C’est bien connu : un rabais sur le prix est un bon moyen pour tout nouvel entrant sur un marché de se ménager une place au soleil. C’est en tout cas plus facile et moins engageant en matière de produit d’épargne que de faire une promesse de performance sur le long terme… Les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) n’échappent pas à ce mouvement : quelques-unes, récemment lancées, ont supprimé les frais de souscription habituellement payés par l’épargnant quand il acquiert des parts de SCPI. Une proposition évidemment alléchante pour l’épargnant…
SCPI «traditionnelles» : 4 lignes de frais
Ce qu’il ignore souvent, c’est que les frais pratiqués par les gérants de SCPI ont une vraie raison d’être face aux coûts inhérents à la gestion d’une SCPI. Ils fournissent les moyens nécessaires à la collecte d’épargne, aux démarches d’acquisition des immeubles en France et à l’étranger, à leur gestion et leur location, au pilotage des travaux à entreprendre, au travail administratif lié au paiement des taxes, des assurances, et des factures de consommations d’énergie, etc. Mais ils servent aussi à financer tous les frais liés à la réglementation permettant de protéger l’épargnant, les coûts de création de la SCPI… Bref, une société de gestion de SCPI est une entreprise comme une autre, qui a besoin de ressources pour mener à bien sa mission. Or l’objectif de toute société demeure d’être rentable et les sociétés de gestion de SCPI n’échappent pas à la règle. Alors, à moins de trouver la martingale magique qui abaisserait les coûts que supporte la société de gestion, difficile de faire une proposition de frais qui, au global, soit moins coûteuse pour l’épargnant, sauf à renoncer à une partie de la rentabilité de son entreprise.
Pour la majorité des SCPI « traditionnelles» et de façon générale, ces frais tiennent en 4 lignes1 : les plus connus sont les frais de souscription et les frais de gestion bien sûr. Mais il y a aussi la commission d’arbitrage à la revente d’un immeuble. Certaines SCPI, comme CORUM, n’appliquent cette commission qu’à partir d’un certain niveau de plus-value : un modèle vertueux pour la société de gestion comme pour l’épargnant qui ont tous deux intérêt à ce que l’immeuble soit vendu dans de bonnes conditions… Il existe également une commission de suivi et de pilotage de la réalisation de travaux sur le patrimoine immobilier (qui n’est pas toujours appliquée).
Sans frais de souscription, mais 6 à 7 lignes de frais, gonflés tous azimuts !
Confrontées aux mêmes dépenses que les autres gérants de SCPI afin de mener à bien leurs missions, les sociétés de gestion qui proposent des SCPI sans frais de souscription ont elles aussi besoin d’être rentables. Pas de miracle ! Elles reportent nécessairement ailleurs dans la même temporalité ou de façon différée la ristourne qu’elles accordent à l’entrée. C’est ainsi qu’elles n’affichent pas moins de 6 ou 7 lignes de frais. A l’exception des commissions de souscription bien entendu, nous y retrouvons les mêmes lignes que dans les SCPI «traditionnelles». A la nuance près que le niveau de chacun de ces frais est ici sensiblement relevé.
Le principal tour de passe-passe derrière la disparition de la commission de souscription réside dans une ligne commune à toutes ces SCPI : la commission d’acquisition sur immeuble. C’est là que les gérants de ces SCPI retrouvent une grande partie de leur équilibre économique. Sans être exactement des frais de souscription, cette commission y ressemble à s’y tromper, puisqu’une fois que vous aurez souscrit, si le gérant fait bien son travail, il va investir dans la foulée… et prélever sa commission d’acquisition qui peut alors atteindre 5 % du montant de l’achat.
Les SCPI sans frais de souscription comptent par ailleurs :
Synthèse des frais : SCPI sans frais de souscription comparées à Corum Origin
Détail du calcul des commissions et de leurs conditions de déclenchement éventuelles
Sans frais de souscription : un risque de crise de liquidité potentiellement plus élevé pour ces SCPI
Revenons un instant sur la notion de sortie anticipée. Dans une SCPI «traditionnelle », il faut plusieurs années pour amortir le coût des frais de souscription. Une durée plus ou moins longue selon le rendement servi par la SCPI. En tout état de cause, il est conseillé de conserver ses parts pendant au moins 8 à 15 ans environ2 afin de maximiser la rentabilité du placement. Ce qui est en définitive en totale cohérence avec la durée d’un placement immobilier. A contrario, supprimer les frais de souscription invite à envisager la SCPI comme un produit de court terme : une fois passées les années «verrouillées» par la commission de sortie anticipée, l’épargnant peut tout à fait sortir rapidement. Par opportunisme, à l’occasion d’une première hausse significative du prix de part. Ou, tout simplement, à cause du coût élevé des frais de gestion de ces SCPI sans frais de souscription, qui, à force de s’accumuler au fil des ans finissent par coûter cher à l’épargnant. Autant de raisons susceptibles d’encourager ces comportements «court-termistes».
Cela pose deux difficultés. Premièrement, l’acquisition du parc immobilier engage la SCPI sur plusieurs années ; la sortie rapide d’associés au comportement «court-termiste» n’est donc pas compatible avec la stratégie de gestion long terme qui a fait le succès de la SCPI et favorisé ses performances constantes dans le temps. Deuxièmement, ce comportement est dangereux pour les associés puisqu’il expose la SCPI au risque de liquidité, c’est-à-dire la difficulté pour l’associé de se retirer du capital de la SCPI (le retrait), s’il y a plus de vendeurs que de nouveaux souscripteurs. Or, ce risque augmente très significativement avec un placement où la détention «court-terme» est favorisée voire encouragée. Et ce phénomène pourrait être aggravé compte tenu de frais de gestion plus élevés des SCPI sans frais de souscription. Le succès de la SCPI depuis des décennies repose sur la logique d’un placement long terme, aux revenus réguliers et à l’appréciation progressive du capital sur la très longue durée. Cela ne veut pas dire que la SCPI est un long fleuve tranquille ou que l’épargne investie est obligatoirement bloquée pendant des années. Mais ce qu’apprécient les épargnants, c’est la faible variation dans le temps des revenus perçus même quand les marchés sont secoués. Un placement «doux» sur le plan financier et émotionnel, comparé à la violence de la bourse et des marchés financiers.
Les SCPI sans frais de souscription s’ouvrent donc aussi à des épargnants qui suivent une logique plus volatile et qui envisagent la SCPI un peu comme un placement boursier, tel qu’une foncière cotée ou un OPCI qui tous deux promettent la liquidité immédiate. Les SCPI sans frais s’exposent donc de fait au risque d‘instabilité de leur capital.
Sans frais de souscription : plus de conflits d’intérêts potentiels
Le principe des SCPI sans frais de souscription est également source de conflits d’intérêt potentiels. Prenons l’exemple de la commission d’acquisition. Elle pourrait avoir une conséquence paradoxale : plus la SCPI recourt à la dette pour financer ses acquisitions, plus cela coûte cher à l’épargnant ! Supposons une SCPI qui collecte 100 et s’endette à 30% : elle investit alors 130. Or, les frais d’acquisition, pouvant représenter en pourcentage jusqu’à 40 % de la commission de souscription et étant basés sur le prix d’achat de l’immeuble, le gérant de la SCPI prend dans ce cas des frais sur 130. De quoi reconstituer en grande partie l’équivalent d’une commission de souscription. Comparativement, la commission de souscription est indépendante du niveau d’endettement de la SCPI.
En permettant de multiplier les achats d’immeubles, le levier de la dette dans une SCPI sans frais de souscription induit d’ailleurs de facto plus de frais d’acquisition, d’intermédiation (ou brokerage) et même de cession. Sans parler des éventuels impacts sur la performance, au vu des taux d’intérêt actuels…
SCPI sans frais de souscription : des frais en réalité très proches des SCPI «traditionnelles»
Afin de pouvoir comparer les différents modèles de frais – SCPI traditionnelles vs sans frais de souscription –, nous avons en premier lieu défini une SCPI «Avatar». Nous avons ensuite appliqué le modèle de frais de chacune des 3 SCPI «sans frais de souscription» existant sur le marché à cette SCPI «Avatar». Nous avons également appliqué le modèle de frais de la SCPI Corum Origin à cette même SCPI «Avatar». Cette méthode permet de comparer de façon objective les différents modèles de frais, sur différentes durées de détention, avec des paramètres de gestion identiques.
Les paramètres de gestion de la SCPI «Avatar» sont les suivants :
NB : notons que les SCPI ne suivent pas toutes la même philosophie dans le traitement des frais liés aux plus-values. Certains gérants décident d’appliquer la commission de cession à chaque vente, même en cas de moins-values, alors que d’autres ne l’appliquent que lorsque la plus-value dépasse 5 % (du prix de vente ou du prix d’achat selon la SCPI).
L’ensemble des paramètres ci-dessus de la SCPI «Avatar» sont susceptibles d’impacter le niveau de frais, à performance équivalente. Nous avons laissé de côté des paramètres comme le taux de vacance des immeubles ou le taux de paiement des loyers puisque, à paramètres de gestion identiques, ils n’ont pas d’impact discriminant sur les différents modèles de frais. Ainsi dans la SCPI «Avatar», il n’y a pas de vacance et 100 % des loyers sont perçus. L’ensemble de ces hypothèses est détaillé en annexe.
Résultat : quel que soit l’horizon de placement, les frais de la SCPI «Avatar» avec le modèle de frais de Corum Origin sont finalement très proches de ceux des SCPI «Avatar» avec le modèle de frais des SCPI sans frais de souscription les 10 premières années. Puis, à partir de 10 ans de détention, les SCPI sans frais de souscription ont un coût global de frais sur la période de détention qui augmente (détail du calcul en annexe).
Comparatif SCPI «Avatar» selon les quatre modèles de frais analysés
Coût moyen annuel des frais sur la période de détention, pour 100 € investis par l’épargnant
Légende : Du vert au rouge : de la SCPI avec les frais les moins chers (1) à la SCPI avec les frais les plus chers (4), par année.
Analyse du tableau
Les bons critères pour choisir son épargne immobilière
Bien entendu les frais sont un critère important pour tout placement. Cependant, ils doivent être appréhendés sur toute la durée de placement et mis en regard de la rentabilité du placement sur la même période. C’est ce que nous n’avons pas fait dans cette analyse, qui s’est limitée à mettre en exergue les différents modèles de frais. Il sera intéressant de faire cette analyse en intégrant les disparités de performance dans une dizaine d’années.
La nouveauté qu’amènent les SCPI sans frais de souscription est indiscutable. Mais une nouveauté ne fait de sens que si elle donne, en toute transparence, un réel bénéfice client et ne se limite pas à un artifice marketing. L’absence de frais de souscription ne doit pas être un écran de fumée pour masquer la réalité des coûts pour l’épargnant, ni les risques associés tel qu’un risque potentiel de liquidité accrue.
Le profil de risque, la diversification et l’historique de performance, nette de frais, sur le long terme sont les critères déterminants pour bien choisir son placement en SCPI.
Méthodologie appliquée à l’étude comparative : hypothèses communes aux 4 SCPI
Hypothèses cessions immobilières : elles concernent 2 % du parc immobilier les années 3 et 4 et 4 % du parc à partir de la 5e année ; aucun immeuble n’est vendu les 2 premières années.
DETAIL DE L’ANALYSE COMPARATIVE DES FRAIS PAR DUREE DE DETENTION
Tous les frais indiqués s’entendent TTC
1 4 lignes de frais a minima pour les SCPI avec frais de souscription. Certaines affichent 5 lignes de frais.
2 Rappelons que la durée moyenne de détention des SCPI est de 28 ans selon une étude Good Value For Money : « Durée d’investissement recommandée dans une SCPI », 26 août 2019.
3 Par hypothèse, les ventes d’immeubles concernent 2 % du parc immobilier les années 3 et 4 et 4 % du parc à partir de la 5e année ; aucun immeuble n’est vendu les 2 premières années.