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Les États-Unis ont annoncé vendredi 2 septembre la vente pour 1,1 milliard de dollars d’armes à la République de Chine, c’est-à-dire à Taïwan. La République populaire de Chine, qui considère l’île comme une partie de son territoire, a immédiatement demandé à Washington de renoncer. Pourquoi un tel engagement des États-Unis ? Pour quels risques d’escalade ? Entretien avec le politologue et sinologue Stéphane Corcuff, spécialiste du détroit de Taïwan.
RFI : La Chine a exigé l’annulation du contrat d’armement conclu entre les États-Unis et Taïwan vendredi 2 septembre. Que faut-il tirer comme conclusion de ces nouvelles ventes d’armes à Taipei, qui suscitent l’ire de Pékin ?
Stéphane Corcuff : Cela confirme une tendance que l’on voit depuis la toute fin de la période Trump, et qui est confirmée par la présidence Biden. Les Américains ne s’embarrassent plus des précautions diplomatiques qui étaient induites auparavant par leur politique d’« une seule Chine ». Ils décident de rendre des visites plus officielles à Taïwan et de prendre en main, de manière plus claire, la question militaire, dans la mesure où la Chine est en train d’augmenter sa pression militaire dans le détroit de Taïwan.
Cette vente d’arme confirme clairement le positionnement des États-Unis dans le cadre, inchangé, d’une politique d’une seule Chine. Les États-Unis ne s’apprêtent pas à reconnaître la République de Chine à Taïwan. Mais dans ce cadre-là, ils se saisissent de la question militaire, qui pourrait, si une guerre devait se déclencher, conduire à une guerre mondiale.
►À écouter : Taïwan : vers un prochain conflit majeur ?
La Chine dit qu’elle prendra résolument des « contre-mesures légitimes et nécessaires » au vu de la situation. Quel genre de mesures peut-on envisager ?
C’est à peu près impossible de répondre à cette question, puisqu’il s’agit avant tout d’une formule obscure, vague et systématique. La Chine, dès qu’elle se sent offensée, répond par ce genre de formulations, il n’y a pas de choses précises. Et à mon avis, il n’y aura pas grand-chose.
C’est vraiment pour dire « on tape du poing sur la table » ?
Les États-Unis sont légalement obligés de vendre des armes d’autodéfense à Taïwan, ils s’y sont engagés en 1979. La vente qui a été annoncée vendredi est précisément une vente d’armes d’autodéfense, et notamment de missiles, des moyens d’améliorer leurs capacités radar – qui sont déjà extraordinaires. Il s’agit précisément de mécanismes défensifs.
Plusieurs types de missiles vont être vendus et c’est une question essentielle, à Taïwan. Taïwan est déjà le pays du monde où la densité de missiles antimissiles par kilomètre carré est la plus haute, car la Chine braque potentiellement des milliers de missiles sur Taïwan. Il serait très difficile d’avoir un parapluie antimissile efficace à Taïwan si la Chine décidait de tirer 1 700 missiles d’un coup, mais elle ne le fera pas.
Il est essentiel pour Taïwan d’avoir dans sa défense une batterie de missiles antimissiles extrêmement développée, et c’est bien dans ce sens que va la vente de vendredi.
Pourquoi les États-Unis investissent-ils autant à Taïwan ?
Les États-Unis se sont engagés légalement à vendre des armes à Taïwan, il y a déjà longtemps, pour plusieurs raisons. La première, c’est qu’ils considèrent aujourd’hui que la Chine est non pas seulement un compétiteur stratégique, mais possiblement un ennemi, si elle décidait d’attaquer Taïwan. Les points de vue des États-Unis et de la Chine populaire sur Taïwan sont radicalement différents, même si, je le répète, les États-Unis ont accepté la politique d’une seule Chine.
Cela veut dire que les États-Unis ne nient pas la souveraineté de la République de Chine à Taïwan, mais qu’ils entretiennent des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. Mais celle-ci est irrédentiste et considère que Taïwan lui revient, même si aucun traité international ne lui permet de le dire. Les États-Unis considèrent donc que si la Chine populaire attaque la République de Chine à Taïwan, il s’agit d’une atteinte d’un État souverain par un autre État souverain.
Ensuite, Taïwan est un phare de la liberté, de la démocratie et des droits de l’Homme en Asie. En face de Taïwan, de l’autre côté du détroit, à 300 km, il y a l’un des pays les plus dictatoriaux, les plus brutaux au monde en termes de répression des droits de l’Homme. Et ça compte aux États-Unis, qu’on soit un peu isolationniste ou internationaliste, qu’on soit démocrate ou républicain… C’est une vraie constante aux États-Unis dans le débat politique, l’importance accordée aux droits de l’Homme et aux progrès de la démocratie dans le monde.
Enfin, les États-Unis, et le monde avec eux, ont un intérêt économique vital à Taïwan : la dépendance aux microprocesseurs, dont une grosse moitié sont produits par les usines taïwanaises. Si on se cantonne aux microprocesseurs de dernière génération, on est à peu près à 80-90% du marché mondial produit par Taïwan.
Donc, nous en sommes tous dépendants, les États-Unis les premiers, au point que maintenant, l’un des enjeux majeurs est de sécuriser nos accès à ces microprocesseurs et de sécuriser leur production, à la fois pour qu’elle ne soit pas dépendante de la Chine et pour que la Chine ne capte pas la technologie. Dans une vision plus radicale des choses, comme une guerre économique, l’un des enjeux peut aussi être de priver la Chine d’accès aux micropuces de dernière génération, ou de le limiter.
Quels sont les risques de cette escalade ?
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les États-Unis, quoique certains aient beaucoup de reproches à leur faire, sont un régime démocratique et libéral, et qu’on est de leur côté [la France, l’Europe, NDLR] sur un plan politique et militaire. De l’autre côté, la Chine est un régime néo-totalitaire, extrêmement violent dans sa répression des libertés et des droits de l’Homme, sur son territoire et sur ses marges : Hong Kong, le Tibet, qui n’est absolument pas chinois historiquement comme la Chine le dit, et le Xinjiang, qui ne l’est pas plus historiquement d’ailleurs.
Si cela vient à Taïwan, cela veut dire que tout cet équilibre de forces entre un monde libéral et un monde qui ne l’est pas – c’est un peu binaire, mais malheureusement cela se confirme aujourd’hui –, tomberait, et on ne peut pas se permettre de laisser tomber Taïwan.
Donc, Taïwan est un enjeu stratégique à tout point de vue. Sans même parler des questions morales ou de la réalité juridique, qui est que Taïwan n’est pas ce que la Chine dit, et qu’il s’agit d’un État souverain. La République de Chine a été fondée à Nankin en 1912, elle a précédé la République populaire de Chine et elle survit toujours.
Il est immoral de laisser Taïwan en-dehors de la société internationale. C’est aussi un enjeu sur le plan de nos intérêts fondamentaux, de progression ou de maintien, de l’univers démocratique à la surface du globe et de notre dépendance par rapport aux semi-conducteurs. Il est essentiel d’éviter une guerre qui serait, non seulement une guerre locale, mais une guerre régionale et mondiale, et qui entrainerait avec elle non seulement l’économie chinoise, mais aussi l’économie du monde.
Il faut en avoir conscience et revoir une question sur laquelle, en France particulièrement, nous avons beaucoup de guerres idéologiques héritées de la période maoïste que notre pays a traversée et qui laisse toujours des traces, en termes d’illusions fondamentales et déprimantes, sur ce qu’est la République populaire de Chine. Il s’agit d’un État militariste, totalitaire, revanchard, nationaliste, qui veut récupérer Taïwan. Il est donc irrédentiste, et menace, c’est clair, la sécurité du globe.
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