[Festival d’Avignon 2022] “Mémoires d’Hadrien” : la courageuse mise en scène d’un poème philosophique – Les Inrockuptibles

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par Malo Toquet
Publié le 28 juillet 2022 à 15h32
Mis à jour le 28 juillet 2022 à 15h32
© Malo Toquet
Monument de la littérature contemporaine, Jean Pétrement tente avec une certaine justesse de théâtraliser “Les Mémoires d’Hadrien” de Marguerite Yourcenar.
Troisième empereur de la dynastie des Antonins, Hadrien reste dans les mémoires comme l’inaugurateur du dernier âge d’or impérial. Yourcenar fit l’hypothèse littéraire, en 1951, de mémoires rédigées à la fin de la vie de l’empereur en forme de lettre testamentaire à Marc Aurèle, son successeur.
Auprès de ce glorieux personnage, Jean Pétrement introduit trois adjuvants, illustration de ceux qu’il a côtoyés de son vivant, mais aussi facettes de sa propre identité. Elixa (incarnée par Lucile Pétrement), jeune esclave grecque, aussi intelligente qu’insoumise, représente l’amour passionnel et philosophique d’Hadrien pour la Grèce, sa culture et ses penseurs, mais aussi pour le beau Antinoüs, un jeune homme qu’Hadrien fit diviniser par amour pour lui. Antoine (Léonard Stéfanica), à l’inverse, représente la romanité. Il est le secrétaire d’Hadrien, mais figure aussi le sénat par son rang et les affaires publiques par sa fonction. Il incarne surtout l’idée de transmission, intrinsèque au texte de Yourcenar dont le but était l’instruction de Marc Aurèle, l’héritier impérial. Enfin, Plotine (jouée par Maria Vendola), seul personnage déjà présent dans le livre, apporte une présence fantomatique, expression de l’amour de la sagesse d’Hadrien, de son accession au pouvoir, mais aussi de l’imminence de sa mort.
Ce trio permet indéniablement d’exprimer avec profondeur et théâtralité le contenu des Mémoires d’Hadrien et il faut reconnaître que le texte est globalement traité avec respect. L’aspect onirique, très abstrait et philosophique du texte, est ainsi conservé par des lectures et des apartés, mais cela peut malheureusement perdre ceux et celles qui n’auraient pas la connaissance préalable du texte. Ce texte magnifique ambitionne d’être une source de réflexion. Une fois mis à l’oral, il demande une concentration redoublée pour tenter d’accéder au plaisir d’une conversation mentale avec le philosophe qu’était Hadrien.
Par ailleurs, la volonté, pourtant louable, de dynamiser le texte conduit régulièrement les acteurs et actrices à dramatiser les dialogues à l’excès. Or, les vociférations et les pleurs viennent brouiller la capacité des spectateur·trices à comprendre la réflexion des personnages. Ce ballottage mental illustre, sans doute mieux encore que le livre, les émotions qu’a connues l’empereur dans les moments-clés de sa vie, mais il engendre fatalement une légère frustration à qui voudrait comprendre plutôt que ressentir.
Indubitablement mélancolique, l’Hadrien de Pétrement surprend surtout par son attitude un peu brutale et dédaigneuse de tyran éclairé. Promoteur de la paix, de la culture et de la modernisation de l’empire, il avait fait l’objet de la fronde du sénat et avait acquis la réputation d’un souverain fort peu démocrate, mais riche de sagesse et de culture. La performance de Pétrement, qui joue un Hadrien irascible mais volontiers philosophe, se justifie même si elle reste paradoxale. Pourquoi s’entourer de jeunes gens brillants si c’est pour les faire taire par la force ou l’autorité ?
Malgré ces quelques objections, il convient de saluer le travail courageux d’adaptation. Si le spectacle exige simplement une relecture du texte, alors la sentence est douce.
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