Fabricant de maille Bugis, près de Troyes, le 9 décembre. (Raphael Helle/Signatures pour Libération)
Le premier col hors catégorie de la crise énergétique a été franchi par la France sans trop d’encombres. Les vacances de Noël étant une période moins énergivore que le reste de l’hiver – les guirlandes consomment moins qu’une usine ou des bureaux fermés –, le prochain pic n’interviendra qu’en début d’année prochaine.
Le spectre des coupures de courant a été évité grâce à une réduction de la consommation d’énergie d’environ 10 %, pour le gaz comme l’électricité. Un recul qui touche «toutes les catégories de consommateurs, résidentiels, tertiaires et industriels, [et] reflète un changement de comportement des consommateurs», a affirmé mercredi le patron de GRTgaz. Les multiples appels lancés par le gouvernement à la «sobriété» semblent donc avoir été entendus par les Français, qui privilégient le col roulé au chauffage. Une bonne chose pour leur facture en période d’inflation, ainsi que pour la planète. Mais la tendance est plus inquiétante du côté de l’industrie, où de nombreuses entreprises s’inquiètent de ne pas pouvoir payer leurs factures, au risque de fermer boutique. Spécialiste de l’énergie chez Colombus Consulting, Nicolas Goldberg analyse pour Libération les premières données de cette crise énergétique.
Que vous inspirent les baisses de consommation d’électricité et de gaz ?
Une partie de ces chiffres n’est pas une surprise. On observe un ralentissement qui est notamment dû à la consommation de l’industrie, et c’est un effet qui ne peut pas être qualifié de «sobriété». Surtout, ces chiffres traduisent une destruction de la demande énergétique de ce secteur. Donc c’est difficile de s’en réjouir.
Ce qui est neuf pour la consommation de gaz, en revanche, concerne la demande dans les secteurs résidentiel et tertiaire, portée par le chauffage. On voit désormais une baisse prononcée, comparée à des températures équivalentes lors des années précédentes, donc il s’agit là d’une forme de sobriété et de consignes qui sont en partie respectées.
Existe-t-il des différences entre l’évolution de la consommation d’électricité et celle du gaz ces derniers mois ?
On observe un effet assez similaire. La demande en gaz dans l’industrie ressemble à celle de l’électricité dans ce secteur. Ce qui est en revanche différent, c’est sur la question des prix. Le bouclier tarifaire et la quantité disponible d’Arenh [qui permet à des entreprises, notamment très consommatrices, d’obtenir une énergie à tarif régulé et bien moins onéreux, ndlr] permettent de mieux amortir les prix que les aides fournies pour le gaz.
Le premier pic de consommation de cet automne est passé. Quelles premières conclusions peut-on tirer de ces premières données ?
Je m’attendais à ce qu’on ait moins de marge. Mais les interconnexions énergétiques européennes ont très bien fonctionné et la baisse de la demande également. Côté nucléaire, après un début d’automne marqué notamment par des grèves, le planning des redémarrages de réacteurs a été plutôt respecté.
Pour les prévisions de janvier, je suis un peu plus optimiste qu’il y a quelques mois : on pourrait désormais ne pas avoir de coupures d’électricité ce mois-là. Mais il faut continuer de bien communiquer afin de confirmer ce scénario dans lequel l’hiver se passe bien en France en termes d’énergie.
Quels sont vos motifs d’inquiétude, à court et moyen terme ?
Tout d’abord, les prix, car si des tarifs élevés entraînent une baisse presque mécanique de la demande, ça se fait au détriment de la production industrielle et donc des emplois. Ensuite, il faudra voir où les stocks de gaz en seront au sortir de l’hiver. S’ils sont remplis à 30 % ou 40 %, ils devraient pouvoir être de nouveau remplis d’ici l’hiver 2023-2024. En dessous de 15 % en revanche, cela sera plus compliqué.
Et sur l’électricité, il ne faut pas oublier que la production dans les centrales nucléaires prévue cette année pour 2023 est aussi faible que celle prévue en 2021 pour 2022. Il faut donc rester très vigilant, pour cet hiver comme pour le prochain.
© Libé 2022
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