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Elle est consultante éditoriale. Son objectif ? Aider cinéastes, écrivains et publicitaires à inclure la sobriété dans leurs créations. Elle décrypte son métier.
Madame Figaro. – Le mot « sobriété » est sur toutes les lèvres cet automne. Comment le définiriez-vous ?
Yasmina Auburtin. – Je dirais que c’est un fil rouge, un mode de vie à la fois respectueux des limites planétaires et des humains, d’une harmonie sociale. Quand on l’évoque, on pense d’abord à ce qu’il nous enlève, alors que faire le choix de la sobriété, c’est au contraire aller vers une vie de nouvelles abondances qui ne sont pas matérielles mais source de bonheur infini. On découvre d’autres richesses, des relations plus profondes et très belles, y compris avec nos compagnons de lutte. Une énergie humaine. Une nouvelle manière de faire lien. On réapprend la coopération.
Même d’un point de vue économique, si l’on suit le plan de transformation du Shift Project (le think tank de Jean-Marc Jancovici qui souhaite « redéfinir l’économie pour réaliser la transition carbone », NDLR), on voit bien que la sobriété peut créer beaucoup d’emplois – comme les nouveaux métiers de l’énergie ou dans la rénovation thermique des bâtiments. Elle doit même en créer autant qu’elle en supprime, c’est le but. Épouser un mode de vie plus sobre, c’est remplacer le moins par le mieux.
Votre métier consiste à « créer de nouveaux imaginaires en tentant de changer les récits ». Expliquez-vous…
L’idée, c’est de démoder l’«american way of life» qu’on nous vend depuis les années 1950, ce modèle basé sur le toujours plus – de biens, de compétition, de performance. Et de le faire en s’appuyant sur ceux qui ont une parole influente : les journalistes, publicitaires, écrivains, scénaristes, cinéastes… Bref, tous les professionnels des industries créatives (ceux que l’on appelle les «leaders culturels»). Nous essayons de les aider à ouvrir leurs créations et par là même, la société, à d’autres possibles, en les documentant sur toutes les initiatives qui, à travers le monde, proposent un nouveau mode de vie, et en leur montrant que celui-ci peut être tout aussi plaisant, attrayant. Car oui, c’est possible !
Mais comme nos imaginaires étaient jusqu’ici englués dans le pétrole, on ne pouvait pas le voir. Pour les nourrir, nous apportons deux ingrédients : la connaissance et les belles histoires – ces exemples réels d’initiatives heureuses et positives qui se développent partout face aux crises. Nous mettons toutes ces informations au service de l’inspiration pour faire évoluer les mentalités, et aussi pour rendre l’écologie plus sexy et présente dans nos quotidiens. J’insiste sur cette idée d’écologie accessible, joyeuse et populaire. Tout le monde ne peut pas lire un rapport du Giec !
Justement, quel public visez-vous ?
Tous – c’est l’idée. Nous avons travaillé avec les Éditions Glénat, avec la série Plus belle la vie sur France 3 (2 millions de téléspectateurs quotidiens), avec le secteur de la musique. Pour changer une culture, changer le regard que l’on porte sur la consommation, la sobriété, il faut aller là où il y a du plaisir. Là où nos fibres émotionnelles sont le plus en alerte.
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Vous évoquez, pour qualifier votre action, le terme de « pédagogie clandestine » : intervenez-vous dans l’écriture ou la relecture des scénarios, par exemple, en prise directe avec la matière créative ?
Bien sûr ! C’est notre troisième façon d’intervenir : nous vérifions dans les scénarios sur lesquels nous travaillons ce qui est compatible ou pas avec les limites planétaires, et essayons de faire passer des messages l’air de rien, par les décors, la façon de vivre des personnages, ce qu’ils mangent, comment ils se déplacent, s’habillent.
Par exemple, nous faisons en sorte qu’un personnage aille d’un point à l’autre à vélo plutôt qu’en voiture, qu’il déjeune dans un restaurant végétarien, qu’au lieu d’offrir un bouquet de fleurs à son amoureuse pour la Saint-Valentin, il lui offre des fleurs, mais sur l’imprimé d’une jupe vintage achetée dans une friperie – des fleurs qui durent !
La créativité a un pouvoir immense. Ne l’oublions jamais.
Vous vous définissez aussi comme une « connectrice » ?
Oui. Je peux connecter tout un tas d’univers qui ne se connaissent pas et ont besoin les uns des autres – je pense à un label de musique à impact qui va se lancer en novembre. Nous créons des synergies, des partenariats avec des chaînes de télévision mais aussi des ONG de terrain, l’Académie du climat…
Mon métier, c’est donc également d’amplifier les projets en les mettant au contact les uns des autres. Nous travaillons aussi avec les médias sociaux et les influenceurs. Pour la première vidéo créée par Imagine 2050 (société de conseil et de production audiovisielle, fondée en 2018 par Magali Payen, NDLR), et intitulée « Nous y voilà, nous y sommes », sur l’urgence de la révolution environnementale, on entendait la voix de Charlotte Gainsbourg sur un texte de l’écrivaine Fred Vargas, qui utilisait des codes de narration très jeunes.
Travaillez-vous aussi en amont avec les créatifs lors d’ateliers ?
Oui, nous leur proposons des outils qui les embarquent en 2030 : nous partons du principe que nous avons réussi, que l’on a transitionné, plus personne ne prend l’avion, etc. Les pensées limitantes tombent. On remonte alors le temps, on demande aux créatifs qu’est-ce qui a bien pu nous mener là ? On déroule la frise chronologique avec eux : qu’a-t-on inventé ? Quel ministre a eu cette idée géniale en 2024 ? Comment l’Île-de-France s’est-elle recomposée en biorégions ?
On les abreuve de données, d’initiatives locales qui fonctionnent, de solutions documentées, de rapports prospectifs… Généralement, ils sont à fond. Une fois que vous avez fait « shifter » un créatif, il ne racontera plus jamais une histoire comme avant. Le tout est de le convaincre.
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Comment vous y prenez-vous ?
J’ai des petites phrases, des expressions qui font mouche, que je glisse dans la conversation comme «la sobriété aurait besoin d’une bonne agence de com» ou «il y a le carbone futile, et le carbone utile» (en référence aux personnes qui se déplacent pour apporter des soins dans les lieux d’habitation isolés, NDLR).
Par exemple, quand nous travaillons avec une agence de pub, nous les accompagnons dans leur rapport à leurs clients. On peut leur demander quel sera l’usage des véhicules automobiles dans un monde soutenable? Quelle mobilité, quelle utilité serviront-ils ? Et les encourager à mettre en scène d’ores et déjà ce qu’ils imaginent. Parfois, on intervient pour « dégraisser » ce qui peut l’être. Si les publicitaires doivent continuer à promouvoir des 4 × 4, au moins, que dans le film qu’ils tourneront personne ne fasse de barbecue… En réalité, tout ce qui peut provoquer un début d’inversion du récit m’intéresse.
Comment mesurez-vous l’impact réel de ces interventions ?
Nous travaillons à une grille de mesure d’impact qui mêle la mesure quantitative (ce qui change effectivement dans les images) et qualitatives (ce que l’on appelle la performance des récits). J’ai identifié pour cela 70 items, incluant également la diversité, l’inclusivité, dans l’idée de construire un algorithme qui puisse servir à tous les supports créatifs. Mais ce qui compte le plus, pour qu’on parvienne au changement, c’est que les créatifs intègrent dans leur esprit les moments possibles de bifurcation.
C’est-à-dire ?
Que par exemple, comme je l’évoquais à propos de nos ateliers, ils adoptent avant d’écrire ce postulat créatif : oui, nous aurons atteint les objectifs du changement en 2030. Si on veut un monde durable, il faut d’abord qu’on l’imagine. C’est ce qu’a fait Jules Verne, il a inventé un monde avant qu’il n’existe. Je pense également à cet ouvrage de Nancy Huston, L’Espèce fabulatrice. La créativité a un pouvoir immense. Ne l’oublions jamais.
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Yasmina Auburtin : «Mon métier ? Rendre l’écologie plus sexy»
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