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Où commencent les violences psychologiques dans le couple ? Comment les repérer ? Annie Ferrand, psychologue spécialiste des violences sexistes, répond à nos questions.
Un homme a-t-il le droit d’être un « connard » ? Mardi 25 octobre, une enquête de « Reporterre » ciblait Julien Bayou. Dans un long article, ses ex-copines et conquêtes reviennent, dans le détail, sur les comportements qu’aurait eu le député Europe-Ecologie Les Verts (EELV) : tromperies, mensonges, « ghosting »… L’une des sources interrogée explique par exemple avoir fait des tentatives de suicide après une rutpure particulièrement douloureuse. Une autre revient sur une fausse couche et le manque de délicatesse de son partenaire : « J’avais peur qu’il m’en veuille, et surtout qu’il minimise ma souffrance, comme il le faisait à chaque fois. Alors j’ai géré toute seule, convaincue que ce serait moins violent que s’il me refusait son aide. »
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Depuis, sur les réseaux sociaux et dans les médias, c’est l’emballement. Certain.e.s estiment que les comportements dénoncés, aussi odieux et « toxiques » soient-ils, ne sont pas une raison au renvoi de Julien Bayou d’EELV. D’autres jugent que « le privé est politique » : « Il ne s’agit pas de simples histoires de ruptures malheureuses. Cela révèle les mécanismes de domination à l’œuvre dans de nombreux couples », justifie notamment Laury-Anne Cholez, autrice de l’article. D’un point de vue légal, ces violences sont extrêmement difficiles à prouver – et à punir – en dehors des cas de harcèlement. Mais où commencent les violences psychologiques dans le couple ? Comment les repérer ? Nous revenons sur ces questions avec Annie Ferrand, psychologue spécialiste des violences faites aux femmes.
ELLE. Quelles formes peuvent prendre des violences psychologiques dans le couple ?
Annie Ferrand. Les violences psychologiques vont du harcèlement aux actes de torture dite « blanche », qui s’apparentent à ce que l’on peut voir dans les prisons politiques : interrogatoires qui durent des heures, privation de sommeil, de nourriture, violences sur autrui devant la personne (par exemple, sur l’enfant devant la personne interdite de bouger), mise en place de contraintes absolues et intenables (par exemple, avoir dix minutes pour faire les courses avec très peu d’argent)… Il y a également les violences économiques, le chantage à outrance, la culpabilisation. C’est beaucoup plus courant qu’on ne le pense, il y a énormément de femmes torturées dans leur couple. Les violences psychologiques sont très souvent liées à d’autres formes de violences : elles sont le début et le but ultime de toute forme de violence.
ELLE. Et dans les relations dites « libres » ?
Annie Ferrand. Quand une victime parle de violences psychologiques, on va demander des exemples pour savoir à quel moment elle s’est sentie humiliée. Les violences psychologiques peuvent avoir lieu quand il y a une asymétrie dans la relation : dans une relation parent/enfant, employé/employeur, ou, dans le couple, la domination patriarcale de l’homme sur la femme. Pour ce qui est des hommes que l’on appelle « coureurs de jupons », on est dans un rapport de prédation. Ces hommes considèrent les femmes comme interchangeables, faisant partie d’un tableau de chasse, qui correspond à une pratique sociale de conquête de la femme. Donc oui, il y a un impact et/ou des violences psychologiques dans ce genre de relations. Quand elles sont suivies, elles peuvent être le terreau de quelque chose de destructeur – et d’autres formes de violences.
ELLE. Sont-elles présentes dès la rencontre avec le conjoint ?
Annie Ferrand. Ça dépend. Il peut y avoir de très fortes prémices, dans le cadre d’une relation basée sur l’emprise. Par exemple, lors d’un premier rendez-vous, un homme qui devient très rapidement tactile, qui transgresse les codes sociaux de distance lors d’une rencontre, qui fait énormément de plaisanteries ou d’allusions à caractère sexuel… Ce sont des façons de tester la pudeur de l’autre et ses réactions. Après, selon le style du potentiel agresseur – son niveau social, s’il est lettré, sadique… – il a plus ou moins des capacités de masquage qui vont rendre difficile pour les victimes de repérer les signaux d’alerte.
ELLE. Quelles en sont les conséquences pour les victimes ?
Annie Ferrand. La victime perd capacité de perception, de décision, de volonté, d’action, de sensation, d’intuition. Elle s’isole et se renferme, ce qui permet au bourreau d’asseoir son autorité et d’aller dans d’autres formes de violence. Au quotidien, la victime se retrouve dans des doutes permanents, elle peut avoir des difficultés à contrôler ses émotions.
ELLE. Mais, dans le cadre de relations amoureuses ou de séduction, n’y a-t-il pas à chaque fois une part de manipulation ? Comment différencier cela de véritables violences ?
Annie Ferrand. Là encore, tout dépend de s’il y a vraiment une asymétrie. On peut faire languir quelqu’un sans le jeter dans des affres de questionnements, ou dégrader son estime de lui-même. Malheureusement pour les femmes, la société nous apprend à accepter ça – l’attente, les changements d’avis, les comportements « toxiques » – alors qu’un homme sera souvent davantage en colère s’il à affaire à ce genre de comportements venant d’une femme.
ELLE. On parle facilement de « pervers narcissique » dans le cadre de violences psychologiques dans une relation amoureuse. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est ?
Annie Ferrand. Un pervers narcissique, au sens clinique du terme, c’est quelqu’un qui va prendre plaisir à infliger une torture mentale à sa ou ses victimes. C’est l’une des formes les plus gravissimes d’atteinte psychologique à personne. Mais ils ne sont pas « malades » : ils sont au contraire très adaptés, ils savent très bien ce qu’ils font. Le problème, c’est que notre société valorise un certain nombre de traits qui leur sont propres : l’écrasement de l’autre, la survalorisation de soi. Un pervers narcissique, c’est une personne extrêmement autocentrée et complètement inadaptée à la vie de couple ou de famille – non, une personne que l’on qualifie comme telle ne changera pas en trouvant « la bonne personne ». Ils portent en eux une volonté de destruction qui n’a pratiquement aucune limite, puisque la souffrance de l’autre n’est pas une limite. C’est très bien que l’on parle de cette notion dans le débat public puisqu’elle permet de voir les violences intrafamiliales sous un autre prisme que les coups physiques. Mais on l’emploie souvent de manière excessive. C’est beaucoup plus courant d’être en couple avec un égocentrique ou un égoïste, qui vit sa vie comme un célibataire et qui n’est pas dans la logique « don / contre-don » qui organise les liens humains. Ça peut être aussi extrêmement destructeur.
ELLE. Comment faire reconnaître des violences psychologiques ? Comment les reconnaître déjà soi-même ?
Annie Ferrand. Ces violences peuvent être perçues dans les dynamiques du couple. Ça arrive d’être en conflit, mais dans une relation saine, le but n’est pas de dominer l’autre : c’est d’arriver à un compromis. Quand le conflit prend le dessus sur le reste, il faut s’interroger : a-t-on toujours en tête que l’on peut se séparer de la personne sans risque ? Quand il y a des violences psychologiques, la séparation est inconcevable pour la victime, qui est isolée et totalement dépendante à l’autre. Et puis il y a deux mécanismes objectifs dans les violences conjugales de ce type : est-on dans une « spirale » des violences, avec des cycles dans la manière de se comporter du conjoint ? Avec, par exemple, une semaine qui se passe bien, une autre où le conjoint « boude », avant d’exploser – puis de tout faire pour se faire pardonner (la « lune de miel ») ? Si ce genre de motif devient récurrent, il faut s’alerter.
Il faut également regarder en face le facteur intentionnel, en arrêtant de toujours justifier les comportements de l’autre : « il est maladroit », « il ne sait pas exprimer ses émotions », « au fond, il est gentil, il m’aime »… Dissimuler qui il est vraiment fait partie des stratégies de l’agresseur. L’enjeu, c’est de partir avant qu’il ne soit trop tard. Parce que ces violences psychologiques agissent comme un paralysant mental : si l’on est à 40%, on peut encore bouger, demander de l’aide. À 60%, c’est beaucoup plus compliqué.
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