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Tests douteux, conflits d'intérêts, dérives sectaires : les abus du coaching en entreprise – L'Express

Selon les professionnels du secteur, plus de 15 000 coachs professionnels exerceraient actuellement en entreprise. (illustration)
Getty Images/iStockphoto/dusanpetkovic
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Un grand sentiment d’embarras et de temps perdu. Telle est la sensation décrite par Andréa* après une après-midi de formation collective au sein de son entreprise. La séance, menée par une coach professionnelle externe à sa société et rendue obligatoire par la direction des ressources humaines (DRH), vise à apprendre aux salariés “à mieux interagir entre collègues” et à développer la “cohésion d’équipe”. Pour ce faire, la coach leur propose d’abord de remplir un long questionnaire, truffé d’interrogations sur leurs objectifs professionnels, leurs réactions à différentes situations ou leur manière de travailler. Chaque collaborateur se voit ensuite attribuer une ou plusieurs couleurs, censées représenter ses caractéristiques professionnelles principales : rouge pour “directif”, bleu pour “normatif”, jaune pour “expansif” ou vert pour “coopératif”. Andréa hérite de la couleur bleue, nuancée par “un peu de vert et de jaune”… Et d’une explication “très peu subtile” sur son supposé caractère “procédurier”.  
“Ça ne voulait pas dire grand-chose, et surtout, ça ne correspondait vraiment pas à ma personnalité”, raconte la salariée en riant. D’autant que, lors du même test réalisé quelques années plus tôt, Andréa assure avoir récolté de toutes autres couleurs. “Je me suis vraiment posé des questions sur le bien-fondé de ces tests, leur réalité scientifique, et leur utilité. Le problème, c’est que la formation entière s’est ensuite appuyée sur les couleurs de chacun : comment discuter avec un rouge, comment régler un problème avec un bleu… Franchement, ce n’était pas sérieux”, estime-t-elle.  
Dans son entreprise, ce type de coaching est pourtant régulier. Il y a un mois, une formation sur la prise de parole avec une autre professionnelle a ainsi amené Andréa et ses collègues à se lancer des regards en silence pendant une quinzaine de minutes pour “apprendre à capter l’attention des uns et des autres”, ou encore à se placer en arc de cercle en se lançant un ballon fictif tout en criant la couleur imaginaire de ce dernier. “Tout le monde était très gêné. La journée entière s’est déroulée comme ça, et personne n’a compris l’intérêt de tels exercices. Pour moi, c’était clairement du pipeau”, résume cette Parisienne. En 2022, ce type de scène n’étonne plus.  
Contrôle du stress, gestion de projets, management, accompagnement dans une prise de fonction ou “développement du leadership”… Par le biais d’entretiens individuels ou de formations collectives, les entreprises n’hésitent plus à faire appel à ces coachs professionnels, parfois regroupés au sein de grands cabinets spécialisés ou de plateformes en ligne. Poussé par une forte demande depuis le début des années 2010, le marché a explosé. “Nous sommes passés de 680 adhérents en 2011 à 1640 en 2022”, indique Line Gini, présidente de la branche française de l’International Coaching Federation (ICF), l’une des principales associations de coachs professionnels français. Et ce succès ne semble pas s’essouffler : rien que pour l’année 2021, l’organisme a observé une hausse de 20% de ses adhérents. 
Pour recenser et représenter tous les nouveaux arrivants du secteur, un Syndicat Interprofessionnel des Métiers de l’Accompagnement, du coaching et de la supervision (SIMACS) a même été créé en 2019, regroupant les plus grandes fédérations de coachs, qui délivrent toutes leurs propres certifications et accréditations. Selon son président, Gilles Dufour, “plus de 5000 personnes” seraient actuellement adhérentes au SIMACS, et ainsi reconnues comme coachs professionnels, superviseurs ou mentors de ces derniers. “Mais en réalité, nous estimons à environ 15 000 le nombre total de coachs travaillant en entreprise en France, et à plus de 50 000 ceux spécialisés autour du coaching de vie et du coaching professionnel”. 
Selon la sociologue Scarlett Salman, auteure d’Aux bons soins du capitalisme ; le coaching en entreprise (Les Presses de Sciences Po, 2021), ce succès s’explique notamment par un profond “changement du modèle de management” dans les entreprises depuis les années 1970. “Dans ces organisations plus flexibles et tertiarisées, le rôle du manager change : les travailleurs ne doivent plus être de simples exécutants, mais apprendre à mieux se coordonner pour prendre des initiatives”, explique cette maîtresse de conférences à l’Université Gustave Eiffel. Dans un tel contexte, les coachs spécialisés apparaissent alors comme les meilleurs accompagnateurs des salariés, capables de définir leurs objectifs, travailler leurs compétences relationnelles et professionnelles… Et surtout, améliorer leur productivité.  
En octobre 2022, l’Observatoire paritaire des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil et de l’événement (Opiiec) estimait ainsi le marché du coaching professionnel à 750 millions d’euros par an, et celui de la supervision professionnelle à 22 millions d’euros. En moyenne, le tarif horaire d’un coach est, lui, estimé à 240 euros, pour un chiffre d’affaires moyen de 45 000 à 50 000 euros par an… De quoi susciter des vocations. Depuis quelques années, les formations au coaching professionnel se multiplient, un peu partout en France. En avril 2021, le SIMACS a d’ailleurs obtenu de France compétences la possibilité de certifier les sortants de certaines écoles par un titre de “coach professionnel”, inscrit au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Pas moins de 15 écoles étaient reconnues par le syndicat fin 2021. “Elles seront 28 fin 2022”, se réjouit Gilles Dufour. Mais là encore, le président du SIMACS admet que le marché est bien supérieur à cette trentaine d’établissements. “En tout, nous estimons qu’il existe entre 80 et 100 formations, masters ou écoles préparant au coaching professionnel en France”. 
Dans cette jungle d’accréditations en tout genre, comment éviter les arnaques, voire les dérives ? En quelques clics, n’importe quel aspirant au coaching professionnel peut en effet trouver des dizaines de formations, certifiées ou non, allant de quelques semaines à plusieurs mois d’enseignement et pour des sommes comprises entre 5000 et 15 000 euros. Entre la formation de l’école de commerce HEC Paris, celle proposée par l’université Paris 8 ou le master en “Coaching et développement professionnel” de l’IAE de Bordeaux se glissent parfois des formations bien plus douteuses. À grand renfort de formules chocs telles que “apprenez à créer un impact positif et durable autour de vous” ou “créez une carrière lucrative et pleine de sens” et d’avis dithyrambiques, beaucoup proposent des cours basés sur “les neurosciences, la programmation neuro-linguistique (PNL), l’ennéagramme ou encore l’hypnose” – autant de pratiques issues de pseudo-sciences à ce jour non vérifiées scientifiquement, et parfois mêlées à des techniques de psychologie ou de psychothérapie ultra-simplifiées. 
“Il y a un vrai mélange des genres, avec des écoles très professionnelles et d’autres qui vous forment en 15 jours en proposant des cours uniquement en ligne et en promouvant la pensée magique. C’est à fuir”, décrypte Florence Soustre-Gasser, présidente de la branche française du Conseil national du coaching, du mentorat et de la supervision (EMCC). Récemment, cette coach professionnelle lisait encore sur la page d’accueil de l’une d’elles que “les êtres humains sont constitués de particules de lumière”. Présidente de la Société française de coaching (SFCoach), sa consoeur Catherine Snyers confirme. “Il faut être extrêmement vigilant. Ce n’est pas parce que vous avez le permis que vous savez conduire. Pour le coaching, c’est pareil : une simple certification n’est pas toujours gage de qualité”. Lydia Martin, psychologue du travail pour la plateforme de e-santé Alan, se dit ainsi “intransigeante” lorsqu’elle sélectionne les profils de coachs en entreprise avec lesquels elle travaille. “Je regarde leur parcours et leurs diplômes, certes, mais aussi les activités qu’ils exercent en parallèle et les outils qu’ils proposent”, explique-t-elle. Pour cette docteur en psychologie, certaines références sont éliminatoires. “Dès que les prétendus coachs mélangent une dizaine d’outils comme l’hypnose, la PNL ou l’ennéagramme, je me méfie. Idem quand ils se présentent sur LinkedIn avec des phrases douteuses ou ridicules, comme ‘je suis capable de développer votre agilité comportementale’ ou ‘je suis alchimiste du bien-être en entreprise'”.  
Alors que certains coachs professionnels proposent par exemple sur leur site Internet de “jardiner autrement son carré professionnel”, en utilisant la numérologie – une pseudo-science qui attribue des propriétés spécifiques à des nombres -, ou la cartomancie – un art divinatoire basé sur le tirage des cartes -, les grandes fédérations de coachs tiennent à différencier “coaching professionnel” et “développement personnel”. “Les techniques plus ésotériques ou spirituelles que sont la tarologie ou la numérologie n’ont rien à faire dans le coaching professionnel”, martèle Line Gini. La présidente d’ICF France précise néanmoins que certaines méthodes, comme la méditation, peuvent être communes aux deux disciplines. “Quand un client fait appel à un coach, il doit d’ailleurs définir concrètement jusqu’où il a envie d’aller, et pouvoir dire stop quand il le souhaite. Un coach professionnel n’a pas à être un quelconque gourou”. 
Et pourtant. La pratique du coaching n’étant pas clairement réglementée, “on peut bel et bien retrouver des propositions spirituelles dans les offres de coaching, y compris de la numérologie, de la cartomancie ou des choses en relation avec ‘les énergies'”, assure Elisabeth Feytit, créatrice du podcast Méta de choc. Pour cette documentariste, qui a longuement travaillé sur le sujet, il est ainsi possible de se retrouver face à certaines dérives sectaires, menées par “des coachs manipulateurs avec un objectif financier, sexuel ou d’abus de pouvoir”, pour lesquels l’entreprise devient un “milieu de recrutement comme un autre”. Dans son dernier rapport, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) insiste d’ailleurs sur ce point, et indique que parmi les 173 saisines concernant le développement personnel traitées en 2021, 94 concernaient spécifiquement le coaching. “Très souvent, il est fait un usage abondant d’une terminologie pseudo-scientifique avec l’usage de termes empruntés à la médecine (…), la psychologie (…) ou la spiritualité (…). Ce langage donne une illusion de sérieux à un contenu imprécis et non exempt d’amateurisme”, relève la Miviludes. Qui enfonce le clou : “Ces procédés ont pour caractéristique commune, dans leurs théories et dans leurs pratiques, d’accorder une place importante voire exclusive à des notions extrêmement malléables et sans référentiel académique précis”. 
“Le problème, c’est que certains coachs pratiquent ce que j’appelle de la braderie de psychothérapie. Et ça peut détruire certaines personnes”, commente Nicolas Sajus, docteur en psychologie et psychopathologie clinique. Depuis une dizaine d’années, l’homme prend en charge des victimes de coachs malintentionnés ou de séances de coaching ayant dérapé. “On enferme les personnes dans des cases en fonction d’un chiffre ou d’une couleur : les gens y croient, puis certains s’effondrent parce qu’ils ne comprennent pas et sont définis comme tel pendant des mois”, explique-t-il. “Il y a des employés qui ont entendu qu’ils étaient porteurs du mal-être de leurs ancêtres, ou d’autres qui ont été poussés à bout par l’effet de groupe durant des coachings collectifs… Ça peut être dévastateur”. D’autant que pour certains de ses patients, le coaching professionnel s’est transformé en manipulation psychologique. Harcelée sexuellement par son chef, une salariée aurait ainsi été accompagnée par une coach professionnelle payée par l’entreprise, venue “dédramatiser son expérience” et “minimiser les événements”. “Elle a fait un effondrement dépressif, a eu des idées suicidaires, et a quitté son lieu de travail”, décrit un témoin. Dans une autre société, un manager “tyrannique” a été laissé en poste après un coaching professionnel censé lui apprendre à communiquer avec ses équipes, raconte un salarié : “L’entreprise s’est défaussée comme ça, mais ça n’a rien donné. Plusieurs salariés ont fini par démissionner, à bout”.  
De son côté, Florence Soustre-Gasser rappelle que chaque coach professionnel a le devoir de respecter un code de déontologie, qui interdit par exemple au professionnel d’avoir une relation personnelle avec le “coaché”, de divulguer des informations échangées lors des séances, ou encore d’exercer tout abus d’influence. “Mais il nous arrive parfois de recevoir des plaintes pour non-respect de cette déontologie”, admet la présidente d’EMCC France. L’une d’elles, déposée l’année dernière, concernait justement un coach accusé d’avoir “mélangé les postures” entre coaching professionnel et thérapie. Une autre, déposée récemment par un salarié licencié, accusait une coach de “positionnement non-éthique” après que cette dernière est intervenue dans l’entreprise auprès d’équipes entières d’employés, mais aussi du dirigeant et de différents managers. “Cette multiplication des points de vue n’est pas acceptable”, souligne Florence Soustre-Gasser.  
Selon elle, chaque coach doit d’ailleurs veiller à ce qu’aucun conflit d’intérêts ne puisse venir entacher le travail des professionnels. “Le coaching n’est ni une sanction, ni une récompense. Il ne peut pas non plus être vu comme un lot de consolation ou un moyen de dédouaner une entreprise d’un problème systémique”. Le mois dernier, la coach a par exemple stoppé, d’elle-même, l’accompagnement d’un salarié “complètement bloqué, qui n’avait plus la marge de manoeuvre nécessaire pour évoluer dans les objectifs qui lui étaient fixés”. “C’est une partie de notre travail : le coach doit veiller à ce que les DRH, les managers et le salarié respectent leurs engagements. Sinon, ça ne sert à rien”, conclut-elle.  
Dans son livre, la sociologue Scarlett Salman s’inquiète justement de cette “fonction palliative” du coaching en entreprise. “C’est un dispositif individualisé, qui fait porter l’attention sur les dimensions personnelles des cadres : leur manière de communiquer, d’interagir, de manager. On détourne ainsi le regard des responsabilités de l’entreprise”, regrette-t-elle. Selon la sociologue, le coaching professionnel pourrait bien offrir une certaine “hygiène psychique” aux salariés, par “différentes techniques psychologiques de rationalisation et de formalisation des comportements”, mais n’agirait pas “sur les causes du réel mal-être en entreprise”.  
*Le prénom a été modifié. 
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