INTERVIEW – L’inusable Rocky Balboa tient son premier grand rôle dans une série où il incarne un mafieux qui veut faire sa loi chez les cow-boys. Sylvester Stallone raconte son envie de toujours revenir, ses souvenirs d’enfant face à la télé et son apparition dans « Kojak ».
C’est dans un hôtel qui surplombe Central Park que nous rencontrons Sylvester Stallone, le 8 novembre, pour un tête-à-tête, à la veille du tapis rouge pour l’avant-première mondiale de sa première série télé, Tulsa King (sur Paramount+ en 2023). La légende du cinéma semble surprise que nous ayons fait le déplacement depuis Paris quand les interviews par visioconférence deviennent la norme. Celui qui se relance à 76 ans n’a pourtant rien perdu de son charisme ni de sa stature. Malgré sa crinière grisonnante, on lui donne dix ans de moins. C’est vêtu d’un simple sweat noir, et d’une montre en or au poignet, que l’éternel Rocky Balboa se révèle tour à tour généreux, drôle et touchant pour défendre son nouveau projet. Quitte à montrer encore les poings !
Le créateur et producteur de la série, Taylor Sheridan, a commencé comme acteur avant d’écrire et de réaliser. Vous vous identifiez à un tel parcours ?
Ça rappelle quelqu’un, n’est-ce pas ? Sheridan en a eu assez d’être cantonné à certains types de rôles. Moi je jouais toujours les méchants voyous : j’ai tabassé Woody Allen [dans Bananas (1973)], j’ai tabassé Jack Lemmon [dans The Prisoner of Second Avenue (1975)], j’ai tabassé David Carradine [dans La Course à la mort de l’an 2000 (1975)]… Un jour, je me suis dit que ça ne me menait nulle part. J’ai donc écrit Rocky, un personnage qui ressemble à un dur [il tape dans ses poings] mais qui, à l’intérieur, est très doux. Taylor a fait la même chose. En revanche, nous n’avons pas la même façon de voir les choses : sa série Yellowstone est très sérieuse, mais moi je ne pense pas que l’existence le soit. J’essaie toujours de trouver une sorte d’humour bizarre dans cette folie qu’on appelle la vie.
Quand on a reçu des coups et qu’on est au sol, on a parfois envie de tout lâcher, mais il y a toujours quelque chose à l’intérieur qui nous en empêche
Vous aviez déjà eu d’autres projets de séries qui n’ont pas vu le jour ces dernières années, dont Omerta, d’après un roman de Mario Puzo, l’auteur du Parrain…
Tulsa King est née de là. Le producteur David Glasser était le même, mais ça ne s’est pas fait. L’idée est restée dans un coin de sa tête et il en a parlé à Taylor Sheridan. Son imagination a fait le reste. Le scénariste principal de Tulsa King est en fait Terence Winter, qui a travaillé sur Les Soprano… Au départ, le personnage s’appelait « Sal », le diminutif de Salvatore, mais Terence l’a rebaptisé « Dwight », comme Dwight Eisenhower ! Je me suis dit qu’aucun Italien au monde ne s’appelait Dwight, mais lui voulait imposer un ton très différent. À partir du cinquième ou du sixième épisode, j’ai commencé à écrire avec lui. Et ça a fonctionné car je sais ce qui est bien pour moi : ce que je peux dire, ce que je suis capable de prononcer, ou avec quels mots j’ai le plus de problèmes. [Rires.] C’était du sur-mesure !
À la fin du premier épisode, votre personnage dit : « Je suis peut-être à terre, mais je ne suis pas encore K.-O. » Vous avez une affection particulière pour les personnages qu’on sous-estime ?
C’est le credo de toute ma vie. Quand on a reçu des coups et qu’on est au sol, on a parfois envie de tout lâcher, mais il y a toujours quelque chose à l’intérieur qui nous en empêche. Et on arrive à revenir, alors qu’on ne s’en croyait pas capable. C’est ce qui m’est arrivé dans les années 1999-2000 : j’étais fini, mon agent s’était débarrassé de moi, mon manager aussi. Personne ne voulait plus faire de films Rocky, le téléphone avait cessé de sonner. Là, je me suis dit : « Je suis à terre, mais je suis toujours capable d’écrire ! » [Il tape dans son poing.] Alors j’ai imaginé un nouveau scénario pour revenir [Rocky Balboa (2006), le sixième film de la saga, dont il sera aussi le réalisateur]. Donc oui, je comprends très bien cette philosophie.
En parlant de philosophie, votre personnage dans Tulsa King a beaucoup lu en prison : on peut voir tous ses bouquins dans sa cellule…
J’aurais aimé qu’on en voie encore plus car Dwight a tout dévoré, de Machiavel à L’Art de la guerre de Sun Tzu, en passant par Marc Aurèle. Il est devenu très cultivé, mais voilà : on m’a dit qu’il y avait trop de citations. [Il soupire.] Il n’empêche que je trouve ça génial, alors, dans la prochaine saison, il lancera des phrases de Platon, Aristote, tout le monde ! [Rires.]
À la fin du premier épisode, il y a cette autre scène où la femme avec qui il vient de faire l’amour est horrifiée d’apprendre qu’il a 75 ans. Comment avez-vous réagi en lisant ça dans le scénario ?
À ce moment-là, mon personnage a quasiment honte. Quand il est parti en prison, c’était un homme viril [il prend une grosse voix], un vrai mafieux ! Et maintenant il n’est plus rien. Et cette femme, c’est sa dernière goutte d’eau. Donc j’ai dit au réalisateur : « S’il te plaît, dans cette longue scène, je veux rester planté là en pyjama. On comprend qu’il est vraiment vulnérable, il a perdu sa libido, il n’a plus de pouvoir, plus de famille… Et donc on commence à s’attacher à lui. » Mais c’était difficile à tourner pour moi car c’était presque autobiographique [sa femme a vingt-deux ans de moins que lui] !
Tout le système du cinéma indépendant est mort, et ce sont les plateformes de streaming qui offrent désormais les opportunités les plus intéressantes
Avant Tulsa King, vous n’aviez fait que très peu de télévision, mais juste avant Rocky, vous avez joué dans un épisode de Kojak. Quel souvenir en gardez-vous ?
Vous voulez que je vous raconte une histoire ? [Rires.] Donc je décroche le rôle dans Kojak et je dois apprendre un long monologue. Mais avant de tourner, on me fait mariner trois jours dans une loge-caravane, en pleine chaleur. Je me suis dit : « Tu sais quoi ? C’est un manque de respect ! » Alors je suis rentré chez moi ! Le studio m’appelle [il crie] : « Mais où t’es passé ? » Et moi : « Je suis rentré chez moi, on ne me faisait rien faire, c’est un manque de respect. » Et eux : « Un manque de respect ? Mais tu es qui ? Tu n’es rien ! On te paie pour être là, alors tu reviens. » Je suis revenu et un type de la production me hurle : « Tu ne travailleras plus jamais pour le studio Universal ! Tu te mets là, tu dis ton texte et tu t’en vas ! » J’y vais, et voilà Kojak qui me demande, dans la scène : « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Je commence à réciter mon texte : « Le type est monté à l’étage mais ce n’était pas mon intention de lui tirer dessus parce que… » Et là, il lance : « Tais-toi, tu es un mauvais flic ! » Telly Savalas quitte le plateau et va s’allumer une cigarette. Je me tourne vers le réalisateur : « Attendez une minute, j’avais ce long monologue… » Et lui : « Plus maintenant, c’est lui la vedette. » J’ai appris qu’il m’avait interrompu juste parce qu’il voulait rentrer chez lui plus tôt ! J’imagine qu’il avait un rencard… C’est là que j’ai compris que la télévision était brutale. Et je n’y ai plus mis les pieds pendant quarante ans.
Aujourd’hui, Kevin Costner joue dans Yellowstone, Harrison Ford sera très bientôt dans la série dérivée 1923, et même votre ami Arnold Schwarzenegger prépare un projet pour Netflix… Qu’est-ce qui a changé ?
Tout le système du cinéma indépendant est mort, et ce sont les plateformes de streaming qui offrent désormais les opportunités les plus intéressantes. Voilà pourquoi c’est là que vont aujourd’hui les grands réalisateurs et les meilleurs acteurs. Je me suis dit qu’il fallait prendre le train en marche. Ou bien rester sur le quai et disparaître… Donc j’ai décidé que si on me proposait quelque chose en plein milieu de la nuit, par exemple jouer un gangster, je dirais oui ! Et me voilà. Et maintenant Schwarzenegger fait la même chose… Quand est-ce qu’il va me lâcher, celui-là ? [Rires.] Quand vous étiez petit, aviez-vous des héros à la télé ?
Il y avait beaucoup de séries western à l’époque. J’aimais beaucoup ce genre de personnages mythiques : je regardais Cheyenne [1955-1963], Colt.45 [1957-1960], Steve McQueen dans Au nom de la loi [1959-1961], Richard Boone qui jouait Paladin dans Have Gun – Will Travel [1957-1963]. C’était très masculin à l’époque, avec beaucoup de mâles alpha. Il n’y avait aucune série pour les femmes, rien que des cow-boys ! [Rires.]Je voudrais réaliser celui qui lancera la deuxième saison. C’est important pour donner le ton et le look
Aujourd’hui, que regardez-vous ?
Je fais mon marché sur les plateformes de streaming. J’ai l’impression de faire mes devoirs en essayant de comprendre ce qui fonctionne ou pas, qui sont les bons cameramen…
Aimeriez-vous passer derrière la caméra le temps d’un épisode de la série ?
Oui, je voudrais réaliser celui qui lancera la deuxième saison. C’est important pour donner le ton et le look. Je pense qu’on pourrait faire quelques changements en ce qui concerne les objectifs et la dynamique globale. Aujourd’hui, beaucoup de séries utilisent des plans très larges, moi je voudrais que ce soit plus comme ça [il cadre son visage en gros plan avec ses mains en grognant], bang ! Un peu comme dans un film de Tony Scott [feu le réalisateur d’USS Alabama et Ennemi d’État].
Le JDD est un journal français, alors je voulais vous poser une question sur l’un de vos précédents rôles de mafioso…
Ah oui, vous allez me parler de L’embrouille est dans le sac ! [Il rigole.] Ce film, on n’aurait pas dû le faire comme ça : il aurait fallu rester plus proche de la version française, Oscar avec Louis de Funès, et ne pas choisir de rendre le personnage plus gentil. J’adore l’original, il était fantastique.
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