Le projet s'installera dans une partie non utilisée du Château de Fontainebleau (Photo d'archive).
afp.com/PIERRE VERDY
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Sur le papier, le projet d’International Arts Campus (IAC) paraît éminemment séduisant : permettre à des milliers d’étudiants venus du monde entier d’exercer et de perfectionner leur art (danse, design, cinéma…) dans un cadre extraordinaire, des bâtiments historiques situés dans le parc du château de Fontainebleau (Seine-et-Marne), en bordure de la forêt. Avec, en outre, la satisfaction de sauver une partie du patrimoine français qui a un besoin urgent de travaux, que ni l’Etat, ni le Domaine n’ont les moyens de payer. Mais le 13 octobre, la Cour des comptes a rendu public un avis très critique sur le projet et suscité bien des doutes.
Dans ce document de quatre pages, le constat est d’une rare sévérité. Il y a eu “défaut d’accompagnement de l’Etablissement public par son ministère de tutelle” ; “le projet souffre d’une instruction insuffisante qui laisse planer des doutes sur sa viabilité”. Enfin, de “nombreuses zones d’ombre (..) n’étaient pas levées au moment où l’Etablissement et sa tutelle ont décidé d’entrer en négociation exclusive avec le consortium IAC : opacité de l’actionnariat de ce consortium, fragilité du plan d’affaires reposant sur des accords avec trois universités dont deux chinoises, (…), complexité du mode de financement”. La conclusion, sous la forme d’une “recommandation unique”, est sans appel : “Au regard des évolutions intervenues depuis 2020, procéder à une expertise approfondie de la viabilité du projet”.
Du côté des dirigeants de la société IAC, on dit ne pas comprendre le rapport de la Cour des comptes. Par la voix de Marc-Antoine Cesetti, son président, on pointe deux erreurs factuelles dans l’avis – dont une sur la nationalité des établissements partenaires – et on s’affiche déterminé à poursuivre. On se dit aussi “très attentifs” aux rumeurs qui circulent et à ceux qui les colportent, sans vouloir en dire plus. Du côté du ministère de la Culture, on se montre beaucoup plus prudent. Dans sa réponse à la Cour – obligatoire dans ce genre de procédure –, Rima Abdul Malak précise que “concernant le modèle d’IAC dont la Cour interroge l’actionnariat et le plan d’affaires, je confirme la grande vigilance de mes services et de l’établissement public à ces questions.” La ministre ajoute, à propos de la “robustesse” du modèle économique : “Celle-ci fait encore l’objet de réserves de la part du ministère et de l’établissement”. Les porteurs du projet veulent n’y voir qu’une prudence normale de l’Etat. Pourtant, à y regarder de plus près, leur “campus cluster international d’art” interroge sur bien des aspects.
Pour comprendre, il faut revenir à l’origine. Nous sommes en 2014. Un grand plan de rénovation et de relance du château de Fontainebleau est imaginé. Il s’agit d’accroître considérablement le nombre de visiteurs et de remettre en état la demeure royale. Mais le domaine public inclut aussi le “quartier des héronnières”, les anciennes écuries royales datant de Louis XV, classées aux monuments historiques depuis 2008. Laissés à l’abandon depuis de nombreuses années, ces 11 bâtiments n’ont pas été intégrés au projet initial, le château n’en ayant ni l’usage, ni les moyens de leur réhabilitation ou de leur entretien. Décision est prise de rechercher un partenaire privé. Pour faciliter l’opération – à l’époque, la remise en état est estimée à trente millions d’euros – on décide d’y adjoindre un terrain adjacent, le Clos des ébats. L’avantage ? Cette parcelle n’est pas classée et peut faire l’objet d’une opération immobilière.
Un premier appel à idées est lancé, suivi d’un appel à projets en bonne et due forme. On évoque de l’hôtellerie de luxe sur le modèle des paradors en Espagne, on parle culture, enseignement, social, activités sportives en lien avec la forêt. En mai 2019, quatre candidats formalisent une offre. Beaucoup sont des poids lourds de l’immobilier ou du tourisme. En octobre 2020, le ministère de la Culture annonce, par la voix de Roselyne Bachelot, que le projet de la SAS International Art Campus (IAC) est retenu. Dans le quartier historique des Héronnières, la société veut installer son campus. Sur l’autre partie, le Clos des ébats, elle prévoit la construction de 800 logements étudiants. Elle estime l’investissement à 87 millions d’euros et espère à terme accueillir 10 000 étudiants par an pour des durées variables, dont 3000 simultanément dans les locaux.
Maquette du projet avec, à gauche, les bâtiments historiques et, à droite, les résidences étudiantes et leurs toits végétalisés.
Axonométrie/International Arts Campus
Très vite, le projet intrigue. Car si un architecte belge connu – Francis Metzger – et un promoteur immobilier ayant pignon sur rue apparaissent dans le consortium qui défend le projet, les actionnaires de la société n’ont jamais été associés à des opérations de cette ampleur. Marc-Antoine Cesetti se présente comme un lobbyiste bruxellois. Le directeur d’IAC est Donald Potard, fondateur et ancien président du groupe Jean-Paul Gaultier, les autres actionnaires travaillent dans la “publicité, les relations publiques ou l’édition” ou le “conseil en urbanisme et stratégie”… Quant à Philippe Douste-Blazy, l’ancien ministre de la Culture et des Affaires étrangères, il a été contacté via un ami par l’équipe en quête de personnalités pour crédibiliser son projet. Il figure dans la vidéo de présentation. Mais joint par l’Express, il reconnaît n’avoir plus jamais été sollicité en dehors de cette vidéo et d’une unique rencontre avec les élus locaux en décembre 2020.
Or, compte tenu de l’ambition des fondateurs, devenir un “cluster” équivalent “à Saclay ou à la Silicon Valley” (dixit Marc-Antoine Cesetti) en attirant entre 15 et 20 écoles internationales sur le campus, il est nécessaire d’avoir de solides réseaux et une image forte. Pour l’instant, seuls trois établissements apparaissent officiellement : le Collège de Paris, un groupe d’écoles privées, la World University of Design en Inde, créée en 2018, et le Beijing contemporary arts and media Education group. D’autres auraient donné leur accord, mais on ne sait pas lesquels. Confidentiel. Et pour combien d’étudiants ? Confidentiel, encore, tout juste avance-t-on que les contingents pourront être variables en fonction de la notoriété de l’école. Autre mystère, l’offre proposée. Il ne s’agit pas de formations reconnues par le ministère de l’Enseignement supérieur. Elles pourront d’ailleurs être de durée variable. Là, encore, difficile d’obtenir plus de précisions. “On n’est pas une autre école d’art. On est dans un écosystème créatif pour que les étudiants puissent travailler ensemble. Notre rôle, c’est d’accueillir les écoles, de créer les synergies et de faire de l’événementiel”, explique Marc-Antoine Cesetti.
De la réponse à toutes ces questions dépend pourtant l’équilibre économique du projet. Sur les 87 millions d’euros d’investissement nécessaires, 40% proviendront des droits versés par le promoteur immobilier et des avances payées par les écoles et 60% d’un prêt sur 15 ans fourni par un pool bancaire. L’essentiel dépend donc de la capacité à attirer des écoles et des étudiants en nombre suffisant pour assurer les frais de fonctionnement du lieu et rembourser l’emprunt. Et ce alors que l’Etat a revu à la hausse la redevance qu’il demande pour le bail. Fixée à 100 000 euros par an pendant cinq ans, puis à 120 000 euros pendant les 65 années suivantes, elle sera finalement de 150 000 euros à terme après une nouvelle évaluation des Domaines. Lorsqu’on lui demande les prévisions de chiffre d’affaires, Marc-Antoine Cesetti dit ne plus s’en souvenir, promet de revenir avec la réponse, sans donner suite.
Un manque de transparence qui a fini par semer le doute chez certains élus locaux. En particulier, chez Frédéric Valletoux, maire de Fontainebleau jusqu’en 2022, désormais député (Horizons) de Seine-et-Marne. “Au départ, je trouvais ça bien. Puis j’ai eu des doutes sur le montage et je n’ai jamais eu d’éclaircissements”, regrette-t-il. N’y a-t-il pas derrière la volonté de récupérer des terrains vacants à proximité pour accroître l’opération immobilière et rendre très rentable le montage ? “Je m’étonne qu’un projet de cette envergure soit mené dans un tel secret, complète Julien Gondard, qui a pris la succession de Frédéric Valletoux à l’hôtel de ville. Il devrait faire l’objet de réunions régulières et de transparence.” Chez les défenseurs du projet, on ne veut voir dans ces critiques que de simples querelles politiques locales, notamment avec la communauté d’agglomération qui, elle, se dit prête à parler transports, logements et urbanisme dès la signature du projet. Le récent rapport de la Cour des comptes est pourtant venu donner un poids supplémentaire aux interrogations.
Selon Marc-Antoine Cesetti, les contrats et conventions pourraient être signés dans les prochaines semaines, d’ici à la fin de 2022. Il faut dire qu’il y a urgence. Dans un courrier adressé à un élu local en juin 2021, le ministère de la Culture indiquait que le campus devait impérativement ouvrir ses portes “en janvier 2025” pour préserver son équilibre économique. Dans le compte rendu de l’assemblée générale extraordinaire de IAC daté d’avril 2021, il est aussi mentionné que “la Société doit faire face à de multiples factures et qu’en conséquence, en attendant les paiements du contrat avec Pitch Promotion, qui devrait intervenir à l’été 2022, il est indispensable de réaliser une augmentation du capital”. A l’époque, la signature du contrat était prévue en juillet 2021.
Du côté du ministère de la Culture, on ne confirme aucun calendrier. Dans sa réponse à la Cour des comptes, Rima Abdul Malak indique qu'”aucun engagement ferme et contractuel n’a été pris avec le lauréat pressenti”. Mais rue de Valois, on sait aussi que si le projet capote, il faudra se mettre en quête d’un nouvel investisseur prêt à s’attaquer à ce vaste chantier. Ou financer la rénovation des Héronnières sans en avoir les moyens. De quel côté penchera la balance ?
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