« Je ne mettrais pas quelqu’un de ma famille dans mon service ». François, infirmier en service de médecine, dans les Côtes-d’Armor
« On souffre d’une pénurie d’infirmiers, les jeunes ne restent pas, dégoûtés par les conditions de travail et la perte de sens du métier. La nuit, je suis seul en poste pour près de 30 patients polypathologiques. C’est à la chaîne. On ne dispose plus d’interne de garde, juste du soutien des médecins urgentistes, souvent très occupés. On fait des choix par téléphone, on peut aussi appeler un collègue infirmier d’un autre service en renfort. Ce manque de temps et de moyens peut avoir des conséquences : parfois, je retrouve des patients dont l’état se dégrade, ce qui n’aurait pas été le cas si les choses avaient été faites correctement. D’ailleurs, je ne mettrais pas quelqu’un de ma famille dans mon service. La hiérarchie est, elle, parfois dépassée. Paradoxalement, j’aime mon métier, même si j’ai fait un burn-out, il y a un an et demi. Couper a fait du bien. Malgré les promesses des politiques, on attend toujours que de bonnes décisions soient prises, comme imposer un ratio entre le nombre de soignants et de patients. »
« C’est l’usine ». Alexandra, manipulatrice en radiologie dans le Finistère
« D’année en année, les temps d’examen se sont constamment réduits. Dans cette course à l’activité, on dispose de cinq minutes par patient, on a la sensation de les maltraiter, on les bouscule, c’est l’usine… et c’est difficile à vivre, même si on tâche de garder le sourire. La seule chose qui nous fait rester, c’est la reconnaissance des patients et l’esprit d’équipe. J’aime ce que je fais mais j’ai déjà réalisé un bilan de compétences pour tenter de fuir la fonction publique. Il faut souhaiter des vœux de santé à l’hôpital qui est malade : ouvrir des lits, embaucher du personnel, arrêter de multiplier le nombre de directeurs pour n’importe quelle mission transversale… Bref, moins de têtes pensantes et plus de personnel au chevet des patients. Certes, on est content des effets du Ségur de la santé en matière de rémunération mais l’origine des problèmes reste le manque de moyens humains. »
« On passe notre temps à rappeler les agents sur leurs repos ». Sandrine, cadre de santé en soins de suite et de réadaptation, en Bretagne
« On passe plus de 80 % de notre temps à gérer l’absentéisme. On fait face à une difficulté de recrutements, et depuis la covid, c’est devenu catastrophique. On compte aussi énormément de démissions, de burn-out, d’accidents du travail. On passe notre temps à rappeler les agents sur leurs repos, à leur dire qu’ils ne pourront pas être en vacances avec leur famille et on le vit très mal… mais on ne doit rien dire. J’ai déjà fait deux burn-out car je ne supportais plus de voir la détresse de mes agents. Je me suis aussi mise en disponibilité mais je suis revenue car je sais que je fais bien mon métier et je l’aime, malgré les conditions d’exercice. Sans soignants, le système de soins ne tournera pas et il est nécessaire d’arrêter la tarification à l’activité : l’hôpital n’est pas là pour faire du profit mais pour soigner. Quand les médecins font grève, tout le monde les entend. Quand les paramédicaux font de même, tout le monde s’en fout ! »
« Dans l’heure, de nouveaux patients viennent remplacer ceux décédés ». Martine, aide-soignante en unité de soins palliatifs en Bretagne
« J’ai l’impression d’en faire toujours plus avec moins alors que proposer un accompagnement à base de massages, de relaxation, etc. demande du temps, on ne fait pas que des toilettes ! En soins palliatifs, on reçoit des patients qui souffrent de maladies incurables. On s’occupe aussi des familles. Désormais, quand une personne vient de décéder, il faut refaire la chambre dans l’heure et un nouveau patient arrive tout de suite, ce qui ne se faisait pas avant. Ça va tellement vite que les patients n’ont souvent pas le temps d’intégrer le fait d’entrer en soins palliatifs et subissent un effondrement psychologique car ce service est considéré, à tort, comme un mouroir. Malgré cette noirceur, on reçoit beaucoup de remerciements. On donne énormément et j’ai encore l’impression de bien faire mon travail, en tout cas, j’espère. »
« Je cumule près de 200 heures sup impossibles à récupérer ». Karine, infirmière de nuit dans le Finistère
« Avoir trois semaines de congé d’affilée, l’été, devient exceptionnel. Je cumule près de 200 heures sup mais il est impossible de les récupérer au fil de l’eau. Nos formations ne peuvent se faire que sur des jours de repos… car personne ne peut nous remplacer. Tout cela génère des tensions et de la rancœur. J’adore ce métier, tous les jours, j’apprends et, humainement, c’est top. Après, je comprends les collègues qui claquent la porte, qui se lassent et veulent vivre autrement. En plus de moyens humains supplémentaires et d’ouvertures de lits, je souhaiterais plus de reconnaissance de la hiérarchie et des équipements plus modernes : on n’est pas là pour bidouiller des imprimantes. »
* À leur demande, leur prénom a été modifié et leur lieu d’activité précis n’a pas été indiqué