Trouvons les bons remèdes pour soigner notre économie, mais auparavant essayons d’établir les bons diagnostics. Et à ce jour, nous n’avons pas vu un débat public médiatisé pour dire les vérités toutes crues sur la débâcle économique de la Tunisie depuis 2011.
Experts économiques ou observateurs avisés en discutent, enfonçant, tour à tour, des portes d’ores et déjà ouvertes puisque toute personne avisée connaît le pourquoi, le comment et est suffisamment édifiée sur les tenants et les aboutissants de la régression de l’économie nationale pendant la décennie noire.
Douze ans après le fameux soulèvement du 14 janvier, le bilan n’est guère réjouissant. Une vérité de La Palice tant c’est évident.
Examinons d’abord ces 8 indicateurs établis par Fayçal Derbel (expert-comptable et universitaire) qui ont été déterminants dans la destruction du tissu économique national et le recul de ses fondamentaux : déficit budgétaire, volume des dettes, taux d’endettement, effectifs dans la fonction publique, rémunération de la fonction publique, inflation, chômage et RNDP/hab.
En 2010, le déficit budgétaire était de 1%. Les dettes publiques s’élevaient à 25,512 milliards, le taux d’endettement était de 38,8%, le nombre de fonctionnaires de 435.487, les rémunérations publiques de 6,876 milliards et le taux de chômage de 13%.
L’inflation pour sa part était de 4,4%, le RNDP (Revenu national disponible par habitant) de 4.210 dollars, soit près de 13.500 dinars par an, et pour finir, les notations souveraines de la Tunisie étaient un Baaa2 selon Moody’s, BBB PS (perspectives stables) par Fitch et A-PS par R&I.
2022, la chute vertigineuse : un déficit budgétaire de plus de 7%, des dettes publiques de 114,142 milliards de dinars, un taux d’endettement de 82,6%, augmentation du nombre de fonctionnaires à 654.922, hausse des rémunérations publiques à 21,573 milliards de dinars, un taux de chômage de 15,3%, un taux d’inflation au mois de septembre de 9,1% et le RNDB/Habitant établi à 3.300 dollars, soit près de 10.600 dinars.
Quant aux notations, c’est la grande catastrophe avec un grading de Caaa1 par Moody’s, un CCC par Fitch et un B+ par R&I.
En 12 ans, l’économie nationale a considérablement reculé. Essayons de cerner les responsabilités des gouvernements respectifs dans le désastre tunisien (2011/2014 la Troïka ; 2015/2019 BCE ; 2019/2022 Kaïs Saïed).
Quatre présidents de la République, plus de 11 gouvernements, des centaines de ministres et des milliers de cadres ont chacun une part de responsabilité dans la décennie noire économique de la Tunisie.
Et pire que tout, après le 14 janvier 2011, le pays a été privé de plusieurs de ses compétences dans tous les domaines pour les remplacer par des partisans et ceux qui ont prêté allégeance aux personnes sacrifiant les intérêts supérieurs du pays.
On en voit les conséquences sur la gestion des affaires de l’Etat! Les compétences sont rares dans les postes clés !
Le plus mauvais élève : la Troïka
Indépendamment parlant de la qualité de la gestion de l’économie nationale pendant ces 12 dernières années, il faut reconnaître que le plus mauvais élève a été la Troïka, c’est à cause de son incompétence que les plus grands coups ont été portés à l’économie.
Entre 2011 et 2014, 5 indicateurs économiques ont reçu des coups fatals. L’augmentation des effectifs dans la fonction publics à hauteur de plus de 38.000 recrutements par an et ce qui s’en suit pour les amnistiés comme dédommagements, reconstitution de carrières et nomination d’incompétences dans des postes administratifs importants.
Pour rappel, la Troïka a trouvé plus de 5 milliards de dinars de réserves à la BCT destinés aux générations futures. Qu’en a-t-elle fait ? Personne ne le sait ou encore personne ne veut le dire.
Sa mauvaise gestion de la chose économique a accru les taux d’inflation, a été à l’origine du recul des notations, a augmenté la rémunération dans la fonction publique, a alourdi les charges de l’Etat, a surchargé l’administration publique et n’a pas amélioré les scores de l’emploi.
L’ère Béji Caïd Essebsi, qui a hérité d’une situation économique peu reluisante mais qui a également joui d’un capital confiance important de la part d’une population qui voyait en le président nouvellement élu un sauveur n’a pas été prospère. L’international pensait aussi que BCE pouvait rétablir les équilibres financiers de l’Etat et renouer avec la croissance économique, mais après Habib Essid, c’est Youssef Chahed qui a été choisi et a passé la plus longue période à La Kasbah. Il n’a pas sauvé l’économie.
Durant le règne de BCE et indépendamment parlant de la gestion calamiteuse de Youssef Chahed, des événements dramatiques ont porté un coup fatal à l’économie nationale. Nous pouvons citer les attentats terroristes de Sousse et du musée du Bardo qui ont réduit à néant tous les espoirs pour une saison touristique réussie et effrayé les investisseurs. La croissance a reculé et le RNDB a baissé.
BCE qui était apprécié à l’international pour sa grande culture et sa maîtrise des enjeux géopolitiques, mais n’a pas, lui-même, été de main morte avec l’économie nationale signant avec la Turquie, le fossoyeur des économies des pays «amis» (la Syrie en est le parfait exemple), 4 accords dont un de coopération et de formation militaire. Les « Erdoganiens » soutenus par leurs amis islamistes ont usé de tous les moyens pour occuper le terrain économique usant du dumping et inondant le marché national de marchandises à bas prix.
Résultat des courses : des usines de cuir et chaussures transformées en dépôts, la faillite de grandes menuiseries et de fabricants d’ustensiles de cuisine sans parler des produits agricoles ou autres produits importés de Turquie qui ont remplacé ceux fabriqués en Tunisie.
Outre le déficit de la balance commerciale qui s’est creusé d’année en année, le déficit budgétaire le plus important a été relevé entre 2020 et 2022 avec +1,27% par an. En 2019, il était de 3,3%, 9,7% en 2020, 7,4% en 2021 et 9,1% en 2022.
Que certains observateurs expliquent la réduction du déficit budgétaire de 2019 par un jeu de compte et la prévalence de la réduction du déficit sur le financement de l’économie ne justifie nullement que l’on en arrive à un déficit aussi important.
L’accord avec le FMI n’était pas une mince affaire !
L’ère Saïed qui a hérité d’une économie fragile a eu à souffrir de l’avènement de la pandémie Covid-19. Elyes Fakhfakh, chef de gouvernement choisi par le président et ratifié par le Parlement, n’a même pas eu le temps de déployer son plan de relance qu’une affaire de conflit d’intérêt a éclaté le poussant à la démission.
Un autre gouvernement arrive (celui de Mechichi) avec des ministres sans programmes, et sans stratégie plus soucieux de garder leurs places et de régler leurs comptes personnels que de trouver des solutions immédiates aux problèmes structurels de l’économie nationale, ce qui a encore compliqué la situation économique du pays.
Les discours tendus et menaçants du président de la République généralisant et mettant systématiquement les compétences et investisseurs dans le sac des corrompus notoires n’ont pas facilité le rétablissement de la confiance entre créateurs de richesses, administration publique et décideurs politiques. C’est comme si Kaïs Saïed s’était inspiré de la première moitié de la célèbre citation de Winston Churchill « Le vice inhérent au capitalisme consiste en une répartition inégale des richesses », oubliant le danger de la deuxième moitié : « La vertu inhérente au socialisme consiste en une égale répartition de la misère ».
Le déficit budgétaire conjugué au taux d’endettement qui a accusé une hausse de 9,3 milliards par an atteignant les 83% du PIB alors qu’il était de 7,7 milliards de dinars entre 2015 et 2019. Ceci dans un climat des affaires délétère à souhait, n’encourageant pas la création de nouveaux projets et dans un contexte de rareté des sources de financements. C’est de cela qu’a hérité le gouvernement Bouden.
Aucun plan de relance, aucune mesure de réforme et des caisses vides. Les banques finançant plus le budget de l’Etat et rechignant à financer l’économie. Pour ne citer qu’un exemple, au mois de mai 2022, le gouvernement a conclu une convention de financement d’un montant de 81,5 millions d’euros et de 25 millions de dollars américains avec un groupe de banques pour le financement du budget.
Aujourd’hui, alors que le FMI a validé avec la Tunisie la lettre d’intention ouvrant les portes pour des accords de financements bilatéraux, le gouvernement Bouden aurait à déployer au plus tôt son programme de réformes et son plan de relance de l’économie nationale.
Sur fonds de malaises sociaux grandissants, une communication franche constructive et claire est plus que nécessaire ; elle est vitale pour la Tunisie tout comme l’adhésion du peuple qui doit être éclairé sur l’importance des enjeux au programme de sauvetage de l’économie nationale. Une refonte des lois et des législations pour un cadre réglementaire souple et attractif pour l’initiative privée est indispensable pour libérer les énergies et redonner la confiance.
Aujourd’hui, il faut passer de la décadence à la délivrance !
Et pour citer une fois encore Winston Churchill, il est peut-être temps pour qu’en Tunisie on arrête de considérer le chef d’entreprise comme un homme à abattre, ou une vache à traire et qu’on voit en lui le cheval qui tire le char.
Amel Belhadj Ali
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