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Troubles mentaux : quand la stigmatisation d'aujourd'hui reflète les … – The Conversation Indonesia

Maitresse de conférences et psychologue, Université de Bordeaux
Enseignante-chercheure en psychologie, Université de Bordeaux
Psychologue clinicienne spécialisée en Psychopathologie et doctorante en Psychologie, Université de Bordeaux
Caroline Munuera a reçu une bourse doctorale du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.
Alice Follenfant et Katia M'bailara ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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Aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale de la santé, un trouble mental se caractérise par une altération significative de l’état d’une personne sur un plan qui peut être cognitif, émotionnel et/ou comportemental. Il s’accompagne généralement d’un sentiment de détresse, de souffrance psychique et de difficultés dans la gestion du quotidien qui peut toucher les sphères relationnelles, professionnelles, personnelles, sociales, etc.
Objets d’intérêt de la médecine, les troubles mentaux sont aussi un champ d’intérêt public et sociétal, et les personnes concernées sont trop souvent (et encore) stigmatisées. Bien sûr, d’autres personnes ayant une maladie ont eu à faire face au poids du regard : les personnes atteintes de cancer ou de certains virus tels le Sida ont connu des périodes marquées par la peur et la mise à l’écart. Pour autant, les troubles mentaux restent un modèle de longévité en matière de stigmatisation…
La stigmatisation est le processus par lequel un attribut, socialement ou culturellement dévalorisé et discréditant, est appliqué à un individu ou un groupe d’individus par un autre groupe. Ce dernier se distinguant du groupe marqué – il y a les « nous » et les « eux », généralement réduits à ce seul signe considéré comme distinctif, ainsi que le soulignait déjà en 1963 le sociologue précurseur Erwin Goffman.
D’où proviendrait cette si longue discrimination ?
Une rapide traversée de l’histoire française des troubles mentaux suffit à comprendre à quel point des représentations, parfois millénaires, imprègnent encore nos conceptions « modernes ». Une brève rétrospective sur cet héritage apparaît comme un préalable à tout chantier visant à diminuer cette stigmatisation.
Au cours de l’Antiquité grecque, Hippocrate (460-370 av. J.- C.), « père de la médecine » occidentale, et ses continuateurs développent la « théorie des humeurs » pour expliquer les maladies.
Quatre substances (les humeurs), chacune liée à un élément et une qualité, auraient composé notre corps : la bile noire (liée à la terre, sèche et froide), la bile jaune (feu, sèche et chaude), le sang (air, humide et chaud) et la lymphe (eau, humide et froide). En chacun de nous dominerait l’une ou l’autre de ces humeurs – soit, d’une certaine façon, une première tentative de modélisation de la notion des tempéraments. Tout déséquilibre aurait provoqué un état de maladie, physique ou mentale.
L’imprégnation de cette conception, qui va rester en vigueur jusqu’au Moyen Âge, est telle qu’elle est encore perceptible de nos jours, deux mille ans plus tard. Lorsque nous associons un type de personnalité et un trouble mental, comme le pessimisme et la dépression par exemple, nous perpétuons ainsi à notre insu cette théorie aujourd’hui reconnue infondée.
Au Moyen Âge, d’autres types d’explication du trouble mental viennent s’ajouter. La conception religieuse sera la plus développée : selon saint Thomas d’Aquin, les personnes seraient comme sous l’emprise du démon qui les dépossède de leur raison, ce qui leur vaudrait l’attribut de « fou ». Ils sont alors plutôt considérés comme étant du ressort de l’Église. De nos jours, le qualificatif de « possédé » est encore employé par certains pour qualifier une personne au comportement considéré comme étrange ou rapportant des idées dites délirantes (hors réalité).
Le discours théologique s’empare notamment de la mélancolie. Déjà décrite par Aristote, elle était alors un apanage des êtres d’exception ; désormais, elle « attire le diable et le retient ». On parle de l’acédie de certains moines, qui tombent dans un état de profonde oisiveté et de désespoir. Le traitement est « priez et travaillez »…
Sans explication satisfaisante, le « fou », tel qu’on le nomme, dérange autant qu’il fascine si bien que la société médiévale hésite sur la façon de le considérer.
Traité différemment sur le plan juridique, social ou relationnel, ses biens peuvent être gérés par ses proches, son droit au mariage limité ; il est également pénalement irresponsable. Parfois paria, il peut, à l’inverse, aussi être considéré comme celui qui a une liberté de parole, capable de crier ce que les autres taisent…
De plus, sans prise en charge adaptée, les manifestations des troubles mentaux pouvaient être aiguës et spectaculaires ce qui a, là encore, marqué durablement nos représentations collectives. Ne dit-on pas à un enfant qui s’agite ou à quiconque agit hors des normes sociales en vigueur : « Arrête de faire le fou » ?
L’explication psychologique des troubles mentaux émerge dès le XIIe siècle, alors que certains savants proposent que les « passions de l’âme » puissent rendre « fou ». Il existe des écrits sur les causes (étiologie), l’expression, les mécanismes et l’évolution des troubles mentaux ; pourtant, la psychopathologie en tant que discipline (du grec psukhê, âme, et pathos, maladie, soit la « science de la souffrance psychique ») mettra encore plusieurs siècles à s’imposer…
Le discours médical commence à prendre de l’ampleur au XVIIe siècle, alors que la perception de certains « états d’âme » est toujours très associée aux artistes, caractérisant ainsi nombreux peintres et écrivains. Cette association entre folie et créativité a traversé le temps et persiste dans les représentations actuelles (on parle de « l’artiste tourmenté », de « folie créative »…).
[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]Les connaissances médicales explosent toutefois, et les troubles mentaux deviennent des affections à soigner : on les étudie, on les inventorie, on les catégorise. Ainsi en 1798, le réputé aliéniste Philippe Pinel publie sa « Nosographie philosophique ou méthode de l’analyse appliquée à la médecine ». Refusant à ce stade le questionnement étiologique (sur les causes), il s’exerce à classer les personnes, nommées cette fois les « aliénés », en recherchant des caractères distinctifs extérieurs pour tenter d’identifier différentes variétés de « folie » (hypochondrie, mélancolie, manie et hystérie).
Par sa méthode analytique et ses observations, Pinel a posé les premières pierres de ce qui serait l’étude scientifique des troubles mentaux et leur classification. Il faut attendre encore un siècle, en 1883, pour que soit publié le « Traité de psychiatrie » du psychiatre Emil Kraepelin. Dans sa classification des troubles mentaux, le fondateur de la psychiatrie scientifique moderne décrit la dementia praecox au côté de la psychose maniaco-dépressive – une entité clinique à part entière.
Si aujourd’hui la psychiatrie est bien reconnue comme une spécialité médicale, son lourd passé stigmatisant se traduit encore aujourd’hui par sa mise à l’écart du reste de la médecine. En France, de nombreuses villes ont d’ailleurs des centres hospitaliers psychiatriques qui ne sont pas intégrés au sein des centres hospitaliers dits généraux ou « somatiques ».
Alors que le « fou » ou « aliéné » devient un « malade », on va, à partir du XIXe siècle, le prendre en charge en asile psychiatrique.
Interné, isolé, l’aliéné est alors physiquement mis à l’écart de la société où persiste l’idée d’incurabilité. Il y est visité par les professionnels comme on visite un zoo.
Les pratiques mises en place vont ici encore laisser des traces dans nos représentations par leur violence et les conséquences sur les personnes concernées, telles la lobotomisation (retrait d’une partie du cerveau) ou la contention forcée. « Se faire lobotomiser« et « être fou à lier » sont deux expressions communes issues de ces pratiques. Durant cette période asilaire (qui s’est étirée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale), des progrès médicaux sont certes réalisés, mais souvent au prix d’atteinte à l’éthique et aux personnes derrière les troubles.
Toutefois, les malades, considérés sous le prisme de la conception médicale, ont désormais des droits. La loi de 1838 stipule par exemple que leur admission en asile doit se faire sur certificat médical, et qu’ils doivent recevoir des soins – la possibilité de guérison, et donc de sortie, est également mentionnée.
À la fin du XIXe siècle, Jean-Martin Charcot et Guillaume Duchenne fondent la neurologie (étude des atteintes du système nerveux) et proposent de nouvelles formes de thérapie, fondée sur l’hypnose, l’électricité, etc. Ainsi, certaines de ces méthodes, par exemple les électrochocs, viennent colorer nos représentations de la psychiatrie. Pourtant ces pratiques d’hier ne reflètent plus celles d’aujourd’hui. L’électroconvulsivothérapie (ECT ou sismothérapie, induction de convulsions par l’électricité chez le malade) souffre nettement de ce lourd héritage.
Le poids de l’histoire des prises en charge des maladies mentales pèse encore aujourd’hui. Les services d’urgences psychiatriques accueillent toujours des personnes en état de détresse importante, n’ayant pas consulté auparavant par peur d’être « internées »… Beaucoup craignent d’être attachées physiquement, « assommées » chimiquement voire enfermées. La démarche de consulter un professionnel de santé mentale est donc lourde et associée à de nombreux freins.
Le difficile recours aux soins en santé mentale est un problème de santé publique. D’où l’importance de partager l’évolution des connaissances concernant la santé mentale au plus grand nombre – et de modifier les pratiques de soin et d’accompagnement des personnes en accord avec ces évolutions.
Les traitements médicamenteux continuent d’évoluer et prouvent leur efficacité pour modifier, diminuer voire supprimer certaines manifestations des troubles (ou symptômes). Pour exemple, l’arrivée des neuroleptiques ou antipsychotiques de nouvelle génération vers 1950 a pu participer à améliorer l’état de santé psychique des personnes atteintes de schizophrénies, de manies ou de crises suicidaires. Des effets secondaires persistent néanmoins, souvent lourds mais de plus en plus pris en compte par les professionnels de santé mentale.
Les manifestations externes (et internes) des troubles amoindries, on assiste à un vaste mouvement de désinstitutionnalisation poussant à réintégrer les personnes concernées dans la société, en tant que citoyen à part entière. En atteste le développement des centres médico-psychologiques et d’hôpitaux de jour permettant de réduire les durées d’hospitalisation et d’inscrire la question de la santé mentale dans la cité.
Le risque serait de tomber dans l’objectif de rendre tout un chacun plus adapté à la société, plus dans la « norme » au sens de « comme la plupart des gens » (avoir un travail, une vie de famille, des enfants, etc.)… Et ce au détriment d’une recherche d’acceptation de l’autre par la société elle-même, fût-il différent, tout autant qu’une acceptation de soi-même.
On peut interroger ici le rôle des personnes indirectement concernées par le trouble mental. En effet, pour accepter quelqu’un dans son entourage proche (dans la famille, professionnellement, amicalement, etc.) ou encore considérer la personne derrière le trouble quand on est professionnel de santé mentale, il est plus facile de reconnaître en lui les caractéristiques qui nous sont familières.
Petit à petit, la conception médicale intègre aussi une conception psychosociale des troubles mentaux. Les prises en charge deviennent de plus en plus orientées vers une pratique de réhabilitation psychosociale, au-delà du traitement médicamenteux et en s’appuyant sur les compétences des personnes concernées par le trouble mental. Les besoins et projets des personnes sont considérés en faveur de leur rétablissement. Ces conceptions de la personne au-delà du trouble mental offrent alors la nécessité de développer de nouvelles représentations collectives centrées sur l’individu.
Finalement, même au XXIe siècle, parler de trouble mental reste complexe. Évoquer les troubles du spectre de la schizophrénie, les troubles bipolaires ou encore les troubles dépressifs, c’est potentiellement activer un panel d’émotions allant de la peur à la fascination, en passant par la compassion, la colère, la pitié, le mépris ou encore la surprise.
Ces émotions qui peuvent parfois sembler légitimes sont malheureusement bien souvent basées sur nos représentations erronées des troubles, issues des conceptions et pratiques passées. Émotions comme représentations s’entretiennent et se renforcent, ayant pour conséquence d’alimenter la stigmatisation.
Pour exemple, la peur ressentie à l’évocation d’une personne ayant une schizophrénie renverrait au sentiment de dangerosité infondé et véhiculé par les représentations collectives – notamment dans les médias. Ce qui renvoie au besoin de mise à l’écart existant à l’époque asilaire voire aliéniste.
Les ressentis sont pluriels mais ce qui est souvent commun c’est le sentiment d’étrangeté, au sens de différence de soi : le trouble mental parait loin de nous. Toute société est constituée de normes et de symboles favorisant le sentiment d’appartenance au groupe et guidant notre image de nous-mêmes et des autres. Ce qui parait en dehors des normes fait alors l’objet d’un traitement cérébral spécifique et nous impose de nous questionner sur l’attitude à avoir.
Le processus de stigmatisation tend à réduire une personne à ses manifestations en décalage à la norme, jusqu’à lui retirer une part d’humanité. Lutter contre la stigmatisation, c’est aider à percevoir l’autre de manière plus globale en tant que personne, à le réhumaniser en ne le réduisant plus à son trouble. Redevenu plus humain, c’est admettre qu’il est plus proche de soi-même.
Par conséquent, changer de regard serait accepter l’idée que l’on est en réalité tous concernés (directement ou par le biais d’un proche). Cela signifierait avoir moins peur de ce que l’on peut être, de ce que l’on peut voir, ressentir sur soi mais aussi pour l’autre. Pour mémoire, l’OMS estime qu’une personne sur quatre connaîtra d’ailleurs un trouble psychique au cours de sa vie et le suicide reste un risque important.
Pour citer cet article : M’bailara, K., Munuera, C. et Follenfant, A. (2022). « Troubles mentaux : quand la stigmatisation d’aujourd’hui reflète les conceptions d’hier », The Conversation.
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