Ils ont le vent en poupe. Les vins sans sulfites ajoutés, dont la production demeurait encore confidentielle il y a une dizaine d’années, disposent désormais de labels (vin méthode nature ou Sains, pour « Sans aucun intrant ni sulfite ») ainsi que de nombreux fidèles. Illustration de leur ascendance, les scientifiques girondins se penchent notamment sur leurs caractéristiques aromatiques.
Dans la banlieue bordelaise, à l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV), quelques travaux sont bien réalisés depuis plusieurs années. Mais depuis 2017, on approfondit. Deux étudiants ont lancé une première vague de thèses sur le sujet puis deux autres en 2022. Non sans quelques remous. Lors d’une conférence à Montpellier en avril dernier, un postdoctorant de l’ISVV présentait ainsi les premiers résultats de ses travaux, recensant dans son étude trois-quarts de vins bordelais 2018 sans sulfites ajoutés jugés défectueux (1). Un chiffre qui a fait bondir ses plus ardents défenseurs.
Ces types de vins seraient-ils majoritairement déviants ? Avec le temps, l’expérience des viticulteurs et leur plus grand nombre à se lancer, il semble que ce soit de moins en moins le cas. Surtout, le « sans sulfites » développe des qualités organoleptiques bien à part. Selon le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), dans un cahier technique datant de fin 2021, « les travaux de l’Université de Bordeaux montrent que l’expression aromatique des vins rouges de Bordeaux sans sulfites ajoutés est caractérisée par une fraîcheur et un fruité plus marqué ». Des « caractères appréciés des consommateurs », note l’interprofession.
Le professeur girondin Jean-Christophe Barbe, spécialiste du dioxyde de soufre et de l’arôme des vins rouges, confirme : « Quand c’est bien réalisé, on parvient à obtenir des vins avec une plus belle fraîcheur », notamment des arômes mentholés ou de cassis frais. Le goût fruité des cuvées sans sulfites se distingue aussi selon lui : « Nous observons une quantité plus importante de certaines molécules le favorisant et une teneur plus faible de composés carbonylés qui contribuent d’ordinaire à le masquer, comme celui correspondant à l’arôme de beurre notamment. Il y a enfin des effets sur la couleur, relève le scientifique. Les vins présentent une robe plus profonde, plus intense. »
Sur les prestigieuses appellations Margaux et Haut-Médoc, Michel Theron produit des vins en biodynamie et sans sulfites ajoutés dont la modeste production contraste avec la solide réputation. Le vigneron, pour qui la clé de l’aromatique réside essentiellement dans la vie des sols, résume sa pensée : « Il n’y a jamais rien de mieux que la nature pour faire du vin. » Il fut un conventionnel sans jamais avoir été « un gros sulfiteur » : ces dernières années, il a réduit l’utilisation du dioxyde de soufre à la portion congrue.
Selon le viticulteur qui célébrera cette année son trentième millésime, « il y a un rebattage des cartes dans toutes les régions. On voit des vins sans grande étiquette qui deviennent stars, parce qu’ils procurent des émotions, parce qu’ils font s’exprimer le terroir. » Grâce notamment au sans sulfites ajoutés, lui observe un virage aromatique net ces dernières années. « C’est dingue l’évolution par rapport aux années précédentes, estime-t-il, en évoquant les millésimes 2019, 2020 et 2021. Plus on avance, plus cela gagne en floralité. » Sur ses parcelles de Margaux à Arsac, il note particulièrement des arômes de violette, de sureau et de réglisse de plus en plus affirmés.
Mais le sans sulfites ajoutés a aussi ses inconvénients, nombreux encore. « L’amélioration des connaissances et des pratiques tend à réduire leur fréquence mais les vins sans sulfites restent plus sensibles » à certains types d’altération, note le CIVB, pouvant mener au développement de brettanomyces (odeurs animales) ou du « goût de souris ».
Et puis, ils ne se prêtent pas au vieillissement. « Pour les vins dédiés à la garde longue, l’absence de sulfites peut avoir un impact considérable, avec des notes de curry et de noix », explique Jean-Christophe Barbe qui ajoute : « Une certitude, ils développeront des notes oxydatives au bout de quelques années. Aujourd’hui, la notion d’un bon vieux grand vin est indissociable du soufre ajouté. Le grand amateur est-il prêt à aller vers quelque chose de différent ? » s’interroge le scientifique. Après tout, des vins oxydatifs comme le xérès ou certains du Jura sont reconnus et sirotés dans le monde entier.
(1) Sur une cinquantaine de vins rouges bordelais 2018, 75 % des vins sans SO2 ajouté ont été jugés comme à défauts avec une majorité de vins oxydés, 25 % avec des notes liées aux brettanomyces, et 14 % aux goûts de souris.
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