It’s a match. Le gouvernement et les LR sont en passe de trouver un accord sur la réforme des retraites, que la première ministre, Elisabeth Borne, va présenter ce mardi 10 janvier. Un point essentiel pour l’exécutif. Du fait de la majorité relative à l’Assemblée, les macronistes ont besoin notamment des voix LR pour espérer faire adopter la réforme sans 49.3, même si la possible obstruction de LFI pourrait compliquer les débats.
Dans un entretien au JDD, le nouveau président des LR, Eric Ciotti s’est dit en effet prêt à « voter une réforme juste » des retraites. « La situation budgétaire, démographique et économique impose cette réforme » et « je souhaite donc pouvoir voter une réforme juste qui sauve notre système de retraite par répartition », avance Eric Ciotti, qui a demandé à la première ministre « d’atténuer la brutalité de la réforme ». Le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, a salué dimanche « la responsabilité » du patron des LR.
Comme pressenti depuis plusieurs jours, la réforme devrait reporter l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, avec un relèvement de l’âge à 63 ans en 2027, puis 64 ans en 2032. Exit dans ces conditions un report à 65 ans, engagement de campagne d’Emmanuel Macron. Le gouvernement devrait ajouter l’accélération de la réforme Touraine, qui porte à 43 ans la durée de cotisation nécessaire pour une retraite à taux plein. Soit la formule que défendent les sénateurs de la droite et du centre depuis quelques années. « C’est la martingale du Sénat », sourit un sénateur.
Pour parvenir à ses fins, Elisabeth Borne a pris le temps de recevoir puis d’échanger avec les caciques de la droite. « Les LR ont été bichonnés », glisse un élu. Dans ce jeu parlementaire, le gouvernement s’est appuyé sur le Sénat, à majorité de droite et du centre. Après son appel téléphonique avec la locataire de Matignon jeudi dernier, le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, a bien senti que la première ministre était prête à faire sienne la version sénatoriale de la réforme. « Le point d’atterrissage sera la position sénatoriale du départ à 64 ans », affirmait Bruno Retailleau à publicsenat.fr, soit un report à « 64 ans et l’accélération de la réforme Touraine ». Concernant la retraite minimale à 1200 euros, le sénateur demande, comme Eric Ciotti dans le JDD, qu’elle soit appliquée aussi à « ceux déjà à la retraite ». Bruno Retailleau demande par ailleurs la « création d’une pension de réversion pour les enfants handicapés ». Le patron des sénateurs LR insiste aussi sur « les retraites des mères de famille qui ont travaillé à temps partiel, et qui ont des carrières hachées ». « Si le gouvernement reprend notre réforme, je ne vois pas d’argument qui pourrait nous pousser à voter contre », ajoutait Bruno Retailleau.
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Si le soutien des sénateurs LR ne semblait pas le plus difficile, les choses s’annonçaient plus complexes du côté de l’Assemblée, où les députés LR ont tenu jusqu’ici des positions pour le moins variées : soutien à la réforme, report à 63 ans, comme leur président de groupe Olivier Marleix, mesure sur la durée de cotisation seule, comme Aurélien Pradié, voire rejet, pour le député Raphaël Schellenberger. Mais face à cette diversité, Eric Ciotti se montre confiant : « Je m’efforce de faire en sorte, notamment avec Olivier Marleix, Bruno Retailleau et Aurélien Pradié, que la position de notre famille politique soit, bien entendu, unique et responsable. Je n’ai aucun doute sur le fait que ce sera le cas ».
Dans cette recherche de majorité, la première ministre a su utiliser son expérience de négociation au ministère du Travail. « La bonne idée d’Elisabeth Borne, c’est quand même d’avoir traité avec Eric Ciotti », confie un parlementaire, qui apprécie que le gouvernement ait cette fois réellement mis en pratique sa volonté – largement annoncée depuis les législatives – de discuter avec l’opposition de droite pour trouver une majorité :
Pour une fois, ils ont fait de la politique, ils ont cherché le compromis. Et pour ça, il faut accepter de faire des pas.
La présence d’Eric Ciotti, qui entretient volontiers une image droitière et farouchement opposé à Emmanuel Macron, a peut-être facilité les choses. Certains le voient capable de « deal » avec le gouvernement, plus qu’on ne le croit. « On sera étonné de sa capacité à négocier », pense un observateur…
La version de la réforme qui devrait être retenue, issue donc du Sénat, est elle-même le fruit d’un compromis. « Les LR étaient pour une mesure d’âge seule d’abord. Et les centristes pour la durée de cotisation. Jean-Marie Vanlerenberghe (toujours sénateur Modem ancien rapporteur du budget de la Sécu, ndlr) était très hostile à la mesure d’âge. C’est de ça qu’est né le compromis. On a donc fait un mixte, un compromis à la centriste », raconte un élu de la Haute assemblée.
Si la droite sénatoriale souligne à qui veut l’entendre sa constance sur le sujet, le fameux amendement sénatorial qui repousse, depuis plusieurs années, l’âge de départ – avant que les députés ne reviennent dessus à chaque fois – a en réalité un peu évolué, au cours des années. En novembre 2018, les sénateurs LR proposaient d’abord de repousser l’âge de départ de 62 à 63 ans, et non 64 ans. En 2019, les sénateurs veulent cette fois repousser l’âge à 64 ans. Mais en 2020, en pleine crise du covid, la majorité sénatoriale fixe à nouveau le report à 63 ans. Puis, en 2021, retour aux 64 ans, tout comme lors du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale, en novembre 2022, avec de nouveau 64 ans.
Reste qu’aujourd’hui, les sénateurs ne boudent pas leur plaisir. « Cela veut dire que le gouvernement suit nos propositions. Il a mis du temps, car ça fait 5 ans qu’il les refuse. Tant mieux, si le gouvernement se rallie à cette proposition, car c’est une bonne position », apprécie le sénateur LR René-Paul Savary, auteur de l’amendement déposé chaque année. Il ajoute :
Ça montre bien que les travaux du Sénat sont pertinents.
Plus véhément, son collègue Jérôme Bascher s’« étonne que le gouvernement ait encore refusé notre amendement lors du dernier PLFSS. Il suffisait de l’accepter ». « Il ne faut pas nous dire pendant 4 ans qu’on est des imbéciles, nous mépriser, et ensuite tomber sur nos positions », ajoute le sénateur LR de l’Oise.
« On n’est pas dupes », ajoute Jérôme Bascher, « le gouvernement nous caresse d’un côté, et de l’autre, il n’en a strictement rien à faire. Lors du dernier budget, on nous a utilisés. Et à un moment, ça peut chauffer. Mais pas sur ce sujet-là », où les LR assumeront d’être constructifs. Pour les LR, il aurait été difficile de se renier, entre les votes passés au Sénat ou la proposition de leur candidate, Valérie Pécresse, qui défendait les 65 ans.
Si macronistes et LR s’entendent sur la ligne générale, à la veille de la présentation de la réforme, chacun attend encore de voir les détails. Le gouvernement pourrait ne pas attendre les débats au Parlement, mais les mettre dans le texte, dès le départ. Les questions de la pénibilité, des carrières longues, des séniors, des petites retraites, des régimes spéciaux, seront regardées de près. « Tout cela doit être affiné. C’est vraiment là où on verra s’il y a une certaine justice », souligne René-Paul Savary, attaché aussi, concernant le rythme de la réforme, à ce que « le décalage de l’âge et l’accélération de la réforme Touraine se fassent parallèlement ». Sur la retraite minimale, le sénateur LR de la Marne défend « un rattrapage progressif » pour les retraités actuels. Attaché à l’équilibre financier d’ensemble de la réforme, il compte sur « l’étude d’impact ». Sur les retraites, chaque ligne du texte comptera.