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Alors que les plateformes chinoises sont noyées sous les commentaires de nationalistes pro-russes, d’autres voix chinoises se sont exprimées depuis le début du conflit en Ukraine. Des récits qui racontent une autre guerre que celle des médias officiels.
De notre correspondant à Pékin avec Louise May du bureau de RFI en Chine,
Parmi les choses qui ont le plus frappé Wang Jixian ces derniers jours à Odessa, c’est le retour des gâteaux à la crème dans certains supermarchés. Cet ingénieur informatique, arrivé en Ukraine en décembre dernier, y voit le signe de la résilience des Ukrainiens et de la vie qui continue, malgré les sirènes et les combats aux portes de la ville portuaire. Comme d’autres Chinois d’Ukraine, Wang Jixian témoigne de ce qu’il vit au quotidien depuis le début de l’invasion du pays par les troupes de Vladimir Poutine, à commencer par la soudaineté de l’attaque russe du 24 février dernier.
Bon nombre de Chinois résidents en Ukraine disent avoir été surpris ce jour-là, car l’ambassade de Chine à Kiev ne leur avait pas demandé d’évacuer le pays, comme ont pu le faire d’autres chancelleries. « Aucun d’entre nous n’avait imaginé que la Russie pourrait transformer un conflit frontalier en guerre », se souvient Wang Jixian.
« Au pire, Poutine enverra son armée dans le Donbass, disait-on avec des amis la veille. Mais en l’espace d’une nuit, tout a changé ! La capitale ukrainienne a été frappée et presque toutes les grandes villes du pays ont subi des raids sournois de l’armée russe. C’était comme Pearl Harbor ! Il n’y a pas eu de déclaration de guerre au préalable. » Ces propos, qui ne tournent pas autour du pot, Wang Jixian les tient aussi sur sa chaine YouTube.
Même si la plateforme de partage de vidéos en ligne est censurée en Chine, ses commentaires lui ont aussitôt attiré une avalanche de critiques de la part des patriotes chinois du clavier, notamment lorsqu’il a remis en question la position neutralité positive de son pays vis-à-vis de la Russie.
Depuis le début de l’agression russe contre un pays souverain d’Europe orientale, officiels comme médias d’État chinois reprennent en effet les mots de Moscou, refusant d’appeler la guerre par son nom ou d’évoquer d’invasion, préférant utiliser les termes « d’opération militaire spéciale ». Des critiques similaires ont visé également les étudiants chinois s’exprimant sur le réseau YouTube et l’appli WeChat dans la première semaine de guerre, certains ayant contesté la version officielle d’une évacuation sans heurts des zones de combats.
►À lire aussi : L’entente sino-russe à la lumière de la guerre en Ukraine
C’est le cas de Shu (nom d’emprunt), qui se souviendra toute sa vie de cette fin février 2022 et des deux semaines qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Étudiant à Karkiv dans le nord-est du pays, Shu raconte la panique dans une ville dévastée par les bombardements. Le responsable de l’Union locale des étudiants chinois s’est « enfui » rapporte-t-il, à la plus grande stupéfaction de lui et ses camarades.
« Il y avait trois autres chinois abandonnés comme moi. On ne savait pas quoi faire. La guerre était intense et il n’y avait ni voiture, ni taxis pour emmener les gens à la gare. J’ai un copain Azerbaïdjanais qui voulait partir, alors on est parti », raconte-t-il à RFI.
« En fait, les officiels nous ont fait perdre du temps. Des hommes d’affaires chinois auraient pu quitter la ville avec leur voiture au début. Mais on nous a demandé de remplir un formulaire pour dire qu’on était volontaire au départ, puis d’attendre. Les gens l’ont rempli et finalement ils se sont rendu compte qu’il y avait trop de monde sur la liste. C’est là qu’on nous a finalement conseillé de nous débrouiller seuls. Et on a perdu une autre journée avant de pouvoir s’échapper. »
Certains de ces étudiants livrés à eux même vont alors poster ce qu’ils vivent sur la messagerie instantanée WeChat, suscitant une certaine émotion en Chine. Parmi les messages les plus partagés, ces oufs de soulagement une fois la porte de sortie trouvée. « Pour économiser ma batterie, je n’allume mon téléphone qu’une fois toutes les 5 heures, » raconte l’un de ceux qui a pu ainsi échapper aux combats dans la première semaine du conflit. « Je suis maintenant dans le train pour Lviv », poursuit ce dernier. « La guerre est plus chaude que l’enfer. Merci à tous ceux qui m’ont aidé et soigné ! »
Ne pas rater les trains pour Lviv et Odessa, c’est alors devenu l’obsession d’une partie des étudiants chinois de Kharkiv qui ont trouvé refuge chez l’habitant ou se terrent dans les abris anti-aériens. L’ambassade de Chine qui, dans les premiers jours de guerre, avait conseillé à ses ressortissants de mettre en évidence le drapeau chinois lors de leur départ, a finalement demandé de ranger les couleurs et d’attendre en se faisant discrets.
« Puis, l’ambassade a déclaré qu’elle allait mettre en place un train exclusif pour Lviv », raconte Shu. « Finalement, il n’y a eu qu’un seul wagon pour 55 étudiants ! D’autres ont pu arriver à Lviv en voyageant seuls. On les a fait patienter une journée entière dans la neige, simplement pour qu’il fasse la photo officielle avec les autres. Là aussi, on a dû attendre les consignes, alors qu’il y avait de nombreux trains à Kharkiv », se souvient Shu.
« De plus, les billets étaient gratuits, mais la plupart des étudiants ne le savaient pas et l’ambassade avait dit de pas bouger. Personnellement, c’est en errant dans la gare que j’ai fini par trouver une place. » Le chaos de la guerre, le manque d’informations fait que certains se sont retrouvé pris au piège. « Ils n’avaient plus d’argent, l’un d’eux m’a dit manquer d’eau et de nourriture. C’était vraiment une situation désespérée. »
Officiellement, la majorité des 6 000 ressortissants chinois d’Ukraine, dont les 2 700 étudiants chinois inscrits sur les registres de l’ambassade de Chine, ont aujourd’hui quitté le pays. Pas moins de 14 charters ont été affrétés pour ramener les rapatriés. Le dernier vol est arrivé mardi 15 mars à Hangzhou, près de Shanghai. Les médias d’État ont rapporté en fanfare ce retour au pays, petits drapeaux rouge et applaudissement au moment d’atterrir sur la vidéo publiée sur le compte Weibo du Quotidien du Peuple.
Selon Shu, au moins 17 étudiants chinois seraient toujours en Ukraine. Pour les hommes d’affaires et les commerçants, c’est plus difficile de le savoir vu que la guerre se poursuit. Pour la plupart d’entre eux, ce sont les liens noués avec la population locale que les font rester. « Je veux continuer à faire du bénévolat pour aider ceux qui ont fui les combats. Je ne peux pas les abandonner, ce sont des Ukrainiens qui m’ont aidé à m’enfuir sous les bombes, je leur serai toute ma vie reconnaissant. »
Comme de nombreux jeunes chinois, Shu a quitté la Chine pour aller étudier à l’étranger. Il dit avoir choisi l’Ukraine pour la qualité de ses universités, dit-il, avec des frais d’inscriptions bien moins élevés que dans d’autres pays d’Europe ou en Amérique du Nord. C’est d’ailleurs cette qualité des formations et des ressources humaines qui a également attiré Wang Jinxian. À 37 ans, ce programmeur développeur vend des logiciels permettant aux entreprises de se conformer aux réglementations en matière de santé sur différents marchés.
Après plusieurs années passées en Macédoine, il venait de déplacer son entreprise en Ukraine quand la guerre a éclaté : « Ce qui me surprend le plus, c’est la force et la gentillesse des Ukrainiens », explique-t-il, rejetant les craintes d’une montée du sentiment anti-chinois après que Pékin a refusé de condamner l’invasion russe. « Quand je sors faire mes courses, les gens patientent gentiment dans les files d’attente et tout le monde est poli. Certains ont même vu ma chaine YouTube et ils me prennent dans leur bras. »
Wang se sent lui aussi investi d’une mission d’information par rapport à ses compatriotes. Avec « (son) visage chinois et l’accent de Pékin », il va continuer à raconter l’Ukraine sur sa chaîne Youtube, malgré l’avalanche de haine que certains de ses propos ont pu susciter.
Pour lui comme pour d’autres qui ont pris la parole dans les premières semaines de guerre, le retour en Chine s’annonce compliqué. « J’ai affaire à une guerre sur deux fronts », confiait-il récemment au site d’information China File. « Le champ de bataille auquel je suis confronté ici est terrifiant, mais au moins je peux voir les chars avancer ». L’autre terrain miné qu’il décrit comme « encore plus effrayant », c’est celui des réseaux sociaux : « certains nous envoie des messages de menaces, il y a aussi la pression des officiels, envers moi et ma famille. »
Un autre étudiant que nous avons contacté dit aussi avoir reçu des emoji « couteaux » et autres symboles de morts sous ses posts et pense à demander l’asile en Europe. « Toutes les armes à partir du pistolet vous tue en une seule fois », ajoute Wang Jixian. « Une arme à feu ou la bombe atomique, c’est donc la même chose, il n’y a donc pas de quoi avoir peur. »
►À lire aussi : Chine: les médias d’État silencieux face à l’invasion russe en Ukraine
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