Critique. Dans Un mois à la campagne, Clément Hervieu-Léger s’empare avec grâce de l’œuvre du dramaturge russe Ivan Tourgueniev en parvenant à dépeindre, avec une extrême délicatesse, les tourments de la passion amoureuse. Subtile et émouvante, cette pièce est un moment de théâtre d’une grande beauté.
La dernière fois que nous avions vu le travail de Clément Hervieu-Léger, c’était en 2019 dans ce même théâtre des Célestins, qui l’avait accueilli avec sa troupe pour une magnifique adaptation de la pièce de Goldoni, Une des dernières soirées de carnaval.
Le metteur en scène, sociétaire de la Comédie française depuis peu, proposait déjà d’explorer la subtilité des interactions humaines en s’appuyant sur une intrigue simple – – le dîner d’adieu d’un tisserand vénitien, quittant ses amis pour partir à Moscou – mais qui était porteuse d’une grande puissance dramaturgique.
C’est en quelque sorte aussi le cas ici avec la pièce d’Ivan Tourgueniev, Un mois à la campagne, écrite entre 1848 et 1850, dont le synopsis pourrait tenir en quelques lignes mais dont le texte – fruit d’une fine adaptation de Michel Vinaver – vient sonder en profondeur les sentiments humains.
Une communauté, sclérosée par les habitudes et l’ennui
L’auteur russe s’intéresse aux bouleversements que suscite l’arrivée d’Alexeï, un jeune précepteur dans une famille de la bourgeoisie. La mère, Natalia, ravissante femme délaissée par son mari et lassée par son “ami-amant” Rakitine, va peu à peu succomber au charme du jeune tuteur. Lequel fait également battre le cœur de Vera, fille adoptive de Natalia.
Ce chassé-croisé amoureux – somme toute assez convenu, – ne cherche pas à s’encombrer de ressorts spectaculaires. Car ce qui intéresse Clément Hervieu-Léger, ce sont les liens intimes qui unissent chacun des protagonistes. Tous sont éprouvés par l’arrivée d’un élément extérieur qui vient troubler leur communauté, sclérosée par les habitudes et l’ennui.
Le désir de s’affranchir du superflu dans le propos se traduit d’emblée par un dispositif scénique dont les éléments ne cherchent pas à nous distraire. Quelques chaises, un fauteuil, une table et des mâts de bois ornés de lampions, disposés sur deux niveaux d’estrades.
Une sorte de scène sur la scène, où chaque personnage se positionne tour-à-tour en hauteur ou en contrebas. Une alternance simple mais très efficace, qui permet à chacun de jouer sa partition pour mieux camper son rôle et se livrer sans fard, grâce à un texte d’une très grande virtuosité.
Des nuances sur un même thème – l’amour – dessinées avec précision
On est loin, même très loin, d’un simple marivaudage. Car ce qui frappe – et nous émeut infiniment – dans le long processus d’aliénation de Natalia dévorée par son désir pour le jeune Alexeï, c’est sa capacité à conserver une immense affection pour tous ceux qui l’entourent, y compris pour sa rivale. Et ce, dans la réciprocité.
Ce profond attachement des uns aux autres ne répond pas seulement à une convenance sociale. En réalité, la pièce tente de se livrer à une subtile étude des différentes natures de l’amour, qu’il soit filial, conjugal, tendre ou passionné… autant de nuances sur un même thème qui sont dessinées avec précision, grâce notamment au jeu des comédiens.
Douce mélancolie
Clémence Boué, qui alterne entre force et vulnérabilité, campe avec justesse Natalia, guidée dans sa tourmente par son amant platonique Rakitine, joué de manière formidable par le comédien Jean-Noël Brouté, vieil ami inébranlable et véritable point d’équilibre de cette communauté. Et les jeunes comédiens, même très jeunes – avec la présence d’un enfant de 10 ans – participent d’une certaine manière à la tendresse qui émane de cette pièce, imprégnée d’une douce mélancolie.
Comme souvent, le théâtre agit comme une piqûre de rappel de notre vécu personnel. Souvenirs heureux ou douloureux, chacun saura sans nul doute replonger dans ses propres expériences avec cette pièce qui touche à l’intime. Grâce à des personnages d’une profonde humanité, cette partition nuancée et lumineuse à la fois, réussit à nous pénétrer en plein cœur.
Un mois à la campagne de Clément Hervieu-Léger, jusqu’au 19 novembre aux Célestins- Théâtre de Lyon
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