C’est un phénomène entêtant, que l’on a tous (ou presque) déjà expérimenté : un air qui trotte dans la tête, que l’on répète en boucle et dont on a du mal à se débarrasser. On appelle cela un ver d’oreille. Comment et pourquoi survient-il ? Explications avec un chercheur en neurosciences cognitives.
Il suffit parfois d’un rien pour avoir l’impression qu’un disque rayé s’est emparé de votre cerveau. Un mot, une émotion, un souvenir, une chanson que vous venez d’écouter dans les transports ou que vous avez entendue en faisant vos courses. Et voilà un petit air qui tourne en boucle dans votre tête. C’est parti pour durer un bon moment. Voire une journée entière !
Ce phénomène porte un nom : le ver d’oreille. Il est très courant et intrigue les scientifiques. Nicolas Farrugia est un spécialiste de la question. Le chercheur en neurosciences cognitives à l’IMT Atlantique de Brest s’est très vite intéressé aux effets de la musique sur le cerveau. Lui-même est musicien, issu d’une famille de musiciens et a en permanence de la musique dans la tête.
Quand nous entamons la discussion sur le sujet, nous opérons un petit test. “Si je vous dis ‘banc public’ ?” me demande-t-il. Forcément, depuis, je n’ai pas cessé de fredonner mentalement le refrain de la chanson de Brassens !
“L’association d’idées est l’un des déclencheurs du ver d’oreille, explique le chercheur brestois. L’écoute récente d’un morceau en est une autre. Tout le monde n’y est pas sensible de la même manière. Des études commencent à montrer que le ver d’oreille est lié à des traits de personnalité. Par exemple, si on pratique la musique, si on écoute beaucoup de musique, on aura plus de vers d’oreille”.
Tempo rapide, morceaux à la construction simple, rupture dans la mélodie sont autant d’éléments qui font que telle ou telle chanson est plus facile à retenir et pirate le cerveau. “Dans les chansons les plus citées, indique Nicolas Farrugia, on retrouve des tubes évidemment, des pubs télé et parfois des morceaux qui n’existent même pas”.
“Bad Romance” de Lady Gaga figure dans la liste, tout comme “YMCA” de Village People, “Happy” de Pharell Williams, sans parler du “Libérééééeee, délivréééééeee” qui en a hanté plus d’un.
Que le cerveau choisisse de transformer quelques notes de musique en ver obsédant, incontrôlable et répétitif est une chose. S’en débarrasser en est une autre.
Déjà, se boucher les oreilles ne sert à rien. Plus sérieusement, le chercheur en neurosciences cognitives donne quelques pistes. “Chanter le morceau jusqu’au bout peut aider, le remplacer par une autre chanson aussi. Il y a un truc plus surprenant qui fonctionne : boire un verre à la paille car cela engage la fonction articulatoire des muscles de la bouche qui est reliée au système auditif”. En gros, cela permet de dévier l’attention du cerveau.
Discuter semble une bonne solution également. “La preuve, sourit Nicolas Farrugia, pendant que je vous parle, je n’ai plus de musique dans la tête”.
Il paraît que mâcher du chewing-gum donne aussi des résultats ! Si aucune de ces alternatives ne vous libère d’un refrain qui s’entête à vous pourrir votre journée – surtout si ce n’est pas le genre de musique que vous écoutez habituellement, il ne vous reste plus qu’à prendre votre mal en patience. Ou à refiler le ver d’oreille à votre voisin en le chantant à tue-tête.
(Article précédemment publié le 16 septembre 2022)