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Des achats au management stratégique des ressources externes – The Conversation

Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)
Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Les achats ont longtemps été considérés comme un « mal nécessaire » au sein des entreprises. Il y a tout juste un siècle, Henri Fayol, l’un des pères fondateurs du management, présentait les achats comme une « sous-fonction » de la fonction commerciale, qui consistait alors, selon lui, à acheter (un peu) et à vendre (surtout). Même le visionnaire Michael Porter présentait, il n’y a pas si longtemps, les achats comme un simple « fonction support » dans sa fameuse « chaîne de valeur » (1986). Devant les évolutions en cours de la fonction, il fut aussi le premier, il y a quelques années, à revenir sur cette vision et à la reconsidérer comme une fonction stratégique.
Durant les « Trente Glorieuses », la plupart des entreprises évoluent dans une économie de production. Cette dernière se caractérise par le fait que les produits fabriqués trouvent très facilement preneurs. À une production de masse se trouve associée une consommation de masse qui permet aux entreprises de « faire le prix » : les coûts sont souvent considérés comme des données, auxquelles il s’agit d’ajouter une marge confortable pour obtenir un prix de vente qui saura satisfaire de nombreux consommateurs.
Au-delà des chocs pétroliers, la véritable rupture, dans les années 1970, marquant la fin des « Trente Glorieuses », réside dans le passage d’une demande de premier équipement à une demande de renouvellement. Ceci concerne de nombreux produits. En parallèle, la concurrence se développe, devenant véritablement internationale. Les prix baissent et, surtout, ils s’imposent aux entreprises qui doivent s’y adapter si elles veulent continuer à vendre. La seule manière de restaurer les marges dans un contexte de baisse des prix de vente consiste alors à réduire les coûts. C’est le temps de l’externalisation, qui trouve dans la volonté de baisser les coûts sa principale explication.
Il n’est pas étonnant, dès lors, que les achats soient vus comme étant de plus en plus importants, représentant le principal levier de réduction des coûts. Historiquement, c’est donc bien ce potentiel qui fut à l’origine de la reconnaissance du caractère stratégique des achats. Aujourd’hui, ne considérer que cet aspect, certes important, reviendrait à oublier le rôle, pourtant essentiel, des achats dans la sécurisation des approvisionnements, mais aussi dans la création de valeur et la constitution d’un avantage concurrentiel durable.
« Un monde de ressources rares ». L’expression est empruntée à Erik Orsenna (2007), qui décrit bien, dans le livre éponyme, les problèmes que ne va pas manquer de poser la raréfaction de toute une série de ressources essentielles aux activités économiques, mais aussi à la survie des populations (lorsque l’on pense à l’eau par exemple). Relire la théorie de la dépendance des ressources (Pfeffer et Salancik, 1976) ou les approches fondées sur les compétences clés (Hamel et Prahalad, 1990) et les capacités dynamiques (Teece, 1997), s’avère particulièrement éclairant pour la compréhension des missions actuelles et à venir de la fonction achats. Ces théories partagent un postulat essentiel : ce sont les ressources dont on dispose, et la capacité à les faire évoluer qui sont qui doivent constituer la base de la stratégie et la source des succès à venir.
La rareté des ressources va contribuer à faire peser sur les entreprises de nouveaux et nombreux risques. À l’heure où la sécurisation des approvisionnements devient une mission essentielle pour les acheteurs, la relation avec les fournisseurs revêt un caractère des plus cruciaux. Ce sont en effet ces derniers qui détiennent approximativement les trois quarts des ressources dont a besoin l’entreprise (puisque les achats représentent désormais les trois quarts du chiffre d’affaires pour de très nombreuses entreprises).
Au-delà de cette vision défensive, qui illustre à merveille la théorie de la dépendance des ressources, une vision plus ambitieuse complète le rôle nouveau confié aux achats. Elle repose sur les approches fondées sur les ressources développées dans les années 1990. Les achats ont acquis, au fil du temps, un rôle clé dans le développement et la défense des avantages concurrentiels des entreprises. Il s’agit, dès lors, de gommer la distinction traditionnelle entre ressources internes et externes (après tout, toutes les ressources sont nécessaires), qui fonde le raisonnement en « entreprise étendue ».
Il convient, à tout le moins, de développer un véritable management stratégique des ressources externes, c’est-à-dire des fournisseurs et de leurs compétences distinctives, puisque la performance de l’entreprise à court, comme à plus long terme, lui est intrinsèquement liée. Rares sont en effet aujourd’hui les entreprises qui demeurent capables d’innover seules. Plus que d’innovation, il est désormais question de co-innovation et de co-développement, processus qui intègre systématiquement la contribution décisive des fournisseurs.
Une idée demeure tenace : un acheteur arrivera toujours à trouver des fournisseurs. Elle est pourtant de moins en moins vraie. Sur de nombreux marchés, le pouvoir a changé de main. Pour autant, les acheteurs demeurent souvent en position de force. Mais travailler avec les meilleurs fournisseurs, ceux qui sont capables de donner un réel avantage concurrentiel à leur client, n’est pas toujours facile. Voilà le nouvel enjeu : donner envie aux meilleurs fournisseurs de travailler avec notre entreprise. Le développement actuel du marketing achats témoigne de la volonté de mieux en mieux comprise et partagée de devenir le client préféré de ses fournisseurs. Il s’agit là d’une évolution majeure du point de vue du développement de relations plus équilibrées et génératrices de valeur entre les entreprises et leurs fournisseurs.
Les recherches et premières tentatives actuelles sur la comptabilisation des actifs intangibles ou immatériels, au premier rang desquels figurent les fournisseurs et les relations fournisseurs, à l’origine de la notion de « capital fournisseur », témoignent de la pertinence de la démarche.
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