« Le ‘jugaad’, c’est comme le pain perdu : on crée quelque chose de bon avec peu », résume Abhinav Agarwal lors d’une présentation à l’occasion du Lean Start-Up Day à l’ESCP Europe, en février 2018. Abhinav est consultant au Jugaad Lab, un « laboratoire en innovation frugale » qu’il a créé en janvier 2017.
Le « jugaad » consiste à résoudre un problème avec des ressources limitées. « L’innovateur frugal commence avec une problématique, par laquelle il est souvent concerné, et trouve une idée audacieuse pour la régler », explique Abhinav Agarwal. La start-up Go Energyless a appliqué ce principe en inventant un frigo qui fonctionne sans électricité, à base d’argile et de sable. Fresh It’ est ainsi né de la débrouillardise de trois ingénieurs marocains.
Aujourd’hui, Abhinav Agarwal montre comment appliquer en France ce mode de pensée venu des pays émergents. « Vous avez dix minutes pour changer le monde avec cet objet », lance le consultant, avant de tendre à l’audience des bouteilles en plastique vides.
Le public, constitué essentiellement de startuppeurs et d’entrepreneurs, se divise en équipes de deux ou trois personnes. Dix minutes plus tard, l’innovation surgit : un purificateur d’eau formé de deux morceaux de bouteille et d’un film plastique a vu le jour. Un augmentateur et diffuseur de lumière est également né : il suffit de placer une source de lumière sous la bouteille remplie d’eau.
« L’entrepreneur devient aveugle. Il doit réfléchir à utiliser l’objet autrement que pour sa fonction initiale », explique Abhinav Agarwal. Selon lui, les start-up fonctionnent à l’envers en cherchant à financer leurs idées : « Le système français de business angels et de subventions rend les start-up dépendantes. Avant de lever des fonds, il faut réfléchir à ce que l’on peut créer avec les ressources existantes », assure-t-il.
S’inspirant du « jugaad », la start-up française Be-bound a développé une technologie pour se c onnecter aux applications mobiles de son smartphone en 2G. Grâce à un algorithme, elle compresse les data pour réduire le trafic généré par les applications, qui deviennent ainsi plus légères. Ainsi, l’utilisateur ne paie pas de frais d’itinérance lors de ses déplacements à l’étranger. Mais la jeune pousse s’attaque surtout à la fracture numérique : la connectivité devient accessible à tous, le réseau 2G étant le plus répandu dans le monde. « Une connectivité constante et abordable devrait être un droit fondamental », revendique Be-bound sur son site.
David Le Rebours, cofondateur de l’Ecole démocratique de Paris, s’est inspiré du « jugaad » pour créer cette école où les enfants décident de leur programme scolaire. L’entrepreneur a économisé des frais d’agence en dénichant sur Le Bon Coin un local de 285 m2 dans le 19e arrondissement de Paris. Puis il a écumé les vide-greniers pour le meubler. « Des dons nous parviennent également, comme cette entreprise qui allait jeter douze ordinateurs en état de marche », se souvient David Le Rebours, qui assure avoir dépensé 1.200 euros pour agencer l’école. « Mais ne vous y trompez pas, le lieu est beau et bien meublé : l’innovation frugale ne consiste pas à faire du low-cost, mais à atteindre son niveau de prestation avec des moyens détournés », explique-t-il.
Et l’efficacité n’en pâtit pas, au contraire, assure David Le Rebours : « L’avantage du ‘jugaad’, c’est la rapidité. Au lieu de perdre du temps à essayer de convaincre des banques ou des investisseurs, nous avons fait jouer notre réseau et les réseaux sociaux pour lever 55.000 euros en love money. Au lieu de s’arrêter, car il n’a pas les moyens de son ambition, l’innovateur frugal se fait confiance et se lance. » L’Ecole démocratique de Paris ouvre ainsi ses portes en septembre 2016, quatre mois après le début du projet. Elle accueille aujourd’hui 50 élèves.
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