Aujourd’hui, l’industrie textile regroupe 2150 entreprises, soit 62 500 emplois (contre presque 700 000 en 1970, et 276 587 en 1998) soit 13,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 10,5 milliards issus des exportations. Depuis plusieurs années, c’est là que réside la force du « made in France » : des produits de qualité, issus d’un savoir-faire reconnu. Or, entre le très haut de gamme destiné à l’exportation et l’offre sans cesse renouvelée de la fast fashion, se dessine aujourd’hui un espace à occuper pour des produits fabriqués en France plus accessibles, et davantage en adéquation avec les enjeux environnementaux et éthiques actuels.
Alors que la crise sanitaire, et maintenant l’inflation tendent à faire baisser la demande, les enseignes « moyen de gamme » ferment les unes après les autres, victimes d’une tendance de fond qui touche le secteur textile français depuis les années 1960. Selon Dominique Jacomet “les raisons de cette situation sont multiples, la consommation d’habillement est en recul structurel. En 2019, elle n’avait pas retrouvé le niveau d’avant la crise de 2008 et en 2022, nous n’avons pas retrouvé le niveau d’avant la pandémie. Dans cette période les surfaces de vente, les mètres carrés de vente se sont multipliés, il y a une intensité concurrentielle extrêmement forte dans le positionnement du milieu de gamme avec de nouveaux entrants comme Primark ou Shein et une modification profonde du comportement des consommateurs. Avec le numérique, la responsabilité sociale et environnementale, la seconde main…tout ceci nécessite des ressources pour s’adapter aux mutations du marché“. Aujourd’hui l’activité diminue et dans le même temps les coûts de production et d’exploitation augmentent, Yves Dubief précise “en Europe, les coûts d’exploitation et particulièrement les coûts de l’énergie atteignent des sommets, tant pour l’électricité que pour le gaz, or la filière est très énergivore et les entreprises prennent de plein fouet cette hausse, malgré les aides annoncées qui vont atténuer la douleur. Il faut aussi que ces entreprises fassent une révolution industrielle dans leurs modes de process afin de réduire leur consommation d’énergie“.
Par ailleurs, le secteur du luxe se porte bien et renouvelle ses stratégies, Dominique Jacomet explique “d’une manière générale, c’est une industrie qui a réussi sa montée en gamme et qui est devenue le leader mondial des textiles et l’habillement haut de gamme. Ce qui fait que l’Union européenne est le second exportateur mondial de textiles et de vêtements, derrière la Chine. Les raisons de ce succès s’expliquent par une assez bonne adéquation entre la création, le savoir-faire et aussi le management“.
Cependant, les difficultés sont profondes : le textile dans la mondialisation rime avec désindustrialisation. Jean-Michel Minovez explique “la concurrence étrangère a joué un rôle considérable sur l’affaiblissement et sur les difficultés rencontrées par l’industrie textile française. Mais il y aussi une lame de fonds qui concerne la nature de la garde-robe entre le milieu des années 70 et le début des années 80, les vêtements lourds comme les manteaux et l’habillement dit classique sont en régression au profit de vêtements plus légers et de l’apparition du vêtement de loisir…la filière n’a pas bien pris ce virage. Par ailleurs, à cette époque de grands groupes comme la Lainière de Roubaix ou Boussac s’effondrent car ils rencontrent des difficultés de gestion et manquent de souplesse. Ce sont les entreprises qui sont plus souples, avec un rapport à la sous-traitance plus fort et dans le cadre de territoires industriels de type districts à l’italienne, qui finalement vont mieux résister“. Yves Dubief ajoute “suite à la pénurie de soie dans les années 50, les tisseurs lyonnais ont cherché à la remplacer pour se renouveler, tout en conservant leur savoir-faire, et se sont mis à tisser du carbone. Aujourd’hui, on a 50% de l’industrie d’amont qui est dans les textiles techniques. Aujourd’hui on retrouve du tissage de carbone dans la fusée Arianne, dans la carlingue de l’A320 ou dans le toit du stade olympique de Londres…“
Jean-Michel Minovez : L’industrie invisible. Les draperies du Midi XVIIe – XXe siècles (CNRS éditions, 2012)
Dominique Jacomet : Mode, textile et mondialisation (Economica, 2007)
Franck Delpal/Dominique Jacomet : Economie du luxe (Dunod, 2014)
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