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Ultraviolence à Mayotte : enquête sur une descente aux enfers – Paris Match

REPORTAGE. Dans le 101e département français, des bandes font régner une terreur sans limite.
Perchés sur une crête, une soixantaine d’individus furieux, corps musculeux, visages masqués sous des tee-shirts, vocifèrent insultes et menaces en brandissant de longues machettes (des « chombos ») et des fers à béton en acier, aiguisés en javelots pointus. La bande, débarquée du village de Doujani, provoque un clan adverse originaire d’un autre bourg, Kawéni : en contrebas, trente gamins fluets, armés de couteaux, de barres de fer, de parpaings et de cocktails molotov.

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Braillant leur haine au pied de la butte, ils sont nerveux, déterminés à en découdre. Certains ont enfilé une combinaison blanche de peintre, pour éviter l’identification par la dizaine de policiers casqués. 

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Tension électrique et situation instable, ce 19 novembre, dans les faubourgs de Mamoudzou, capitale de Mayotte, 101e département français depuis 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Seuls les gaz lacrymogènes font reculer les deux troupes. L’une s’échappe sur un sommet ; l’autre se terre, recluse dans l’ombre de la forêt, attendant la nuit pour lancer une attaque. Les hommes, jeunes, vifs, échappent aux interpellations. Progressant dans la brousse et les communes ennemies, ils sèment le chaos derrière eux. Ici et là, des panaches de fumée noire. Une cinquantaine de voitures et des scooters brûlés, des magasins pillés.

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Des habitants molestés, blessés à coups de machette. Dans une ruelle de M’tsapéré, du sang frais tache le bitume brûlant. Un adolescent a été attaqué sans raison, ses mains tranchées à coups de machette. Un autre jour, un jeune a eu le pied presque arraché, quand un autre voyait également sa main coupée. Attaques crapuleuses et règlements de comptes sadiques semblent le quotidien de cette île : un corps amputé a été déposé nu sur un caillou, au milieu de la rivière, près d’un axe routier. Un cadavre calciné a été découvert au centre du territoire… Depuis des mois, une sorte de « Sa majesté des mouches » terrorise Mayotte. 

Le meurtre de Skinny, jeune rappeur mahorais originaire de Kawéni, le 12 novembre, a déclenché les hostilités. Il a été retrouvé mutilé, l’oreille coupée, et les meurtriers lui ont dérobé ses baskets. Depuis, des hordes de gosses s’affrontent en représailles interminables. Revanches et belles se succèdent à coups de coupe-coupe, de face-à-face sanglants devenus banals. L’« île aux parfums » est meurtrie par une lutte de territoire tribale – « peut-être liée aux récentes libérations de jeunes caïds », nous glisse un major policier – entre gamins désœuvrés des bangas, ces bidonvilles qui, aux abords des villages, poussent à flanc de collines : des cases de tôle poussiéreuses, des carcasses de voitures cramées et, partout, d’immondes champs d’ordures qui défigurent illégalement la forêt. 

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Des milliers de Comoriens sans papiers, candidats à la naturalisation, survivent dans ce fatras de misère et de malheurs. Parmi eux, de nombreux mineurs isolés. Esseulés, faméliques, ils survivent drogués à la « chimique », concoctée à partir de poudre de médicaments chinois, qui les rend insensibles à la douleur. Et brutaux… « Nous observions d’abord une délinquance pour manger, acheter leur drogue », raconte Abdel aziz Sakhi, policier au sein du groupe nuit de sécurité de proximité (GSP) et secrétaire zonal Alternative Police CFDT, en poste depuis 2018.
« Mais, poursuit-il, cette délinquance a dérivé en phénomène de bandes beaucoup plus grave et dangereux, sans lien avec des trafics de drogue ni avec des enjeux financiers particuliers. » Ces gamins – certains âgés de 11 ans – happent des enfants scolarisés, dont des Mahorais, dans ce tourbillon de violence. À cinquante, voire cent, ils dévalent des hauteurs, nuit et jour, pour voler badauds et conducteurs avec des barrages de rue. Ils braquent maisons et boutiques ; des plaintes pour viol ont aussi été déposées et des kidnappings ont été signalés.
Déguenillés, en savates ou pieds nus, ils défient les forces de l’ordre et l’État, munis de leurs stocks de pavés entassés dans des chariots. Parfois, des meutes de chiens errants les escortent. « Ils les accrochent aux arbres, la journée, pour être avertis des intrusions dans leur fief, et les utilisent pour se défendre ou attaquer », explique un policier avant de dénoncer la lenteur administrative des enquêtes judiciaires et la quasi-inexistence de solutions pénales pour les mineurs. « Si on ne prend pas des mesures fortes et fermes, on ne s’en sortira jamais », alarme-t-il.
Inquiètes devant l’ampleur inattendue du phénomène, les autorités dépêchent sur place des convois de policiers et de gendarmes. Mesures « ridicules », « insuffisantes » aux dires des habitants effarés. Les policiers eux-mêmes appellent au renfort de l’armée ou de la CRS 8, nouvelle troupe renforcée des compagnies républicaines de sécurité, calibrée pour juguler les violences urbaines de haute intensité. 

Christophe, un journaliste local, craint le pire : « C’est une violence importée des Comores, calquée sur les guerres entre les villages d’agriculteurs de l’île d’Anjouan. Elle est organisée, structurée. » Lui est persuadé que des adultes comoriens tiennent les rênes de ce système afin d’ébranler le département français pour, à terme, reconquérir Mayotte. Bacar Attoumani, secrétaire départemental du syndicat Alliance Police 976, partage cet avis : « Une guérilla urbaine s’installe. Le caractère structurel de ces violences nécessite davantage d’investissement dans les enquêtes. Il faut des écoutes téléphoniques. Que l’on sache qui manipule derrière… Il y a peut-être un motif politique pour déstabiliser l’île. »

Ces intentions restent à prouver, mais force est de constater que Mayotte plonge dans les limbes. « Nous allons atteindre un point de non-retour, se désole Estelle Youssouffa, députée de la première circonscription de l’île. Lorsque j’étais enfant, Mayotte semblait un paradis. Aujourd’hui, c’est un enfer ! L’État doit apporter des mesures fortes contre cette immigration massive et des solutions aux carences dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la justice et de la sécurité. »
Officiellement, 300 000 habitants s’entassent sur ce confetti perdu dans l’océan Indien, collé à l’archipel des Comores ; un même archipel, mais deux histoires depuis que Mayotte, en 1974, a rejeté l’indépendance. En réalité, si l’on se fixe sur la consommation annuelle de riz par habitant, ils seraient entre 400 000 et 500 000, dont environ 50 % de mineurs et 60 % d’étrangers, des Comoriens surtout, dont près de la moitié sont des clandestins. « Chaque année, 15 000 Mahorais fuient à La Réunion ou en métropole. C’est un exode forcé ! » regrette Safina Soula Abdallah, présidente du Collectif des citoyens de Mayotte 2018.
L’île subit depuis des années une pression migratoire constante. Une dizaine de kwassa-kwassa, des canots de misère d’où débarquent les migrants depuis les Comores, accostent chaque jour sur les côtes. Un sur trois serait intercepté et ses passagers renvoyés… avant que ces derniers ne tentent, dès la semaine suivante, de revenir. 

En parallèle, la violence a explosé. La population craint l’implosion du département, une insurrection, voire « la guerre civile », lâche un homme en colère. « Nous sommes oubliés, abandonnés par le gouvernement », fulmine-t-il. Un agent de police renchérit : « Ici, le seul endroit où vous êtes en sécurité, c’est le lagon ! »
De nombreux témoignages donnent à voir un quotidien oppressant. Saïd, la cinquantaine, a été tabassé dans sa rue par un groupe de jeunes cagoulés. Bilan : quatre points de suture sur le crâne et le dos bleu, douloureux d’hématomes. Un autre a été agressé pendant une randonnée en famille : « Les jeunes ont menacé mes enfants avec des lames sur leur cou, pour qu’on leur donne nos téléphones », relate-t-il, encore sous le choc.
Une autre fois, à Mamoudzou, la compagne d’un gendarme a été violée par trois hommes en fin de journée, en plein centre-ville, non loin de la mairie. Les bus scolaires sont régulièrement attaqués par des grappes de voyous ; les enfants se font taillader et dépouiller de leurs écouteurs, téléphones portables, baskets, sacs bananes.
William Baillif, directeur adjoint du transporteur Matis, apparaît désemparé : « Pendant l’année scolaire 2020-2021, nous avons comptabilisé 44 incidents.  Depuis août 2022, nous en sommes à 94 attaques ! Avant, les bus étaient caillassés ; désormais, ils sont pulvérisés à la machette. Depuis la rentrée, quinze enfants ont déjà été blessés [dont un à la gorge]. Ils sont traumatisés, comme les chauffeurs. Autrefois, on réparait nos véhicules ; désormais, je mets en place une cellule psychologique. On perd le contrôle de la situation. » 
Ces mecs n’ont aucune pitié. Ils peuvent sans scrupule brûler des maisons avec des enfants à l’intérieur, ou tuer pour rien

Des chiffres corroborent les craintes des insulaires. Les vols simples contre des particuliers dans des locaux ou lieux publics, les cambriolages et les blessures volontaires ont augmenté respectivement de 45 %, 66 % et 8 % sur un an. Le nombre de cambriolages de résidences principales est passé de 69 en 2001 à 429 en 2021 ! Quant aux homicides et tentatives d’homicide, ils ont augmenté de 63 % en un an.
Selon l’Insee, les habitants de Mayotte sont, à titre personnel, trois fois plus victimes de vols avec ou sans violences. Ce département ne ressemble à aucun autre, accumulant les tristes records : 77 % des habitants vivent sous le seuil national de pauvreté, cinq fois plus qu’en métropole. C’est aussi la région de France qui compte le moins de diplômés, et le département d’outre-mer le plus touché par le chômage (30 % de la population active). Résultat : en 2019, 20 % de la population locale souffrait de syndrome dépressif. Notamment les femmes, les jeunes et les personnes âgées. L’insécurité s’installe, progresse, domine. « Mayotte a changé. Je fais dorénavant davantage de livraisons à domicile que de service sur place », se plaint un ancien gendarme mobile reconverti dans la restauration. 
Ce que je redoute ? Que les habitants se fassent justice eux-mêmes.

L’île à la végétation luxuriante abrite un des plus beaux parcs naturels marins du monde. Et bananiers, manguiers, ilangs-ilangs poussent en pagaille. La fleur sauvage de ces derniers, épicée et exotique, est vénérée par les parfumeurs. Mais ce sont des relents amers qui piquent les narines. Les touristes, comme les entreprises, ont déserté depuis bien longtemps ce territoire. Un matin, au centre de l’île, au bord du lagon, Idrissa*, la trentaine, discret sur ses activités, ne cache ni son inquiétude ni sa tristesse… ou sa colère. Prudent, il marmonne : « Ces mecs n’ont aucune pitié. Ils peuvent sans scrupule brûler des maisons avec des enfants à l’intérieur, ou tuer pour rien. C’est ça la réalité, des actes de barbarie quotidiens. »
Avec une quinzaine de proches, Idrissa forme un « groupe d’autodéfense » jonglant entre médiation auprès de la population, escortes de citoyens et rondes nocturnes. « On quadrille la zone. On surveille les arrivées de kwassa et on dialogue avec la communauté comorienne. On leur demande de surveiller leurs enfants, de dénoncer aussi les actes [de délinquance]. Certains craignent les représailles, d’autres règlent leurs comptes entre eux. Ce que je redoute ? Que les habitants se fassent justice eux-mêmes. Jusqu’à présent, contrairement aux Antilles, nous étions épargnés par les armes. Mais des Mahorais ont réussi à en faire passer, démontées ainsi que des Gomm Cogne, pour se protéger. »
Selon lui, certains stockent des vieux fusils de chasse de l’époque où l’on tirait le cochon sauvage, et d’autres font venir des gilets pare-balles de métropole. Les gens se préparent au pire. « Les armes, prévient Idrissa, voilà la prochaine étape. »  

* Le prénom a été changé.

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