« Inspirez, Marcelle assure le relais ! »
Journaliste
Estime de soi, rapport à l’autre, santé… Beaucoup de choses se jouent lors des premières années de la vie affective et sexuelle d’une personne. Pour aider les jeunes, et en particulier les plus vulnérables, à passer au mieux ce cap, le Centre régional d’information et de promotion de la Santé sexuelle (Crips) Sud organise des temps d’échange, des dépistages et diverses formations. Mais malgré des besoins croissants, l’association souffre d’un manque chronique de moyens.
Finie l’insouciance. Nous sommes en 1981. Le grand public (re)découvre que l’on peut mourir des suites d’un rapport sexuel. L’arrivée du Sida fait naître un climat de panique. Et de violentes discriminations visant en premier lieu les hommes homosexuels. Dans le même temps, les chercheurs et militants s’activent. La connaissance est la seule arme pour combattre la maladie. Autant que les préjugés qu’elle génère.
C’est dans ce tourbillon que naissent les Centres régionaux d’information et de promotion de la santé sexuelle, ou CRIPS. En Île-de-France d’abord. Puis en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le 19 octobre 1992. « Au départ, notre Crips était un centre de ressource pour les professionnels. Un lieu permettant d’harmoniser les connaissances à une époque où l’on ne pouvait pas encore compter sur internet », explique Bruce Dos Santos, directeur du Crips Sud.
Puis l’association est habilitée à dépister le VIH. Ce qu’elle pratique toujours aujourd’hui ; 207 tests ayant été réalisés par ses équipes en 2021.
Mais si le Sida a longtemps été le cœur de l’activité de l’association, celle-ci a depuis élargi son champ d’action pour considérer la santé sexuelle selon un spectre plus large.
Car avec le temps, la santé sexuelle n’est plus seulement perçue comme l’absence de maladies. L’OMS la définit ainsi comme « un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en matière de sexualité ».
C’est dans cette idée qu’en 2001, la loi Aubry exige la tenue de 21 séances d’éducation sexuelle pour chaque élève, tout au long de ses sept années de collège et de lycée. Mais un certain nombre de jeunes en sont exclus, en particulier ceux cumulant les fragilités sociales (parce qu’ils n’ont pas une scolarité normale et suivie ?). Une injustice que le Crips entend bien rectifier.
« Nous sommes la première structure régionale, hors Éducation nationale, à avoir proposé des programmes d’éducation à la sexualité ». Pour les apprentis d’abord. Puis pour les élèves de lycées professionnels, les jeunes accompagnés par la Mission locale, sous main de justice ou, plus récemment, ceux de l’Aide sociale à l’enfance.
En fonction des besoins de chaque type de public, une ou plusieurs séances de deux heures sont proposées par les chargés de mission éducation sexuelle du Crips. Claire Denuel et Guillaume Grapeloup sont de ceux-là.
« On ne vient pas avec un thème précis », explique la première. « On a une trame avec quelques sujets à aborder comme la contraception, le consentement ou le dépistage, complète son collègue, mais il s’agit plus d’un échange à partir des choses exprimées par le groupe ». De sorte que les interventions sont très différentes en fonction du public.
« Il y a quand même quelques thématiques qui reviennent souvent comme le numérique, les réseaux sociaux, l’anatomie, le plaisir, le désir, le porno… », observent-ils. Des sujets qui suscitent bien plus l’intérêt des jeunes que les seuls enjeux de santé : « Quand on est jeune, on se sent immortel », sourit Guillaume. Et plus propices à l’échange, au cœur de ce dispositif.
Décontractée, la méthode Crips parvient assez vite à libérer la parole des jeunes. « Les encadrants en sont parfois étonnés ! Les jeunes apprécient de pouvoir s’exprimer librement, avec leurs propres mots. Pour un jeune de la PJJ par exemple, être écouté est quelque chose qui arrive assez peu », expliquent les chargés de mission.
En 2021, ce programme d’éducation à la vie affective et sexuelle a permis de sensibiliser 1934 jeunes à travers 218 actions dont 32 avec dépistage, au sein de 53 établissements de la région. Des établissements situés pour l’essentiel dans les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes.
Pour libérer la parole et mettre à l’aise ses publics, l’association conçoit plusieurs outils pédagogiques. À l’image de ce jeu dénommé Pause Capote, co-construit avec des étudiants en graphisme du diplôme national desmétiers d’art et du design à Marseille. Le but : parler de l’utilisation du préservatif, mais aussi de tout ce qui l’entoure notamment le consentement. @MGP
Car si l’association a vocation à couvrir les besoins de l’ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, de significatives baisses de subventions l’ont contrainte à focaliser ses interventions (gratuites) sur ces deux seuls départements. « Ailleurs, il y a encore des demandes auxquelles on répond sur devis ». Mais ne comptant que quatre chargés de mission éducation sexuelle, l’équipe est obligée de décliner bon nombre de propositions. « On manque de moyens pour couvrir tous les besoins ».
Bien que les cours d’éducation à la sexualité soient inscrits dans la loi, leur concrétisation est en deçà des objectifs. « Il y a une diffusion de la responsabilité entre les chefs d’établissement, les infirmeries, les professeurs… » relève Bruce. D’autant que « le sujet est tabou. Pour beaucoup, ce n’est pas facile d’en parler avec des jeunes au-delà du seul angle biologique de la reproduction. Et parfois, on leur en parle d’une façon anxiogène, culpabilisante. Sans prendre en compte les enjeux liés au genre par exemple ».
Un écart entre les intentions politiques et les réalisations qui concerne aussi le soutien aux parents face à la vie sexuelle de leurs enfants.
Alors qu’une stratégie nationale de soutien à la parentalité a été mise en œuvre dès 2018, le Crips Sud peine à obtenir des financements pour les actions qu’il envisage dans ce cadre. Qu’il s’agisse d’interventions ou de création d’outils visant à aider les parents à accompagner leurs enfants sur ces sujets. « Quand on va voir la Caf avec un projet de ce type, on nous dit qu’il faut avoir déjà commencé l’action. Mais sans financement, c’est difficile », regrette le directeur de l’association. Le Crips Sud est néanmoins parvenu à réaliser avec la Ville de Nice un podcast intitulé « Comment parler de santé sexuelle à son enfant ». Et n’abandonne pas l’idée de consacrer plus d’énergie à cet enjeu de la parentalité.
Mais attention, alerte Bruce, « la bonne volonté sans valorisation, ça donne du burn-out militant ! ». Néanmoins, la petite équipe ne se décourage pas. Certaine de l’utilité de ces interventions. Pour l’épanouissement personnel des jeunes. Pour leur santé. Mais aussi pour la société tout entière.
« Quand on intervient auprès des jeunes, on parle de sexualité. Mais à travers cela, on traite aussi de la manière dont peut vivre ensemble. De ce qu’est le respect de soi et des autres. De l’égalité entre les sexes. Tout ce qui peut contribuer à rendre la société plus bienveillante et moins toxique », pense Claire. Convaincue comme ses collègues que si la sexualité des jeunes relève évidemment de l’intime, elle est aussi éminemment politique. ♦
[pour les abonnés] Les financeurs – L’agrément organisme de formation – Les violences sexuelles et sexistes – Ailleurs en France ?
Article publié le 6 septembre 2022
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