverain. Les opulents qui sont dans les escarcelles des sanctions internationales pour corruption et malversations paramilitaires sont parmi ceux qui font les transactions commerciales juteuses avec la « Chine communiste » et qui s’enrichissent sur le dos des producteurs de riz de l’Artibonite en important à grande échelle le « riz bouilli » américain, sans parler du contrôle des consommations locales d’énergies et des douanes qu’ils monopolisent !
Espoir permis ?
Il n’est toutefois pas à exclure une évolution de la politique chinoise envers Haïti, mais il y a des conditions. Si Haïti revoie sa position envers Taïwan tout en restant un partenaire privilégié des États-Unis. Ou encore, si notre pays possède des richesses nationales lui permettant d’investir dans la construction des infrastructures, il pourrait permettre à la Chine de profiter de sa part du marché dans les gros travaux, comme le font certains pays africains et latino-américains en partenariat bilatéral elle. Et quoiqu’il arrive par sa puissance économique et sa politique sociale nationale à produire à bas coût, l’industrie chinoise est incontournable dans l’économie occidentale même quand Pékin ne signe pas des accords bilatéraux.
C’est peut-être aussi en ce sens que la Chine et la Russie ont permis un vote à l’unanimité au Conseil de sécurité contre corrupteurs et corrompus en Haïti, en espérant démarrer sur des nouvelles bases, si les Nations Unies et l’Oncle Sam nous laissent vraiment nous en sortir. Le premier principe du système politique capitaliste c’est « un homme une voix » et non la décision d’un ancien président américain et de son épouse, secrétaire d’État, approuvée par le Core Groupe, de porter un « ami » au pouvoir comme en 2011.
Il est à espérer que ces institutions, après leur mea-culpa, respectent leurs engagements. Néanmoins, le combat du social contre le tout ultralibéral de la mondialisation en Haïti, et de surcroit violant, devrait être constant. Cela ne peut se faire qu’en construisant un rapport de force autour de l’unité haïtienne et engager des hommes et des femmes intègres et formés dans la diplomatie haïtienne, capables de discuter les yeux dans les yeux avec les dirigeants des différents Etats du monde. C’est aussi simple que cela !
Haïti a besoin de renforcer ses relations diplomatiques et commerciales avec des pays latino-américains et caribéens. Ceux notamment qui ont déjà pris des décisions internationales aux Assemblées de l’ONU et à l’OEA, à l’encontre du tout puissant voisin et qui se transforme en bête féroce quand ses intérêts sont menacés. Il faut la voix du dialogue diplomatique et non l’affrontement stérile : kiyèbwa paka konbat ak kiyè fè ! Lancer des slogans démagogiques comme kapitalis se peche môtèl est très dangereux pour la stabilité politique d’Haïti. Pour cela, la République a besoin des hommes d’État formés, maîtrisant les problématiques géopolitiques et économiques mondiales, pouvant aiguiller une diplomatie positive que de toujours se comporter en esclaves mentaux sans que M Leblan ne vous l’ordonne !
On constate que les États latino-américains sont absents des débats aux Nations Unies sur la question haïtienne, et ceci malgré une percée électorale de gauche dans ce sous-continent. Peut-être pensent-ils qu’Haïti en un pays tèt anba et que le seul leader politique haïtien qui s’intéresse à eux est celui qui se balade chez eux avec un drapeau bicolore noir et rouge. Une ineptie historique dont fait preuve cet homme politique populiste quand on pense que la plupart de ces États, par reconnaissance envers Haïti, intègrent le bleu et le rouge dans leur tricolore comme symbole de l’unité bolivarienne.
Sergo Alexis
 
Le National
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