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"Tenir jusqu'à l'aube" et "l'exploitation à la cool" : deux témoignages … – Toutelaculture

Tenir jusqu’à l’aube et l’exploitation à la cool sont deux romans adaptés au théâtre par Kheireddine Lardjam. Tous deux traitent de sujets de société, avec un texte et une mise en scène poignants. Dans l’emblématique Lavoir Moderne Parisien, découvrez l’histoire de deux personnages se livrant au public, pour s’exprimer et dénoncer des problématiques actuelles. 
Adaptée d’un roman d’un roman de Carole Fives du même nom, tenir jusqu’à l’aube est l’histoire d’une mère célibataire isolée, faisant face à toutes les difficultés et discriminations que son statut lui impose. Tout au long de la pièce on la regarde subir des problèmes financiers, du rejet de la part des «familles normales» ou encore recevoir le jugement des autres mères sur internet. Un sujet lourd donc, adapté avec une finesse et une simplicité rendant le témoignage poignant. Une seule comédienne, aucun décor hormis un micro, et simplement des jeux de lumières et des sons, il n’en faut pas plus pour créer une ambiance propre au récit. Le ton est la clé de la transmission des émotions de cette pièce : allant d’une manière de parler normale à tout d’un coup un débit de parole très élevé, comme si la phrase était un seul et même mot, sans espaces. Dans ces instants-ci la pression et le stress de la mère se font ressentir dans le public comme envahissants, même oppressants. On se croirait dans sa tête, immergés entre toutes ces pensées et responsabilités auxquelles elle doit faire face.  
Ce rythme ne monte pas crescendo, c’est plutôt une succession d’instant plus doux, et de moments où la panique prend le dessus. Cependant au fil de la pièce on sent la montée d’une colère, contre celui appelé «l’enfant», le poids retenant la mère à sa condition. Symbolisé par le mollet de la comédienne, qu’elle prend dans ses bras, son nom n’est jamais donné, comme s’il n’était pas un humain pour elle. Elle lui lit tous les soirs la chèvre de monsieur Seguin, un ouvrage lourd de sens dans le cadre du récit : la mère est retenue, comme l’animal avec sa chaîne. Elle ne cherche qu’à fuir, s’évadant parfois par des sorties nocturnes, une envie la dévore : redevenir une femme. Alors elle danse, encore et encore, comme pour se libérer de ses chaines. Ses mouvements sont pleins de fougue et de liberté comme pour faire fuir ces inquiétudes qui la ronge. L’image qu’elle renvoie peut paraître cruelle, elle est montrée comme une femme sans cœur ni amour pour son enfant. On pourrait plutôt interpréter cela comme si nous étions en face de sa partie sombre, celle qui bouillonne en elle et qui a envie d’exploser. Chaque être humain possède cette noirceur en lui, Kheireddine Lardjam a choisi de nous montrer celle de la mère de manière crue, et c’est un pari réussi ! 
«J’ai besoin d’argent, d’oseille», ces mots font partis des premiers dit par l’unique comédien jouant l’exploitation à la cool. L’histoire est une adaptation du roman de Julien Salé, dans lequel il dénonce les torts de notre société de consommation. C’est à travers les témoignages de livreurs Uber eats, Deliveroo ou encore Just eat qu’est construit le récit, dénonçant leurs conditions de travail. À l’image de la première pièce, le décor est assez simple et repose sur les jeux de lumière. En plus du micro se trouvant en avant-scène, un vélo est calé sur des supports au milieu de la pièce. L’entrée du comédien est surprenante et inattendue ! Alors que le public parle encore, que les projecteurs sont tournés vers celui-ci, que la lumière de la salle est encore allumée, il entre en scène. Arrivant de derrière les sièges, il marche tranquillement et interrompt le brouhaha en commençant à parler. Nous suivons alors une réflexion pleine d’enthousiasme le menant à se dire que devenir livreur pour gagner de l’argent est une idée géniale. Contrairement à Tenir jusqu’à l’aube, on assiste à une progression des émotions et des ressentis dans le public. Au début, l’homme parle avec engouement, et est pris d’une joie immense à l’idée de débuter ce nouveau métier. Et puis au fil du temps, le ton change, et les sentiments qu’il dégage aussi.
Rapidement, la confrontation avec la réalité démotive notre personnage qui assiste au dur quotidien des livreurs, et doit revoir ses estimations à la baisse en voyant le peu d’argent qu’il gagne. L’homme bouge beaucoup, tout le temps, parcours toute la scène, comme s’il était hyperactif malgré sa fatigue. Cette gestuelle témoigne des effets de ce métier, moyen dit «ludique» de gagner de l’argent : c’est une drogue, on en veut toujours plus. Il monte sur son vélo de mille manières différentes, sur le guidon, sur le cadre et même debout sur la selle. La fragilité de sa situation se fait ressentir lorsqu’on voit ses jambes trembler dans ces postures, luttant pour garder l’équilibre. La pièce à une vocation certaine à dénoncer. Le personnage déclame des phrases marquantes, il les répète trois fois, parmi elle «nous sommes les nouveaux esclaves». Il utilise le «slam» pour énumérer de façon presque robotique les témoignages d’autres livreurs, ou le récit de la mort de travailleurs sur la route. Cris, mouvement brusques, ronds sur le vélo : à la fin de la pièce l’état mental du livreur est facile à percevoir, il est bout, ce travail lui a tout pris. Avec sa mise en scène Kheireddine Lardjam a réussi à transmettre l’injustice du fonctionnement de cet aspect de notre société actuelle.
Rendez vous du 11 au 22 Janvier 2023, pour plus d’informations cliquez ici.
Visuel : © Compagnie Ajouad (image de couverture) Benchaib Nedjma (images du spectacle)
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