Manifestation d’ouvriers, portant pancartes et drapeaux de la CGT et du parti communiste. Photographie anonyme pour une carte postale, sans doute à Mantes-la-Jolie (78) vers 1936-1937. © Collection IM/Kharbine-Tapabor
Les syndicats sont vent debout contre la réforme des retraites présentée par le gouvernement. Ils ont appelé à une forte mobilisation des travailleurs. Mais qu’est-ce qui distingue, au fond, ces organisations les unes des autres ? Petit tour d’horizon historico-philosophique.
Un syndicat professionnel est une organisation qui se donne pour but d’assurer les intérêts des membres qui y adhèrent. Si, en France, le taux de syndicalisation des travailleurs est aujourd’hui faible (10 % des salariés environ), il n’en a pas toujours été ainsi. L’histoire du syndicalisme français, étroitement corrélée à celle du mouvement ouvrier qui se déploie progressivement au XIXe siècle avec l’apparition du socialisme, est riche en rebondissements. Il a connu des heures de gloire mais aussi des difficultés, des scissions, des déchirements. Ce sont notamment ceux-ci que nous vous proposons de mieux comprendre, à partir de l’histoire et de la philosophie propres à chacune des cinq instances représentatives reconnues par l’État : la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et la CFE-CGC.
La Confédération générale du travail voit le jour en 1895. Elle succède à la Fédération nationale des syndicats, qui se plaçait sous le patronage de la pensée du marxiste Jules Guesde. Ce changement intervient à la suite d’un différend entre les partisans de Guesde et ceux de Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx, concernant le recours à la grève générale. Les guesdistes, ambigus sur la question, sont progressivement mis en minorité par les révolutionnaires jusqu’au point de bascule que constitue, en 1906, la Charte d’Amiens. Véritable manifeste théorique du syndicalisme révolutionnaire, la CGT proclame avec elle les grands principes qui l’animent : lutte des classes, disparition du salariat et du patronat, mais aussi indépendance vis-à-vis de l’État et des organisations politiques.
En France, “la grève a précédé le syndicat, et le syndicat le parti”
Elle entérine alors le refus d’une intégration parti/syndicat, marquant ainsi une spécificité du socialisme français par rapport au socialisme allemand – la recherche du compromis entre le parti social-démocrate et les syndicats allemands étant alors constante, ce qui ne s’observa pas, en France, avec la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO), créée en 1905. Comme le rappelle l’historien Michel Winock, les causes en sont, pour partie, chronologiques : « Tandis qu’en Allemagne le parti précédait le syndicat, et le syndicat la grève, en France tout fut inversé (à moins, diraient certains, que tout fût dans l’ordre naturel des choses) : la grève a précédé le syndicat ; et le syndicat, le parti » (Le Socialisme en France et en Europe, Seuil, 1992).
La CGT va gagner en puissance au cours du XXe siècle, avec une apogée au moment des grandes grèves de 1936, tant et si bien qu’elle revendiquera près de 4 millions d’adhérents lors de l’année 1937. Bien qu’elle ait été marquée par des débats internes concernant la révolution d’Octobre, le communisme et l’URSS, elle poursuit globalement sa logique d’indépendance vis-à-vis des organisations politiques jusqu’à l’après-guerre. À partir de là, un grignotage progressif du syndicat par le Parti communiste français (né en 1920 à la faveur d’une scission de la SFIO) va s’opérer, qui conduira à une rupture franche et nette avec une branche moins révolutionnaire et plus réformiste, laquelle choisira de se constituer, en 1947, à l’occasion d’immenses grèves nationales, en un nouveau syndicat : Force ouvrière. « Lors de la scission de 1947, due à la guerre froide, détaille Winock, les communistes s’emparent de la CGT, tandis que les minoritaires créent une CGT-FO. À ce moment-là, on peut dire que le Parti communiste est parvenu à construire une contre-société ouvrière, autour du couple PC-CGT, avec ses municipalités, ses multiples associations, ses publications en tout genre, ses clubs sportifs, ses mouvements de jeunes. »
Aujourd’hui, forte d’environ 600 000 salariés membres, elle demeure la première confédération syndicale en nombre d’adhérents, bien que son influence soit allée, comme l’ensemble du monde syndical français, decrescendo depuis l’après-guerre. Si ses liens avec le PCF sont beaucoup plus distendus, elle est réputée plus contestataire que les autres organisations représentatives. Elle a dans l’opinion publique une image assez jusqu’auboutiste, se voulant plus intègre, moins encline au compromis et à la négociation que les autres – tout en élaborant des programmes de contre-propositions –, et n’hésitant pas à dénoncer les violences policières et autres tentatives d’intimidation du pouvoir en place.
Georges Sorel a été un grand défenseur du syndicalisme révolutionnaire, qu’il préférait à un socialisme partisan dans lequel il voyait un allié objectif de la démocratie bourgeoise. Fustigeant la passion de la bourgeoisie pour le compromis, il décrit, dans ses Réflexions sur la violence (1907), la fécondité de la grève générale entendue comme violence créatrice. Ce n’est, à ses yeux, que dans ce type d’événements que la classe ouvrière peut se constituer comme telle et acquérir la pleine conscience d’elle-même pour, dans un second temps, parvenir à ses fins : la destruction des classes sociales et la fin du capitalisme.
La Confédération française démocratique du travail naît en 1964 de la déconfessionnalisation de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Après la Libération, un mouvement de gauche de la tendance dite « Reconstruction » de la CFTC aboutit à cet éclatement du syndicat chrétien en deux. Toujours animée par les grands principes du christianisme social et de la doctrine sociale de l’Église à ses débuts, la CFDT se rapproche progressivement du Parti socialiste unifié (PSU) de Michel Rocard et se met à affirmer des tendances autogestionnaires. Son socialisme autogestionnaire prône une démocratie radicale vue comme un projet de société alternatif à la fois au capitalisme mais aussi au communisme soviétique. Son inspiration est largement antiautoritaire. Elle milite alors notamment pour une véritable démocratie d’entreprise, et pas seulement pour des augmentations de salaire, et parle beaucoup de conditions et de qualité du travail.
Un positionnement qui la distinguera de la CGT au moment de Mai-68. Celle-ci n’était pour sa part pas réellement en phase avec les revendications gauchistes et libertaires des étudiants, et cherchait avant toute chose à améliorer concrètement les conditions matérielles des travailleurs et à œuvrer au collectivisme. L’historien Jacques Julliard résume clairement ces différends syndicaux : « À l’exception de la CFDT, qui se montra souvent proche [des étudiants], [les autres syndicats] entendaient conduire le mouvement vers des résultats concrets ; vers des revendications salariales, et non vers la remise en cause du salariat lui-même. On allait de nouveau vers le quantitatif, au lieu du qualitatif qui avait été le mot d’ordre des contestataires » (Les Gauches françaises 1762-2012. Histoire, politique et imaginaire, Flammarion, 2012).
“S’éloignant du socialisme autogestionnaire de ses débuts, la CFDT adopte dans les années 1980 une stratégie marquée par une sensibilité nouvelle au libéralisme économique”
La CFDT opère un « recentrage » spectaculaire à partir de 1977, année qui marque l’éclatement de l’Union de la gauche, et la défaite de ses composantes aux élections législatives l’année suivante. S’éloignant plus encore de la CGT, mais aussi des organisations politiques (elle appellera seulement à voter pour François Mitterrand en 1981), elle adopte une stratégie d’indépendance syndicale marquée par des positionnements singuliers guidés, selon les analyses, par une forme de « réalisme » ou de sensibilité nouvelle au libéralisme économique. C’est ainsi qu’on la verra soutenir le tournant de la rigueur de 1983, vu comme un « mal nécessaire », mais aussi jusqu’à des réformes initiées par la droite et jugées soit justifiées soit inévitables au vu du chaos que les mouvements sociaux risquaient d’engendrer (ainsi en fut-il, par exemple, de la loi Juppé de 1995). Elle deviendra alors l’interlocuteur syndical privilégié du Medef, la principale organisation patronale.
Aujourd’hui, si elle compte légèrement moins d’adhérents que la CGT, elle obtient depuis quelques années de meilleures audiences électorales dans les entreprises, devenant le premier syndicat de France dans le secteur privé. Jouissant d’une image plus modérée que d’autres syndicats, elle pâtit aussi d’une réputation de « traîtres à la cause » chez certains travailleurs, comme en témoigne, en 2016, le saccage de leurs locaux au moment des mouvements contre la loi Travail portée par la ministre Myriam El-Khomri, avec parfois des inscriptions telles que « collabos » ou « maintenant, c’est fini de trahir ». Récemment, son opposition aux réformes de l’assurance chômage et des retraites lui ont fait regagner le chemin de l’opposition.
Créateur, avec Claude Lefort, de Socialisme ou barbarie, une revue d’orientation marxiste antistalienne, Castoriadis, inspiré par le conseillisme de Rosa Luxemburg, milite pour l’instauration d’une démocratie radicale. Il prône à la fois l’avènement d’une démocratie directe sur le plan politique et d’une autogestion de la production sur le plan économique. Il développe ses vues sur la société autogérée notamment dans Le Contenu du Socialisme, publié en 1979.
Force ouvrière, on l’a vu plus haut, est née d’une scission interne à la CGT. Son nom complet est d’ailleurs Confédération générale du travail-Force ouvrière, témoignant de ce passé schismatique. Les raisons d’une telle rupture ont essentiellement à voir avec le développement du communisme. Des remous avec une frange qui souhaitait s’affilier à l’Internationale syndicale rouge, liée à l’Internationale communiste, avaient commencé au début des années 1920. Ils s’apaiseront jusqu’au moment du pacte germano-soviétique de 1939, qui signera la mise en minorité des sympathisants communistes, avant que ces derniers ne redeviennent majoritaires après guerre. Ce sont alors les réformistes qui se trouvent à leur tour marginalisés et décident, en 1947, de créer Force ouvrière. Les événements déclencheurs, semble-t-il, furent la décision par la CGT de se ranger du côté du PCF et de Moscou dans la condamnation du plan Marshall, ainsi que les grandes grèves nationales dans les usines et les mines. À ce moment-là, les représentants de Force ouvrière sont plutôt des proches des socialistes de la SFIO, quand la CGT a des affinités avec le PCF, et la CFTC avec le Mouvement républicain populaire (MRP) de Pierre Mendès France.
“FO se distingue à la fois des communistes et du projet d’autogestion porté par la CFDT”
Durant les événements de Mai-68, FO se distingue à la fois des communistes et du projet d’autogestion porté par la CFDT. L’organisation cherchera davantage à jouer un rôle de modérateur et aura à cœur d’imprimer une marque singulière, d’indépendance, qui la portera également à signifier son scepticisme vis-à-vis du projet d’Union de la gauche et du Programme commun. Cela la conduira à devenir un interlocuteur privilégié du patronat avant un revirement, dans les années 1980, et l’adoption d’une posture plus combative, notamment sous l’impulsion de son secrétaire général de l’époque Marc Blondel.
Fait marquant, il semblerait que le syndicat ait reçu un soutien logistique et financier de la CIA par l’intermédiaire du syndicaliste et agent américain Irving Brown. Celui-ci, présent lors de la création du syndicat comme à la plupart de ses congrès, entendait, selon le journaliste d’investigation Frédéric Charpier, « créer en France et en Italie des syndicats non communistes pour affaiblir la CGT et son homologue italienne, la CGIL » (La CIA en France. 60 ans d’ingérence dans les affaires françaises, Seuil, 2008).
Forte d’environ 350 000 adhérents, FO est aujourd’hui la troisième organisation syndicale à la fois en nombre d’adhérents et dans les votes au sein des entreprises. Elle a conservé son positionnement des années 1980, parlant souvent de concert avec la CGT, et à rebours de la CFDT, dans le rejet des négociations avec le gouvernement ou le patronat.
Au sein du mouvement socialiste, Jaurès a toujours tenu une voix singulière, entre réforme et révolution. Son pacifisme irréductible au moment de la Première Guerre mondiale avait déjà entraîné des turbulences au sein de la CGT, entre une tendance majoritaire favorable à l’Union sacrée, et une autre qui y était hostile et qui était globalement proche des réformistes qui fonderont FO. Attaché au républicanisme et à la voie sociale-démocrate, Jaurès dénonçait en son temps la rigidité de certains de ses camarades marxistes qui refusaient un quelconque investissement dans la société capitaliste pour la changer de l’intérieur.
La Confédération française des travailleurs chrétiens est née en 1919, avec, dès son origine, un référentiel principal : la doctrine sociale de l’Église catholique. Celle-ci trouve notamment sa source dans l’encyclique Rerum novarum publiée en 1891 par le pape Léon XIII, qui entendait prendre position sur la question de la misère et des inégalités engendrées par le système capitaliste tout en s’opposant au matérialisme anticlérical et athée promu par la gauche marxiste. La CFTC devient ainsi la première organisation syndicale à se démarquer du marxisme et de l’anarcho-syndicalisme, posant, par exemple, que la grève ne saurait constituer qu’un dernier recours et ne doit jamais être vue ni comme un moyen privilégié ni comme une fin en soi. Son importante contribution à la Résistance durant l’occupation nazie empêchera la CGT de la faire interdire. Elle continuera d’exister après la scission de 1964 évoquée plus haut, qui verra la naissance de la CFDT.
“La CFTC entendait préserver la voie du compromis social-démocrate et aménager moralement le capitalisme”
Jacques Julliard, piquant, décrit l’organisation comme « le syndicat le plus imaginatif des années 1960 ». Proche du MRP de Pierre Mendès France (lequel disait son admiration pour Edmond Maire, militant de longue date dans le syndicat chrétien jusqu’à la scission de 1964 et son passage à la CFDT), la CFTC, dans un même mouvement que la revue Esprit ou que Le Nouvel Observateur, entendait préserver la voie du compromis social-démocrate et aménager moralement le capitalisme. « Il y avait dans tous ces groupes, écrit Julliard, une forte composante de catholiques de gauche, mais aussi de protestants et de juifs, tous membres actifs de la société civile, qui n’avaient pas trouvé leur place dans une gauche sectaire et sclérosée. Il régnait dans ce personnel politique bis un idéalisme véritable, la croyance dans le primat de l’intérêt général et la volonté de moderniser une France qui sortait tout doucement de son passé paysan, qui réclamait des pratiques renouvelées (l’association), plus d’initiative à la base (l’autogestion) et des libertés nouvelles (le libéralisme moral dont on a déjà parlé).C’est ce courant qui fut le plus directement affecté par la régression du capitalisme vers son actionnariat, car c’est lui qui avait parié le plus ouvertement sur son évolution en sens inverse. »
Aujourd’hui, la CFTC compte environ 140 000 adhérents et a obtenu autour de 9 % des suffrages lors des dernières élections professionnelles, ce qui en fait le cinquième syndicat représentatif de France.
Proche de la revue Esprit, Paul Ricœur s’est beaucoup intéressé à l’existentialisme chrétien et à la théologie protestante. S’il a manifesté des sympathies plutôt pour la CFTC laïcisée et donc pour la CFDT centriste, notamment au moment de la loi Juppé de réforme de l’assurance maladie en 1995 (ce qui occasionnera d’ailleurs une passe d’armes avec Pierre Bourdieu), l’engagement de Ricœur a toujours été inspiré par le christianisme social. Le compromis, que le philosophe distingue de la compromission, est au cœur de sa philosophie politique, qui emprunte tant au socialisme qu’au libéralisme.
La Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres a été fondée en octobre 1944. Elle défend expressément les intérêts des professionnels de l’encadrement, donc des cadres, ingénieurs, agents de maîtrise et forces de ventes. Elle met au cœur de sa démarche le dialogue et la négociation avant tout, avec une certaine réticence à la grève, sauf en dernier recours. Née de la volonté expresse de fonder une organisation spécifique qui ne soit affiliée ni aux centrales ouvrières ni au patronat, la CGC a sans succès tenté à ses débuts de rallier les ingénieurs et techniciens adhérents à la CGT et à la CFTC. Elle fait progressivement l’objet d’une triple hostilité de la part à la fois de la CGT, des pouvoirs publics et du patronat. Elle obtient pourtant en 1947 l’instauration d’un régime de retraites complémentaires pour les cadres, son grand fait d’armes. Un temps charmé par le gaullisme et sa volonté modernisatrice, elle s’en détourne peu à peu et cherche à assumer son indépendance, tout en manifestant sa volonté de participer à l’effort de redressement du pays dans la lignée du plan Marshall. À l’aube de la construction européenne, elle initie en 1951, avec ses homologues allemands et italiens, la Confédération internationale des cadres. Son attachement à la construction européenne fait partie de ses traits distinctifs.
“La CFE-CGC prend peu à peu un positionnement volontariste en proposant un certain nombre d’aménagements et de restructurations macroéconomiques”
À partir de Mai-68, l’organisation connaît des années difficiles, avec des tiraillements internes et un positionnement social compliqué dans le contexte d’alors. Elle prend peu à peu un positionnement volontariste en proposant un certain nombre d’aménagements et de restructurations macroéconomiques, avec notamment des idées de réformes sur le chômage, l’inflation ou le temps de travail. Très attachée au régime de retraite par répartition, qu’elle juge garant de la solidarité intergénérationnelle, la CFE-CGC a depuis quelques années adopté un ton plus revendicatif, après avoir longtemps, quoiqu’elle en ait, été associée au patronat.
Aujourd’hui, l’organisation compte quelque 150 000 adhérents et progresse sensiblement aux élections professionnelles, s’imposant comme la quatrième organisation représentative. Elle concentre ses négociations sur des problématiques sociales contemporaines en phase avec les préoccupations de ses adhérents – majoritairement des cadres –, comme les accords sur le télétravail, le droit à la déconnexion, l’épargne salariale, les crèches d’entreprise ou l’allongement des congés paternité et maternité.
Auteur de La Constitution de l’Europe, le philosophe de l’École de Francfort est un fervent défenseur de l’Union européenne et de la coopération entre ses membres. Rétif au « quiétisme » en politique, il est favorable à une discussion et à des négociations constructives entre les différentes parties prenantes. Une position dans la droite ligne de ses écrits qui, loin d’être en accord avec l’idée de l’illusion d’un véritable dialogue social, insistent sur « l’éthique de la discussion » et « la raison communicationnelle » pour tracer une voie permettant de parvenir à un consensus rationnel.
Chapô Créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par les philosophes Cornelius Castoriadis et Claude Lefort, Socialisme ou Barbarie était un mouvement révolutionnaire qui prônait l’autogestion et la démocratie des conseils tout en élaborant une critique décapante du stalinisme. Il aura fait mentir l’idée reçue selon laquelle l’aspiration à refaire le monde implique de renoncer à son intelligence.
Chapô Nourri par les semences révolutionnaires de 1789, le socialisme plonge ses racines dans les rêves de justice et d’égalité de ceux qui, dans la première moitié du XIXe siècle, en ont forgé l’idée et le nom. Mais Karl Marx, au milieu du siècle, tente une OPA sur le mouvement et l’oriente vers la révolution prolétarienne : pendant des décennies, la doctrine marxiste sera la base idéologique du socialisme français. Cependant, de Jean Jaurès à François Mitterrand, le réformisme reprend le dessus et impose au mouvement une voie républicaine et démocratique. Si bien que, aujourd’hui, c’est le modèle social-démocrate, à la fois réformiste, libéral et réaliste, qui culmine… Mais l’arbre est-il toujours vert ?
Chapô « Marchons ! Pas de subtilité ! Pas de vaines ténèbres ! Allons au but qui est la justice. Éclairons les esprits, affranchissons le travail. Une fois émancipé, tout homme cherchera lui-même son chemin. » Tribun fulminant, Jaurès, fils de la Révolution et républicain jusqu’à l’os, a tôt pris l’optimisme pour épouse. Passé à la postérité comme leader du socialisme, on ignore souvent qu’il a fait œuvre de philosophe. Toute sa conception de l’action politique se fonde sur sa pensée métaphysique, guidée par une conception singulière de l’univers. Elle lui permet d’affirmer, comme une maxime de vie : « Allez ; laissez faire l’univers ; il a de la joie pour tous ; il est socialiste à sa manière. »
Chapô La « fatigue » est l’un des trois sentiments dominants chez les Français, avec « l’incertitude » et « l’inquiétude », selon une enquête de la Fondation Jean-Jaurès publiée par Le Monde. Le Covid est-il le seul responsable de cette situation ? Pour l’historien Georges Vigarello, auteur d’une Histoire de la fatigue. Du Moyen Âge à nos jours (Seuil, 2020), il faut surtout y voir la manifestation du fait qu’on s’écoute toujours plus.
Chapô À l’automne 1970, Jean-Paul Sartre, juché sur un baril, fait un discours à la sortie des usines Renault à Billancourt. Haut lieu de la grande grève de Mai-68, c’est l’endroit rêvé pour manifester en paroles l’union entre la classe ouvrière et les intellectuels. Mais il faut être deux pour se marier.
Chapô [À relire] Il y a cent ans naissait Paul Ricœur. Grande figure de la pensée française du siècle dernier, il a contribué, avec le concept d’identité narrative, à repenser le sujet comme le récit que chacun se raconte à lui-même. En guise d’hommage, nous publions un entretien réalisé en 1997 et inédit en France, où ce pupille de la nation livrait, avec une étonnante sincérité, son propre récit.
Chapô C’est l’un des philosophes vivants les plus écoutés mais aussi l’un des plus difficiles à lire : à 92 ans, Jürgen Habermas s’est entretenu avec notre rédaction allemande de façon exceptionnellement accessible. Alors que vient de paraître le premier tome de son Histoire de la philosophie, il retrace le parcours d’une vie dédiée à un idéal démocratique et témoigne d’un projet philosophique aussi déterminé qu’ambitieux : sauver l’usage public de la raison.
Chapô Les protestations se multiplient depuis que Fabien Roussel a cru bon d’opposer, lors de la Fête de l’Humanité, « gauche du travail » et« gauche des allocs », invitant son camp à réinvestir le champ du travail. Ses déclarations ont été fort peu goûtées notamment par la députée Europe Écologie-Les Verts Sandrine Rousseau, qui lui oppose le « droit à la paresse ». Une simple querelle d’héritage entre Karl Marx et son gendre Paul Lafargue ? Allons y voir de plus près.