Les procédures prévues par la révision des contrats d’achat S06-S10 ont été lancées fin 2021, à la suite de la publication du décret et de l’arrêté relatifs. Six mois plus tard, pv magazine fait le point sur la situation (en cours) avec Sébastien Canton, avocat spécialisé en énergies renouvelables au sein du cabinet BMH Avocats, qui suit plusieurs dossiers concernés.
Image : EDF ENR
pv magazine France : les procédures prévues par la révision des contrats d’achat S06-S10 ont été lancées fin 2021, à la suite de la publication du décret et de l’arrêté relatifs. Six mois plus tard, pouvez-vous nous donner un ordre d’idée du nombre de producteurs effectivement concernés, de l’ampleur réelle de la baisse des tarifs et du nombre de recours entamés ?
Photo : BMHAvocats
Sébastien Canton : la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), qui est la cheville ouvrière de la procédure de réexamen, vient de donner quelques indications à ce sujet dans sa délibération du 16 juin 2022 : selon le régulateur, 235.000 installations environ disposent d’un contrat « S06 » ou « S10 », parmi lesquelles 1 100 remplissaient les critères de la révision tarifaire. Finalement, 436 installations sont touchées, selon la CRE, par une révision du tarif d’achat (sans qu’on sache vraiment d’où provient la différence avec le nombre d’installations potentiellement concernées), et 376 font l’objet d’une demande de réexamen auprès du régulateur. Je n’ai pas un ordre d’idée du niveau général de baisse des tarifs, mais dans les dossiers que je traite, les notifications de baisse de tarif ont atteint parfois 40, voire 50%.
Où en est-on aujourd’hui dans les procédures de réclamation/négociation avec la CRE et les ministères et quelles options de recours sont employées ?
La CRE indique dans sa délibération du 16 juin dernier avoir reçu des producteurs concernés l’essentiel des documents et des informations relatifs aux installations pour lesquelles une demande de réexamen a été déposée. Il faut dire que, indépendamment des délais prévus, la CRE et/ou les personnes chargées d’examiner les dossiers de demande de réexamen relancent depuis plusieurs semaines les producteurs pour obtenir l’ensemble des éléments demandés dans le décret du 26 octobre 2021, qui précise les contours de la procédure de réexamen, et, surtout, dans les lignes directrices de la CRE. De ce fait, la CRE a pu, dans sa délibération du 16 juin dernier, modifier ses lignes directrices pour préciser ses exigences et ses critères d’appréciation. A ma connaissance, la procédure de réexamen devant le régulateur est celle qui a été la plus utilisée pour contester la révision tarifaire, puisqu’elle est la seule expressément prévue par les textes. Du fait de sa relative complexité, un accompagnement global, à la fois comptable et financier, technique et juridique, permettant de bien exposer au régulateur les conséquences de la baisse de tarif sur la situation économique au sens large du producteur, a constitué un avantage certain.
Les agriculteurs ne devaient pas figurer dans la liste des producteurs concernés et pourtant…
Oui, on parle là d’un véritable « angle mort » de la révision tarifaire. Alors que des assurances avaient été données, y compris publiquement, par le Ministère de l’Agriculture quant au fait que les agriculteurs ne seraient pas concernés par la révision des tarifs S06 et S10, on se rend compte qu’un certain nombre d’entre eux sont finalement touchés. Même si leur part est sans doute très minoritaire parmi les 436 installations touchées, je suis frappé de voir que l’impact de cette baisse remet en cause non seulement la rentabilité de l’investissement solaire en tant que tel, mais aussi et surtout l’équilibre économique de l’exploitation agricole, toutes activités concernées. Il me paraît évident que cela ne pouvait pas être l’objectif du Gouvernement, alors que, comme nous le savons, des pans entiers de l’agriculture française sont actuellement en crise ou à l’aube d’une crise profonde, du fait du contexte économique et des aléas climatiques. Par ailleurs, il s’agit parfois de « pionniers » du photovoltaïque agricole en France, dont les investissements se sont inscrits dans une démarche vertueuse, liée à l’adoption d’autres modes de production. Dans ce contexte, le solaire apparaissait comme un « socle » pour pallier les conséquences d’un éventuel échec de cette adoption ou d’une conversion d’exploitation. Pour ces agriculteurs, le constat est amer et la confiance dans la « parole de l’Etat » s’est considérablement dégradée.
Des investisseurs étrangers se retrouvent aussi visés par la baisse des tarifs. La rentabilité actuelle des actifs concernés n’est toutefois pas comparable à celle qui a poussé à la révision des contrats d’achats initialement…
L’enjeu pour ces investisseurs est évidemment différent. Il leur faut faire comprendre au régulateur qu’ayant souvent acquis les installations concernées en fin de développement ou en cours d’exploitation, la rentabilité tirée de leur investissement est réduite, car ce sont souvent les vendeurs qui ont perçu la marge au moment de la cession de ces actifs. Cela étant, à la différence des agriculteurs, le cadre de la procédure de réexamen se prête assez bien à cette démonstration d’une absence de rentabilité « anormale » des capitaux investis. En revanche, comme pour les agriculteurs, les investisseurs étrangers me disent leur déception face à cette brusque décision de réviser les tarifs. Là aussi, la confiance dans « parole de l’Etat » en a pris un coup, et il n’est pas exclu que le marché français du photovoltaïque en subisse les conséquences dans les mois et les années à venir.
Selon vous, quelles sont les angles morts ou les excès de zèle législatifs qui pourraient être évités pour favoriser le développement serein du marché PV en France ?
La tâche est aujourd’hui immense ! Le consensus général, économique comme politique, est que le solaire doit être massivement déployé sur le territoire français dans les années à venir, ne serait-ce que pour atteindre les objectifs de l’actuelle Programmation Pluriannuelle de l’Energie, qui ne sont de toute façon plus à jour suite aux annonces faites durant les récentes campagnes électorales ainsi qu’au niveau européen. Il faudrait surtout accélérer considérablement le traitement des demandes d’autorisations administratives, principalement des permis de construire, au sein des services instructeurs. Cela passe nécessairement par un renforcement des moyens humains. Par ailleurs, un projet de loi de simplification des démarches doit être déposé dès le début de cette nouvelle session parlementaire. Son contenu paraît aujourd’hui assez timide, il faut espérer que les débats parlementaires permettront d’enrichir le projet de texte et, surtout, que son application pourra intervenir dans les plus brefs délais.
Sébastien Canton intervient depuis plus de dix ans dans le secteur de l’énergie, en particulier dans les grands projets d’infrastructure de production et de distribution d’électricité et de gaz à partir de sources d’énergie renouvelables (éolien, photovoltaïque, hydraulique et biomasse/biogaz) et de l’efficacité énergétique des bâtiments. Au sein du cabinet BMH Avocats, il conseille et accompagne des producteurs et fournisseurs d’énergie nationaux et internationaux mais également des constructeurs et fournisseurs d’installations et d’équipements ainsi que des grands consommateurs publics et privés sur tous les aspects de leurs opérations.
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