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Certaines personnes semblent renfermer plusieurs personnalités distinctes, entre lesquelles elles alternent de façon saisissante. Dans leur cerveau, différents réseaux de neurones se modifient alors.
À l’école, Lina donnait déjà du fil à retordre à ses professeurs. Un jour, elle réussissait un devoir de mathématiques sans fautes – et le lendemain, elle obtenait tout juste un trois sur vingt. Un jour, elle écrivait de la main droite – le lendemain, elle tenait son stylo de la main gauche. Par moments, les lettres et les chiffres étaient agrémentés de fioritures artistiques, puis brusquement ces ornements disparaissaient aussi soudainement qu’ils étaient apparus.
Plus tard, bien après avoir commencé ses études, elle s’en étonnait encore. « Un jour, je me suis levée très tôt pour préparer un exposé, et j’ai découvert le texte rédigé, déjà sorti de l’imprimante », raconte-t-elle. À l’époque, elle ne savait pas encore que d’autres personnes ne « manquaient » pas comme elle des heures, des jours entiers voire parfois des semaines. Que la plupart des gens ne se réveillaient pas dans des endroits inconnus sans savoir comment ils y étaient arrivés. Qu’il ne leur arrivait jamais de trouver dans leur appartement des CD de groupes qu’ils détestent, ou que les serveurs de restaurant leur apportent des plats qu’ils n’auraient jamais commandés.
Ce n’est qu’à 20 ans qu’elle apprend qu’elle n’est pas… seule dans son corps. Sa psychothérapeute de l’époque commence à être intriguée, le jour où sa patiente semble n’avoir aucun souvenir de la dernière séance. Lina, qui a aujourd’hui un peu plus de 40 ans et ne souhaite pas qu’on révèle son vrai nom, souffre d’un « trouble dissociatif de l’identité ». Sous le nom autrefois usité de « personnalité multiple », ce phénomène est devenu un élément phare de la culture populaire. Des personnages comme Norman Bates, le tueur de femmes du film Psychose, d’Alfred Hitchcock, ou le docteur Jekyll, à la tête de Janus, et son alter ego Mister Hyde, ont marqué l’imaginaire de cette maladie. Alors que la stigmatisation de nombreuses maladies psychiques commence lentement à s’estomper, le trouble dissociatif de l’identité est l’un des derniers à être encore peu compris. Pourtant, cette pathologie est loin d’être rare : on estime qu’environ une personne sur cent y est confrontée, et il s’agit plus souvent de femmes que d’hommes. Les premiers signes de la maladie apparaissent dès la petite enfance. Selon la version actuelle du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), les personnes concernées possèdent au moins deux identités, mais souvent beaucoup plus, qui alternent les unes avec les autres le plus souvent de manière involontaire. En outre, une « partie de la personnalité », comme on l’appelle en psychiatrie, ne sait pas ce que l’autre pense ou fait, si bien que l’individu qui les abrite subit de fréquents trous de mémoire. De nombreuses personnes atteintes ne savent même pas que ces entités se partagent en réalité leur corps.
Dans le TDI, les différentes sous-personnalités (le terme exact est « partie de la personnalité » ou « état de personnalité distinct ») d’un même individu ne constituent pas seulement des facettes de cette même personne : chacune d’entre elles est un personnage complexe aux multiples facettes. Chacune possède son propre âge et son propre sexe, ses préférences en matière de nourriture, de musique ou d’habillement, et ses opinions propres sur toute une série de sujets. Quand les personnalités alternent, cela produit un changement visible aux yeux de l’entourage : c’est comme si un autre être prenait le contrôle de ce corps. Souvent, la posture et les expressions faciales du sujet se modifient, une voix ferme et sonore peut soudain se transformer en souffle fluet et délicat… Il y a aussi des effets physiques évidents : par exemple, telle ou telle sous-personnalité a parfois ses propres allergies. Certaines sont aveugles ou paralysées, d’autres n’ont aucun handicap… Les pupilles des unes sont étroites, celles d’autres dilatées.
Si vous trouvez cela difficile à croire, rassurez-vous, vous n’êtes pas le ou la seule. Une bonne partie des spécialistes restent également sceptiques, et voient ce tableau clinique comme une construction médiatique. Ce qui n’est pas entièrement faux. Le phénomène a commencé en 1973 avec la publication de Sybil, roman inspiré de la vie de Shirley Mason, une femme du Minnesota qui disait posséder quelque seize personnalités. Dès la sortie du livre, des milliers d’Américains et d’Américaines affirmèrent tout à coup être également dans ce cas-là. Puis, dans les années 1980, quand la personnalité multiple est pour la première fois l’objet d’un diagnostic officiel, des dizaines de milliers revendiquent à leur tour ce statut. C’est une affaire qui fait les gros titres, et le public en est très friand. Eh bien, aujourd’hui, tout porte à croire que derrière le cas Sybil se cachait en réalité une vaste escroquerie. La psychiatre de Shirley Mason aurait incité sa patiente à faire des déclarations « chocs », qui dopèrent les ventes de sa biographie, dont une partie des gains furent reversés à la psychiatre…
D’où une interprétation dite « sociocognitive » du TDI : selon ce point de vue, les thérapeutes convaincus de l’existence des personnalités multiples suggéreraient à leurs patients de faux souvenirs et les pousseraient à jouer le jeu du clivage intérieur jusqu’à ce qu’ils y croient eux-mêmes. Même des spécialistes renommés comme la spécialiste de la mémoire Elizabeth Loftus estiment que le trouble dissociatif de l’identité provient de l’imagination. Ce n’est pas seulement un jeu d’acteur ou une suggestion.
Mais pour d’autres, comme la neuropsychologue Yolanda Schlumpf de l’université de Zurich, cette idée a été invalidée depuis longtemps. Schlumpf est une des rares chercheuses au monde à s’être spécialisée dans l’étude de ce trouble. Et d’autres abondent en son sens : ainsi, en 2012, des chercheurs dirigés par la neuroscientifique Simone Reinders, du King’s College de Londres, ont formellement réfuté l’idée que les patients joueraient simplement des rôles différents. Ils ont comparé l’activité cérébrale de 11 personnes diagnostiquées TDI avec celle de 18 personnes non atteintes qui devaient imiter un changement de personnalité. Une partie des sujets sains avaient une imagination particulièrement développée, ce qui leur permettait de jouer de façon convaincante. Mais même les plus imaginatifs d’entre eux n’ont pas réussi à produire le schéma d’activation cérébrale caractéristique qui s’est produit chez les patients, avec notamment des activations différentes dans des régions comme l’hippocampe, l’amygdale, l’insula ou le noyau caudé. Même les acteurs professionnels ne parviennent pas à incarner différents rôles de manière suffisamment crédible pour que les scanners cérébraux ne sachent plus les distinguer de ceux souffrant du trouble. Parce que, en réalité, le changement ne concerne pas seulement le comportement visible de la personne : ses réactions aux stimuli visuels ou sonores sont différentes, aussi bien au niveau cérébral que de la pression sanguine ou du rythme cardiaque.
D’où vient le trouble dissociatif de l’identité ? Il se développe presque toujours chez des personnes ayant subi une intense souffrance psychique avant l’âge de 5 ans. Les sévices infligés par les parents ou les adultes de référence laissent une trace particulièrement profonde. Selon Yolanda Schlumpf, de tels abus dans la petite enfance sont « un poison pour le psychisme ». Typiquement, les personnes à la personnalité multiple ont subi des abus sexuels de la part de membres de leur famille, beaucoup ont été victimes de violences rituelles, de tortures, de viols ou de prostitution enfantine – il n’est pas rare que le crime organisé soit derrière tout cela « C’est ce qui s’est passé pour moi aussi », raconte Lina, qui ne souhaite pas livrer plus de détails pour protéger son identité. « Petite, je portais toujours des cicatrices étranges et des blessures inexplicables à différents endroits du corps. Les violences que je subissais ne se gravaient pas de façon nette dans ma mémoire, les souvenirs de ces épisodes étaient vagues et irréels. » Leur réalité n’a commencé à prendre chair que lorsqu’une assistante sociale a pris les explications de la jeune femme au sérieux, et que l’on a trouvé dans une forêt des preuves de ses déclarations : des balles à blanc provenant d’un simulacre de fusillade. Elle se rappelait avoir assisté à une scène où des malfaiteurs avaient ainsi tenté d’intimider une personne qui comptait les dénoncer à la police.
Ce que ces gens ont vécu est si grave que leur récit est parfois difficile à supporter, même pour des thérapeutes expérimentés, raconte la psychothérapeute Michaela Huber, également spécialisée dans le traitement du trouble dissociatif de l’identité. « Je pense que c’est aussi pour cette raison que le trouble est souvent remis en question. Beaucoup ne veulent pas admettre qu’un fait aussi cruel puisse réellement se produire. » Lorsqu’une personne subit des mauvais traitements tôt dans sa vie, ceux-ci sont souvent commis par des parents ou d’autres proches. Le déchirement de l’enfant qui, d’une part, aime la personne de référence et, d’autre part, veut s’en éloigner de toutes ses forces entraîne un clivage intérieur. « Dire que la personnalité se brise n’est cependant pas la bonne métaphore », précise la thérapeute en traumatologie. « En réalité, elle ne peut même pas se souder. » En effet, les jeunes enfants n’ont pas encore de moi stable. Comme beaucoup de facultés cognitives, la capacité à se concevoir en tant qu’être autonome est déjà latente en chacun avant la naissance. Mais pour la développer, il faut un entourage attentionné et aimant, soulignent les psychologues du développement. Qui n’a jamais connu d’environnement protégé, qui subit la cruauté au quotidien et doit malgré tout aller à l’école chaque jour, reste pour ainsi dire bloqué dans des « états individuels » : l’état « victime de violences », l’état « élève attentif », etc. Et rien de tout cela ne peut être unifié en un tout cohérent. C’est pourquoi la théorie actuelle la plus prometteuse sur le trouble dissociatif de l’identité distingue deux types de personnalités intérieures : les sous-personnalités « apparemment normales » et les sous-personnalités « émotionnelles ». Les premières gèrent le quotidien, n’ont aucun souvenir des atrocités subies et parviennent ainsi à fonctionner en société. Les secondes sont porteuses du traumatisme. C’est en elles que le vécu refait surface avec violence dès qu’un indice extérieur le déclenche. De tels flash-back ressemblent à ceux que connaissent les personnes souffrant d’un trouble de stress post-traumatique : une odeur, un bruit ou un contact produisent alors soudainement un afflux de souvenirs irrépressibles. Là aussi s’opère une dissociation entre les moments de résurgence du traumatisme et ceux, plus nombreux, où s’écoule la vie normale. Résultat : l’événement dramatique n’est pas intégré normalement dans la mémoire. Il est toujours vécu de manière déconnectée de son contexte, de l’espace et du temps, et pour cette raison est perçu comme réel et aussi menaçant que la première fois.
Dans le cas du trouble dissociatif de l’identité, les spécialistes supposent que cette déconnexion est encore plus radicale. Le traumatisme est survenu si tôt et sa gravité a été telle que ce n’est pas seulement le souvenir qui s’isole, mais toute une identité qui grandit autour de lui. L’inimaginable ne peut pas faire partie de la conscience quotidienne, mais doit exister de manière détachée – cloîtré en toute sécurité dans un autre être. Le dédoublement est ainsi tout à la fois un trouble du développement de la personnalité et un mécanisme de protection psychique . Parfois, des sous-personnalités émotionnelles ont un rôle d’agents protecteurs du « système », c’est-à-dire de la personne qui abrite toutes ces personnalités, dans les moments de menace réelle ou ressentie. De telles personnalités intérieures sont souvent, d’ailleurs, des adolescents de sexe masculin. « Dans mon cas, c’était Bo, et il avait 16 ans, raconte Lina. Bo est assez dur. Il pratique les arts martiaux, fume et boit son café noir. »
Dans un grand nombre de cas, le clivage présente un motif assez précis. À côté des sous-personnalités d’enfants traumatisés ou au contraire insouciants, on trouve des adolescents protecteurs ou des personnalités du quotidien peu exigeantes, mais aussi un autre type de personne intérieure, source de tourment. C’est depuis laquelle les agresseurs semblent parler directement. Elle s’exprime souvent en ces termes : « Si on t’a fait du mal, c’est bien fait pour toi ! Tu ne mérites pas mieux. » Michaela Huber explique qu’on les appelle des « sous-personnalités imitant l’auteur des actes ». Une partie de la personne traumatisée s’identifie ainsi à l’agresseur. Huber ajoute : « Du reste, les enfants gravement traumatisés se séparent complètement de ces sous-personnalités, ce qui donne naissance à une sorte d’ennemi intérieur. » La déchirure originelle favorise apparemment une fragmentation toujours plus profonde de l’identité, ce qui génère l’apparition de plus en plus de personnes intérieures.
En 2014, Yolanda Schlumpf et ses collègues ont mené une étude pour vérifier la théorie des deux types de personnalités intérieures. Pour ce faire, les scientifiques ont observé l’activité cérébrale de personnes diagnostiquées TDI au moyen de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Selon le protocole expérimental utilisé, les 15 participants devaient d’abord donner le contrôle à une de leurs personnalités quotidiennes, avant que celle-ci ne s’efface et qu’une personne intérieure traumatisée ne passe au premier plan. L’une des participantes à l’expérience était justement… Lina. « À ce moment-là, déclara-t-elle, je pouvais déjà laisser certaines personnalités intérieures venir sur le devant de la scène. Elles prenaient quasiment le contrôle de mon corps, tandis que d’autres voyaient et entendaient tout, comme derrière une grande fenêtre. J’ai appris à contrôler cela consciemment en thérapie », raconte-t-elle. Une sous-personnalité, nommée Kira, s’est alors placée dans le scanner d’imagerie cérébrale. Elle fait partie de « l’équipe de tous les jours » de Lina, reste toujours calme et réfléchie, a de longs cheveux blonds, est végétalienne et bouddhiste. À la demande des chercheurs, Rosa a ensuite pris le relais. Rosa est une fillette de 6 ans qui se souvient très bien de la violence qu’elle a subie.
Que voit-on dans le cerveau de Lina ? Il se produit des alternances d’activité cérébrale qui semblent correspondre à la théorie dite « de la dissociation structurelle ». Chez les personnalités émotionnelles comme celle de Rosa, l’activité du cortex préfrontal dorsomédian et du cortex orbitofrontal est accrue. Ces régions du cerveau antérieur contribuent à déterminer ce que nous considérons comme une menace. L’équipe de chercheurs a estimé que cela indiquait que ce type de personnes intérieures se focalisaient davantage sur les dangers. Par rapport à « l’équipe de tous les jours », le cortex somatosensoriel et le cortex moteur – des zones permettant de sentir et d’agir dans son propre corps – étaient en outre plus actifs chez les personnalités émotionnelles. De telles parties sont probablement plus en contact avec leurs émotions et leurs sensations corporelles, tandis que les personnalités quotidiennes comme Kira, tranquille et insouciante, sont plutôt déconnectées de leur monde émotionnel réel. Chez les personnalités intérieures comme Rosa s’observe un plus haut degré d’excitabilité à travers divers signes de stress physique, d’accélération du pouls et d’augmentation de la pression artérielle.
Le cerveau d’une patiente atteinte de trouble dissociatif de l’identité se présente dans deux états distincts. Le premier état de la patiente (à gauche) est une personnalité nommée Kira, qui reste toujours calme et réfléchie, possède de longs cheveux blonds, est végétalienne et bouddhiste. Le second état est une personnalité prénommée Rosa, une fillette de 6 ans qui se souvient très bien de la violence qu’elle a subie et présente un profil très émotif, voire agité. Sur les images, Rosa se distingue principalement de Kira par une activité cérébrale plus intense dans le cortex préfrontal dorsomédian, qui permet de déterminer ce que nous considérons comme une menace, et dans les zones du cortex moteur, prémoteur et de l’aire prémotrice supplémentaire, qui permettent de sentir son propre corps et d’agir physiquement. Ces différences sont uniquement observées en cas de trouble dissociatif, et non chez des comédiens qui cherchent à simuler plusieurs personnalités.
« L’activité cérébrale de la partie émotionnelle de la personnalité rappelle fortement les schémas que nous voyons chez les patients souffrant d’un trouble de stress post-traumatique », commente la responsable de l’étude, Yolanda Schlumpf. On pense aujourd’hui que les deux troubles sont étroitement liés. Le chaînon manquant entre les deux étant probablement le sous-type dissociatif du trouble de stress post-traumatique, souvent résultat de traumatismes interpersonnels particulièrement graves et précoces. Alors que le trouble de stress post-traumatique se caractérise généralement par un fort degré d’excitation émotionnelle et par une reviviscence du traumatisme, les cas dissociatifs mettent l’accent sur le détachement par rapport à ce qui a été vécu. Ce qui se traduit également par la suppression neuronale des souvenirs et des sentiments pénibles, et par une hyperactivité des zones cérébrales préfrontales, qui agissent sur les systèmes sous-corticaux de la peur et de la douleur, dont l’amygdale. La différence décisive est que dans le cas du trouble dissociatif de l’identité se produit de surcroît un éclatement en plusieurs états de personnalité apparemment normaux. Chacune de ces sous-parties possède aussi sa propre conscience de soi.
D’autres points communs sont à trouver dans le cerveau des personnes concernées. Les personnalités multiples et les personnes souffrant de stress post-traumatique ont les unes comme les autres un hippocampe dont la taille est réduite. Cette région du cerveau fait partie du système limbique et traite à la fois les émotions et les souvenirs. Un stress extrême peut provoquer la mort des neurones dans cette zone tout en réduisant la production de nouvelles cellules nerveuses. Or une analyse de plusieurs études, parue en 2021, a révélé que le volume de l’hippocampe était encore plus faible chez les personnes souffrant d’un trouble dissociatif de l’identité que chez celles souffrant d’un trouble de stress post-traumatique…
Les problèmes engendrés par un dédoublement de la personnalité peuvent être atténués par une thérapie appropriée. Celle-ci poursuit deux grands objectifs : le traitement du traumatisme et la médiation entre les différentes personnalités intérieures. Le traitement est similaire à celui d’un trouble de stress post-traumatique, selon Michaela Huber. « Mais nous, les thérapeutes, devons d’abord aider les personnes concernées à construire des ponts entre les différentes personnes intérieures. Ce n’est qu’alors qu’elles peuvent commencer à communiquer et à coopérer. » De fait, Huber s’occupe de chaque personne intérieure individuellement. Par la suite, elle transmet par exemple à l’une ce que l’autre a dit, ou demande au plus grand nombre possible de sous-personnalités d’écouter en même temps, afin qu’elles apprennent à se consulter intérieurement les unes les autres. L’objectif n’est pas d’atteindre une fusion des parties qui n’aboutirait finalement qu’à une personnalité unique. Au fond de soi, il y aura toujours un « nous », dont les parties échangeront de mieux en mieux, espère-t-on.
Au terme d’une thérapie de plusieurs années, certaines personnes avec un TDI parviennent à mener une vie normale et autonome. Mais un tel traitement reste encore inaccessible à de nombreux patients. « Il faut davantage de thérapeutes bien formés et d’institutions psychiatriques qui s’y connaissent sur cette question », plaide Yolanda Schlumpf.
Alors, qui est Lina aujourd’hui, après une psychothérapie réussie ? « Difficile à dire, confie l’intéressée, mais nous nous sommes rapprochées. » Les murs qui séparaient ses deux compartiments sont devenus plus poreux. Après avoir quitté un milieu social où elle restait en butte à la violence, elle a dû officiellement adopter une nouvelle identité. Son « équipe intérieure » a alors décidé ensemble du nom qu’elle porterait désormais. Aujourd’hui, elle prépare un doctorat en pédagogie dans une université allemande et donne en parallèle des conférences dans des centres de traumatologie.
Dans son entourage, personne ne connaît les détails de son passé. Les changements sont désormais si subtils que les personnes extérieures ne remarquent rien. Son équipe interne la soutient. Si l’un de ses membres n’est pas très doué pour jouer ce rôle de soutien (si c’est une personnalité peu aimable, ou trop anxieuse), un autre le remplace. Ainsi, Lina n’est pas seulement détentrice des capacités de ses nombreuses personnalités. Aujourd’hui, elle connaît cette part du passé que ses protecteurs intérieurs ont désespérément essayé de lui cacher, qui était si difficile à admettre et dont elle a dû se séparer intérieurement pour survivre.
Dans les cas de dissociation de l’identité, des fonctions psychiques normalement liées chez un individu se retrouvent séparées les unes des autres. Cela peut concerner la perception, la mémoire ou encore la conscience et le sentiment d’identité. Concrètement, les personnes entrent en dissociation le plus souvent dans des situations où leur vie est en danger. Des parties de ce qui a été vécu sont alors temporairement exclues de la conscience du quotidien. C’est par exemple le cas lorsque l’on ne ressent aucune douleur peu de temps après un accident. Si la personne n’a aucun moyen de se soustraire à son agresseur ni de lui résister peut se produire un phénomène appelé « shutdown », un état de choc où la perception, les sensations et la capacité de réaction sont comme « éteintes ». Ce programme d’urgence mis en action par l’organisme est utile dans certaines situations extrêmes, mais il devient parfois incontrôlable. En cas de danger permanent – lorsque les enfants sont constamment exposés à la négligence et à la violence – la dissociation devient souvent le mécanisme central de la survie.
Malheureusement, le mécanisme de clivage de la personnalité permet aux auteurs d’agression de mieux contrôler les enfants qu’ils maltraitent et de s’assurer que leur traumatisme ne soit pas immédiatement perceptible dans leur vie quotidienne. Les victimes souffrant d’un trouble dissociatif de l’identité ne dénoncent pas souvent les agresseurs, car elles ont peur des conséquences. Même lorsqu’elles essaient, elles sont rarement entendues. Le problème est que les témoignages sont évalués selon certains critères de crédibilité auxquels les personnes souffrant d’un trouble dissociatif de l’identité ne peuvent guère satisfaire. Elles ont des souvenirs imprécis, voire lacunaires de ce qui est arrivé, et souvent ne parviennent à reconstituer les fragments de leur mémoire qu’après des années de psychothérapie, qui risquent d’être considérées comme une influence par un tribunal. Sans compter qu’elles peinent particulièrement à raconter une histoire cohérente. C’est pourquoi des réseaux se sont constitués dans certains pays (dont la Suisse), au sein desquels les personnes concernées, les thérapeutes, la police et la justice collaborent pour rendre possibles les poursuites pénales : https://nko.swiss.
Article paru dans
Cerveau & Psycho n°146 – Septembre 2022
Le phénomène des troubles dissociatifs de l’identité (TDI) semble de plus en plus visible dans l’espace public, en témoignent de nombreuses chaînes YouTube d’influenceurs sur internet, émissions de télévision, films ou séries. Décryptage avec Jacques-Antoine Malarewicz, psychiatre et thérapeute familial.
Le trouble de la personnalité borderline est l’une des maladies psychiatriques les plus stigmatisées. Mais est-il forcément lié à un traumatisme – quelles que soient sa nature et sa gravité ? La question se doit d’être posée afin d’améliorer la prise en charge des patients.
Vivez-vous avec une personne « toxique », qui vous ment et vous manipule en permanence, uniquement pour arriver à ses fins ? Pour le savoir, il s’agit de bien comprendre qui sont ces individus.
Certains individus ont une personnalité pathologique, qui provoque une souffrance, voire une altération du fonctionnement : ils sont paranoïaques, antisociaux, narcissiques, obsessionnels, etc. Que signifient ces termes ?
Condamnée à dix ans de prison pour avoir tué son mari violent avec un fusil de chasse puis finalement partiellement graciée, on dit d’elle qu’elle a vécu quarante-sept ans d’enfer. Pour les victimes de violences familiales, cet enfer porte un nom : la dissociation psychique.
On commence à mesurer l’importance de l’intéroception, le sens de la perception du corps. Tout dysfonctionnement peut entraîner des distorsions de l’image corporelle.
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Corinna Hartmann est journaliste scientifique.
Les troubles dissociatifs de l’identité ne seraient pas seulement une invention de quelques personnes désireuses de créer le buzz sur internet.
Psychiatres et neuroscientifiques observent de véritables alternances entre plusieurs sous-personnalités à l’intérieur d’un même individu.
Ces « personnalités multiples » seraient le plus souvent consécutives à des traumatismes d’enfance, et concerneraient une personne sur cent environ.
Les personnes ayant vécu un traumatisme semblent considérer que les mauvais traitements ont été vécus par une partie d’eux-mêmes, tandis que l’autre continue de vivre normalement. D’où une séparation en plusieurs entités.
D. Blihar et al. : A meta-analysis of hippocampal and amygdala volumes in patients diagnosed with dissociative identity disorder, Journal of Trauma & Dissociation, 2021.
A. Reinders et al. : Fact or factitious ? A psychobiological study of authentic and simulated dissociative identity states, Plos One, 2012.
A. Reinders et D. J. Veltman, Dissociative identity disorder : Out of the shadows at last ? The British Journal of Psychiatry, 2020.
Y. R. Schlumpf et al. : Dissociative part-dependent resting-state activity in dissociative identity disorder : A controlled fMRI perfusion study, Plos One, 2014.
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